Un message de Salah Hamouri: « Rester, c’est déjà résister »

Après lui avoir fait goûter ses geôles, Israël restreint à nouveau par des moyens détournés la liberté de Salah Hamouri à quelques mètres seulement autour de son habitation à Jérusalem. Les autorités israéliennes font tout pour faire partir l’avocat francopalestinien. Mais il est bien décidé à résister. (IGA)


 

Chers amies et Chers amis,

Je veux juste faire un point avec vous sur là où nous en sommes de la volonté israélienne qui concentre ses coups contre moi mais aussi contre tous mes camarades palestiniens de Jérusalem-Est où je réside.

Comme vous le savez, les Palestiniens qui résident à Jérusalem-Est ont un statut très précaire et particulier ; ils ne sont ni Israéliens ni Palestiniens. Ils sont des « résidents » de Jérusalem. Ils ont, à ce titre, une carte « de résident » délivrée par l’occupant. Pour être délivrée par les autorités israéliennes celles-ci multiplient les obligations de justifier qu’on habite bien cette ville sans interruption, une ville qu’ils ont annexée en 1980.

Sans ce document un Palestinien est sans papier et donc expulsable. Ce qui voudrait dire concrètement pour moi que je ne pourrais jamais plus revenir sur ma terre, ni côté israélien ni côté palestinien, puisque je n’ai pas de citoyenneté et que c’est l’occupation qui délivre et qui contrôle l’attribution des « papiers » en Cisjordanie.

Ma situation est difficile, après tout ce que vous savez je pense, de toutes mes années de prison et de l’expulsion d’Israël de ma femme alors qu’elle était enceinte de notre premier enfant. J’ai refusé leur volonté que je prenne la décision de partir. Ceci en parfait accord avec ma femme, Elsa. Pour eux il faut vider Jérusalem-Est de tous les Palestiniens, un à un s’il le faut, ou plus amplement et violemment comme on voit avec les destructions des maisons palestiniennes à Jérusalem. Ils procèdent à un nettoyage ethnique de cette ville emblématique à plus d’un titre. Le dernier rapport d’Amnesty International a bien relevé ce fait pour l’inscrire dans sa définition du système mis en place par les dirigeants israéliens sur tout l’espace qu’ils contrôlent de la mer au Jourdain : un système d’apartheid.

Le 18 octobre dernier la ministre de l’Intérieur israélienne, Ayalet Shaked, a confirmé que mon statut et donc ma carte de « résident de Jérusalem » étaient supprimés.

Pourquoi ? Parce qu’une loi qui a été votée à la Knesset en 2018 décrétant « Israël Etat-nation du peuple juif » aboutissait à une conséquence effarante : le devoir d’allégeance pour tous les citoyens vivant en Israël. Pour eux, Jérusalem c’est Israël. Et il est bien certain que je ne peux pas accepter ce qu’ils appellent « un devoir d’allégeance ». Cela n’a aucun sens. Je fais partie d’un peuple occupé et le droit est avec moi qui consiste à refuser toute occupation et qui consacre le droit à la résistance. Pour Israël ce droit, qui est un droit universel fondamental, on le sait bien en France, pour Israël c’est un délit !

Cette décision s’est accompagnée d’une autre décision encore. La seconde c’est que ma liberté de circuler est totalement limitée à quelques kilomètres autour de chez moi. J’habite à Jérusalem mais de l’autre côté du mur. Et voilà qu’ils viennent maintenant, après avoir fermé l’ONG pour qui je travaillais « Addameer », de me retirer ma carte de sécurité sociale (pour reprendre les mots français). Je ne suis plus couvert.

Tous ces problèmes « personnels » je les règle avec ma famille et mes amis. Je n’ai pas besoin d’aide pour cela même si le plus dur est de ne pas avoir vu ma famille depuis plus de 9 mois, l’âge de notre fille. La question la plus épineuse pour moi est ailleurs, et j’ai du mal à en parler. Bien que je sois l’objet d’une décision politique et alors que la France dit ne pas l’accepter mais que rien ne change pour autant, je n’ai qu’une voie « légale » pour faire face ; saisir le système judiciaire israélien. Et non seulement israélien mais aussi français car il a été établi officiellement que mon téléphone portable a été « infecté » par « Pegasus » alors que je me trouvais en France.

Cet ensemble de procédures me coûte un tel prix que je ne peux, et ma famille avec moi, y faire face sans soutiens extérieurs, sans les solidaires.

Ils veulent me faire partir par tous les moyens les plus ignobles, y compris en tapant à mon « portefeuille » et cela alors que je ne peux plus travailler aujourd’hui. Ils sont acharnés mais aussi pervers.

Je tiens à remercier très chaleureusement la direction de l’AFPS qui, comprenant ma situation, a pris l’initiative d’ouvrir une « cagnotte » pour que je puisse faire face aux dépenses juridiques et résister à la volonté israélienne. Je remercie aussi tous les solidaires qui ont déjà répondu à cet appel de combat.

Je dois dire d’abord que je n’aime pas du tout parler de cela. Vraiment pas. C’est trop délicat pour moi. Mais l’occupant m’y oblige. J’ai besoin de votre aide.  

Et j’apprécie beaucoup cette aide à mon combat qui recoupe celui de mes frères palestiniens de Jérusalem : tout faire, absolument tout, pour rester. Car pour nous Palestiniens « Rester, c’est déjà résister ».

Merci de votre attention à ce message et à ce « help ! » que je vous envoie.

Salah Hamouri

Jérusalem, le 11 février 2022

 

https://www.helloasso.com/associations/association-france-palestine-france-solidarite-afps/collectes/soutien-a-salah-hamouri-et-contre-le-nettoyage-ethnique-a-jerusalem         

        

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.