Tirons profit de la perte de légitimité de la classe dirigeante

La légitimité de la classe dirigeante a certainement été entachée par la campagne électorale sans doute la plus sordide de l’histoire récente. Le membres du club de l’élite doivent désormais réfléchir à comment ils vont consacrer leur nouvel empereur sans ternir plus encore leur image de marque. Les pépins rencontrés dans leur transfert de pouvoir constituent leur dilemme et notre bonne fortune.


 

Mercredi soir, les bureaux de vote ont fermé leurs portes sans encore désigner de vainqueur dans ces élections à suspense. Malgré une période d’incertitude – une chose que Wall Street craint généralement comme la peste, – le Dow est remonté de 0,9 %, les S&P 500 ont débuté à 1,5 % et le Nasdaq Composite a fait un bond de 2,6 %.

L’explication, c’est que les élites financières savent qu’elles seront gagnantes, qu’importe celui qui occupera la Bureau ovale, et c’est quelque chose que n’avaient pas très bien saisi certaines gens de gauche, qui avaient temporairement proposé d’amener une alternative indépendante de la classe ouvrière à faire campagne en faveur du principal candidat néolibéral.

Battre à plate couture le candidat que Noam Chomsky qualifiait hyperboliquement de « pire qu’Hitler » constituerait un sale coup pour les suprémacistes blancs déclarés. Mais le racisme institutionnel de base, bien implanté dans l’État carcéral américain, se maintiendra encore et les tâches de la gauche resteront à accomplir.

 

Légitimer le pouvoir néolibéral

Le vote de la gauche n’était pas nécessaire pour garantir une victoire de Biden. Mais il était nécessaire pour justifier le vote en faveur d’un « moindre mal » s’appuyant sur le discours mensonger du TINA – « There is no alternative », il n’y a pas d’alternative.

Le Parti communiste révolutionnaire, normalement marginalisé par les médias traditionnels, a bénéficié des gros titres quand il s’est déclaré pour Biden. C’est avec opportunisme que le « journal de référence » de l’aile démocratique du duopole bipartite, The New York Times, a publié un éditorial rédigé par un socialiste autoproclamé car, plaidait ce dernier, « les gens de gauche devraient voter en masse pour Biden ».

Les Socialistes démocratiques d’Amérique (DSA) l’ont volontiers reconnu : « Aucun choix en haut de l’affiche ne pourrait faire progresser notre mouvement ou constituer une ”victoire” pour le socialisme démocratique. » Mais cela ne les a pas empêchés de prendre le train de Biden en marche. Les DSA semblaient plus embarrassés de voir Biden perdre que de voir Sanders se faire exclure par le Comité national démocrate (DNC).

Il n’est pas de la responsabilité de la gauche d’élaborer une stratégie sur la façon dont les démocrates auraient pu mener cette campagne ou d’autres à venir. Incidemment, une victoire de Biden / Harris pourrait écarter un démocrate à tendance progressiste, tel l’une ou l’autre de ces membres du Squad concourant en tant que porteuse des normes démocratiques pour les 12 ou 16 ans à venir.

Ce n’est pas la contribution de ces gauchistes à temps partiel qui ont mené campagne pour Biden qui aura servi à installer ce dernier à la Maison-Blanche – ils n’étaient pas en nombre pour le faire – mais ils auront plutôt servi à contribuer à la légitimation du pouvoir néolibéral. Leur reddition politique préventive a jeté le flou sur l’échec d’un système politique incapable d’aborder les problèmes critiques de notre époque. 

 

Une politique de la crainte a jeté le flou sur les problèmes critiques

La crainte a été le catalyseur opérationnel des élucubrations apocalyptiques d’un coup d’État fasciste, lequel a servi à forcer un agenda progressiste à changer de cap. Une économie qui s’en va à vau-l’eau, une pandémie toujours incontrôlée à l’heure qu’il est et des protestations sans précedent contre la violence raciale de la police ont été imputées à la seule faute de Trump, au lieu d’être perçues comme endémiques, dans l’ordre néolibéral.

Aucun des deux candidats à la présidence n’a plaidé en faveur de soins de santé pour tous en temps de pandémie, et cela a eu pour effet un triage médical dans lequel on a rejeté les plus vulnérables : les gens de couleur et les personnes âgées. La différence principale entre les deux ailes du duopole se situe dans le problème existentiel de santé à propos du bien-fondé de porter des masques faciaux.

La catastrophe climatique reste une menace existentielle. Biden peut jeter quelques miettes en plus que Trump en direction de l’industrie énergétique alternative. Mais les deux candidats ont rivalisé afin de montrer lequel des deux était en fait le plus enthousiaste à propos du fracking, tout en étant d’accord pour dire que les réductions de taxes et les subsides au profit de l’industrie des carburants fossiles seraient maintenus. Le prédécesseur de Biden, dont il avait été le vice-président, s’est un jour vanté : « Nous avons ajouté assez de nouveaux oléoducs et gazoducs pour faire le tour de la Terre et plus encore. » Les quatre prochaines années à venir augurent d’un choix : ce sera quelqu’un qui nie catégoriquement le réchauffement climatique ou un autre qui croit en la science mais n’agira pas contre ce problème. 

