« Terroristes politiques » : Un document militaire américain place socialistes et néo-nazis dans la même catégorie

Aux États-Unis, les socialistes sont désormais considérés comme des terroristes, au même titre que les néonazis. C’est un nouveau guide de formation de la Marine qui l’affirme. Autrement dit, la batterie de lois liberticides et d’outils de contrôle déployés dans la foulée des attentats du 11 septembre pourrait très bien être utilisée contre ceux qui aspirent à sortir du capitalisme pour une société plus juste. Le glissement était prévisible, d’autant plus que des personnalités comme Bernie Sanders, ouvertement socialistes, ont de plus en plus la cote dans un contexte de crise du capitalisme. (IGA)


 

Un nouveau document d’entraînement de l’armée américaine obtenu en exclusivité par The Intercept place les socialistes dans la même « catégorie idéologique terroriste » que les néo-nazis, aggravant les craintes progressistes de longue date qu’une répression fédérale du « terrorisme intérieur » soit tout aussi susceptible d’être utilisée pour cibler les gauchistes qui veulent une société vraiment démocratique que pour contrecarrer les extrémistes d’extrême droite qui favorisent l’autoritarisme raciste.

Le journaliste Ken Klippenstein, qui a reçu le matériel de formation antiterroriste qui a fait l’objet d’une fuite, a rapporté mardi que le nouveau guide de la Marine comprend la question suivante : « Les anarchistes, les socialistes et les néo-nazis représentent quelle catégorie idéologique terroriste ? »

La réponse correcte est « terroristes politiques » selon Klippenstein, qui a été informé de la question par une source militaire anonyme connaissant bien la formation.

Klippenstein a noté que le document, intitulé Introduction au terrorisme/opérations terroristes, fait « partie d’un manuel de formation plus long récemment diffusé par le Naval Education Training and Command’s Navy Tactical Training Center en collaboration avec le Center for Security Forces ». La source militaire lui a dit que « la formation est conçue pour les maîtres d’armes, la police interne de la Marine. »

Selon Klippenstein, le responsable militaire, qui n’est pas autorisé à s’exprimer publiquement, a décrit la formation comme étant « inefficace. »

Alors que les socialistes – dont le sénateur Bernie Sanders (I-Vt.), qui a recueilli près de 23 millions de voix lors des primaires présidentielles du Parti démocrate en 2016 et 2020, combinées – veulent généralement étendre la démocratie au-delà de la sphère politique, dans le domaine économique qui façonne le plus profondément la vie des travailleurs, les néo-nazis cherchent à exterminer les personnes de couleur, les personnes handicapées et d’autres individus jugés « indésirables. »

Et pourtant, selon le manuel de formation à la lutte contre le terrorisme de la Marine, les socialistes qui aspirent à une société plus égalitaire qui profiterait à la grande majorité de la population mondiale sont assimilés à des néo-nazis qui prônent une dictature génocidaire dirigée par des eugénistes.

« Medicare for All est maintenant officiellement un complot terroriste », a plaisanté un utilisateur de Twitter. Le Debt Collective, quant à lui, a attiré l’attention sur des socialistes célèbres, vénérés par de nombreuses personnes à travers la nation et le monde, que l’armée américaine diaboliserait désormais comme des terroristes, en supposant qu’ils n’aient pas déjà été la cible de tels abus sous le maccarthysme.

 

La tentative apparente de l’armée de dépeindre les champions de politiques telles que Medicare for All, le Green New Deal et d’autres initiatives visant à créer une société plus juste et plus durable comme équivalents à des réactionnaires bien armés qui cherchent à renverser le gouvernement fédéral va à l’encontre des propres preuves de l’État de sécurité nationale concernant les sources clés de la violence politique.

Comme l’a écrit Klippenstein :

Le FBI et le ministère de la Sécurité intérieure ont tous deux identifié les suprémacistes blancs comme la menace terroriste la plus meurtrière pour les États-Unis. En octobre 2020, le département de la Sécurité intérieure a publié son premier rapport annuel « Homeland Threat Assessment » [Analyse des menaces intérieures, NdT], affirmant que les suprémacistes blancs étaient « exceptionnellement meurtriers » et « resteront la menace la plus persistante et la plus meurtrière pour la patrie. » En septembre, le directeur du FBI, Christopher Wray, a déclaré, lors d’un témoignage devant la commission judiciaire du Sénat, que les suprémacistes blancs « ont été responsables des attaques les plus meurtrières au cours de la dernière décennie » et qu’ils constituent « la plus grande partie de notre portefeuille de terrorisme intérieur. »

Pendant ce temps, affirme Klippenstein, les entreprises de médias ont largement négligé la façon dont les efforts du gouvernement pour neutraliser le « terrorisme intérieur » ouvrent la porte à des violations généralisées des droits constitutionnels des gauchistes – avec des appels légitimes à la redistribution vers le bas de la richesse et du pouvoir, à la fin des brutalités policières et des meurtres, et à un plus grand développement des énergies renouvelables, qui risquent davantage d’être supprimés au nom de l’anti-extrémisme.

« Alors que la droite a fait part de ses inquiétudes quant au fait d’être injustement ciblée pour ses opinions politiques, écrit Klippenstein, la couverture médiatique de l’accent mis par l’administration Biden sur l’extrémisme intérieur a accordé beaucoup moins d’attention à ce que cela pourrait signifier pour les mouvements de gauche, notamment Black Lives Matter, antifa (abréviation de antifascistes) et le mouvement environnemental. »

Faisant référence à la récente série de The Intercept, « The Threat Within » [La menace intérieure, NdT], Klippenstein a souligné que « le traitement de l’extrémisme intérieur par le ministère de la Justice peut souvent être arbitraire et disproportionné par rapport à la menace que ses cibles peuvent représenter. »

Selon Klippenstein, les législateurs libéraux ont également minimisé les risques d’une nouvelle guerre contre le terrorisme intérieur. Bien que l’ancien député Cedric Richmond (D-La), aujourd’hui conseiller principal du président Joe Biden, ait critiqué le directeur du FBI au sujet du programme « Iron Fist » de l’agence ciblant les soi-disant « Black Identity Extremists » [Les extrémistes identitaires noirs, NdT] en 2019, de telles préoccupations – courantes sous l’administration Trump – « se sont atténuées sous l’administration Biden, malgré une intensification de l’attention portée aux extrémistes nationaux qui pourraient inclure des groupes de gauche, comme le suggère le document de la Marine. »

Un haut fonctionnaire du ministère de la Défense familier avec le développement de l’initiative militaire de lutte contre le terrorisme intérieur a admis qu’il a été « exceptionnellement difficile » de définir « l’extrémisme » d’une manière qui ne porte pas atteinte aux libertés civiles inscrites dans la Déclaration des droits, a rapporté Klippenstein. Il a noté qu’un « projet de document interne du Pentagone proposant un langage pour définir l’extrémisme, examiné par The Intercept, fait trois pages, le langage torturé reflétant les tentatives de ne pas violer les droits du Premier amendement, selon le haut fonctionnaire du ministère de la Défense. »

En réponse au reportage de Klippenstein, le syndicaliste et journaliste Joe Emersberger a fait valoir que « la campagne terroriste des États-Unis contre le socialisme à l’étranger a toujours coexisté avec une campagne (comparativement) beaucoup moins meurtrière dans le pays. » Le nouveau document de formation à la lutte antiterroriste de la Marine est « inquiétant », a-t-il ajouté.

 

Source : Scheerpost, Kenny Stancil, 23-06-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Photo: Drapeau de la Marine américaine. (Thad Zajdowicz / Flickr)(CC BY 2.0)

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