Les élites financières ont généreusement prodigué leur soutien aux démocrates. Les oligarches ont compris – plus clairement que certains éléments de la gauche – où se situaient leurs propres intérets de classe. Wall Street, a rapporté Politico, s’est « monté la tête à propos de Biden », parce que tonton Joe allait faire de son mieux pour l’aider à recouvrer sa légitimité tout en se faisant son porteur d’eau. Les financiers se sont également couverts via des contributions à Trump. De même que le DNC, ils ont très bien compris qu’il était préférable pour la classe possédante de vivre quatre nouvelles années avec l’occupant actuel qu’avec Bernie Sanders à la présidence.

 

« Game of Thrones »

Alors que le résultat de l’élection présidentielle est incertain, la légitimité de la classe dirigeante a certainement été entachée par la campagne électorale sans doute la plus sordide de l’histoire récente. Le membres du club de l’élite doivent désormais voir comment ils vont consacrer leur nouvel empereur sans ternir plus encore leur image de marque. Les pépins rencontrés dans leur transfert de pouvoir constituent leur dilemme et notre bonne fortune.

Il peut être trop tôt pour en parler, mais le coup d’État largement craint de Trump doit encore avoir lieu. Les « Proud Boys », avec leurs échanges de munitions en ligne, ne sont pas encore près de remplacer le Comité des chefs d’état-major. 

Dans leur crainte d’un coup d’État de Trump, les gauchistes nerveux appellent le monde du travail à se lancer dans une grève générale afin d’installer un néolibéral à la Maion-Blanche. Au mieux, Joe Hill trouverait la chose ironique. 

Alors que « le président Donald Trump a jeté un doute quant à savoir s’il assurerait une passation sans anicroche du pouvoir », a révélé CNN, « le processus secret en vue de préparer une éventuelle administration Biden est enclenché depuis des mois avec l’aide des hauts responsables de l’entourage de Trump (c’est l’auteur qui souligne) ».

Maintenant, Biden peut être moins exécrable que Trump, mais tonton Joe a l’avantage de n’avoir pas été au pouvoir ces quatre dernières années. Il peut ne pas sembler si chaud pour un nouveau bail de pouvoir néolibéral caractérisé par une austérité croissante pour le monde du travail, un racisme institutionel bien implanté, des mesures d’État oppressives sur le plan de la surveillance et de la sécurité et un impérialisme agressif à l’étranger. Des différences substantielles existent entre Trump et Biden, mais ces différences ne s’étendent pas aux classes qu’ils servent.

 

Retrouver l’alternative de gauche

Malgré une participation électorale record, jamais auparavant un aussi grand nombre n’avait voté pour si peu de chose. Le présent est encourageant, pour les alternatives au duopole bipartite.

Comme l’a rapporté Alan Mcleod, la cote consternante de Trump, de 42 %, est à peine dépassée par celle de Biden, de 46 %. Deux tiers des électeurs démocrates attendus ont prétendu dans un sondage qu’ils voteraient contre Trump plutôt que pour Biden et un quart seulement des électeurs républicains escomptés voteront autant pour Trump que contre les démocrates. Biden pourrait réussir de justesse grâce au fait qu’il n’est pas Trump mais, bien vite, cela n’aura plus d’effet.  

Alors que les deux partis majeurs continuent à laisser en plan les intérêts des travailleurs, la gauche doit soit prendre l’initiative, soit l’abandonner à une droite de plus en plus forte. Au lieu qu’on vive un temps où jamais avant cela il n’avait été si nécessaire de soutenir les démocrates comme moindre et de leur donner un mandat extraordinaire au pouvoir, on viut aujourd’hui un temps où il convient de tirer profit de la perte de légitimité de la classe dirigeante pour articuler une initiative de gauche.

Adopter une initiative de gauche, malgré la perte de légitimité des élites dirigeantes, constitue un défi. Avec une victoire républicaine, la gauche a historiquement été absorbée dans une résistance qui se transforme en assistance au cimetière des mouvements sociaux qu’est le Parti démocrate. Avec une victoire démocratique, l’illusion de l’espoir et celle de dire que tout vaut mieux sont de fausses excuses pour « donner sa chance à Biden ». Après avoir fait campagne en faveur du démocrate, il sera problématique pour ces mêmes forces de gauche d’opérer une volte-face et de le combattre. Quant à la gauche électorale indépendante, la sévérité accrue des conditions d’enregistrement des partis, imposée récemment par les démocrates, laissent présager moins de choix à la gauche lors des élections à venir.

Toutefois, la majorité des travailleurs soutiennent un agenda progressiste, lequel a été ignoré et supprimé par le duopole :

  • Une approche réelle et efficace du réchauffement climatique
  • La sécurité vis-à-vis du Covid plutôt que la sauvegarde de l’activité économique et le secours à l’économie
  • La fin définitive des guerres et des sanctions, dans un même temps que la désescalade dans la menace de conflagration nucléaire
  • Un programme national de soins de santé selon le modèle de Medicare
  • L’opposition à la militarisation de la police et la sauvegarde des libertés civiques
  • La réduction de l’inégalité des revenus, des lois antitrust plus fortes et une juste imposition de la richesse.

Tels étaient quelques-uns des problèmes critiques qui ont été perdus de vie dans le théâtre politique distrayant de la campagne de 2020 et qui constituent la base d’un renouveau de l’initiative de gauche.

 

 

Source originale: Dissident Voice

Traduit de l’anglais par JF Flémal pour Investig’Action

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