Russie et Chine, un couple solide face à la contre-attaque de l’empire

Face à l’expansion sans limite de l’OTAN qui se rapproche sans cesse de ses frontières, à la campagne de dénigrement systématique de Vladimir Poutine dans les médias occidentaux ainsi qu’à une hystérie antirusse sans équivalent même à l’époque de la guerre froide et qui n’a pratiquement plus rien d’idéologique, la Russie cherche et trouve d’autres partenaires à l’Est et au Sud. Loin d’être isolée comme d’aucuns tentent de le faire croire, elle développe notamment des partenariats en Asie et singulièrement avec la Chine, pour des raisons à la fois géopolitiques et historiques que rappelle Bruno Drweski dans l’entretien qu’il nous a accordé. L’ostracisme et les sanctions économiques imposées par les États-Unis et l’Union européenne étaient censés affaiblir la Russie. Cet espoir risque fort d’être déçu…

 

Vous avez intitulé votre dernier livre «La Russie est-elle de gauche ou de droite? », Pourquoi ce titre et comment répondez-vous à cette question ?

 

J’ai choisi ce titre parce que j’ai trouvé qu’il y avait une grande confusion quand on parle de la Russie. J’ai constaté que des gens qui se disaient soit de gauche soit de droite étaient plutôt favorables à la Russie et que d’autres personnes se disant elles-aussi soit de gauche soit de droite lui étaient rigoureusement opposées. Je me suis dit qu’il fallait se poser la question de savoir comment replacer la Russie actuelle dans son contexte. Nous avons à faire à une nouvelle Russie où, dans une certaine mesure, le poids du passé continue à se faire sentir, que ce soit de la part des nostalgiques du tsarisme ou des nostalgiques de l’Union soviétique, et tout cela influence l’opinion que l’on a de la Russie actuelle. Or c’est un pays qui a beaucoup évolué et il faut donc l’analyser tel qu’il est aujourd’hui, avec le poids de son histoire.

Je pense tout d’abord que la Russie d’aujourd’hui est à la fois un pays qui a un système capitaliste, car depuis 1991 elle n’est plus un pays socialiste, il faut en être conscient. Il faut ensuite rappeler qu’elle a eu dans les années 90 des dirigeants qui cherchaient coûte que coûte à adhérer au mode de vie occidental, au bloc occidental, à être les alliés des puissances occidentales et en particulier des Etats-Unis. Or, il s’est avéré qu’on ne leur a pas offert beaucoup plus qu’une antichambre et qu’en même temps le pays s’est retrouvé dans une situation économique catastrophique après avoir ouvert ses frontières et ses capitaux.

Tout cela a entraîné une catastrophe qui a fait prendre conscience aux Russes que leur pays était menacé en tant que tel. Cela vaut aussi bien pour ceux qui regrettaient les décisions qui avaient été prises au moment de la chute de l’Union soviétique, mais aussi beaucoup de ceux qui pensaient que, devenue capitaliste, la Russie allait se retrouver dans une position beaucoup plus confortable que précédemment et qui, du coup, sont devenus beaucoup plus centrés sur les intérêts de leur propre pays. Cette prise de conscience a donné lieu à la formation de la bourgeoise nationale qui est au pouvoir aujourd’hui en Russie, en partie au moins, et qui mène une politique que l’on pourrait très schématiquement comparer à la politique de De Gaulle dans les années 60 en France.

 

S’agissant des relations internationales, vous expliquez dans votre livre que la Russie, sans doute échaudée par l’attitude des Occidentaux, les a beaucoup diversifiées et s’est notamment rapprochée de la Chine. Or j’ai eu l’impression en vous lisant que vous considérez qu’il s’agit d’un rapprochement sans trop d’enthousiasme. Qu’en est-il exactement ?

 

Au départ, je pense en effet qu’il s’agissait d’un rapprochement sans enthousiasme, mais que les choses ont beaucoup changé. Dans un premier temps, ce rapprochement était probablement du essentiellement au fait que la Russie s’est rapprochée de la Chine pour trouver un contrepoids à la suite des déceptions qu’elle avait rencontrées face aux dirigeants occidentaux.

Mais avec le temps je pense que les choses ont évolué dans la mesure où les Chinois se sont montrés très réceptifs, et pas seulement sur le plan d’une analyse rationnelle des rapports de force internationaux, mais parce qu’ils ont eu l’intelligence – issue de leur propre histoire – de comprendre ce qu’était un peuple humilié et que, d’une certaine façon, ils ont très vite compris que l’humiliation subie par la Russie après 1991 était du même ordre que celle qu’ils avaient subie eux-mêmes pendant de longues années, de la fin du 19e siècle jusqu’à 1949 au moins, voire plus tard encore.

Ils ont été capables d’établir avec la Russie des relations qui ne sont pas seulement basées sur l’intérêt mais qui comportent une composante affective qui a pu aussi se renforcer en raison du fait que malgré tout la Chine a aussi fait sa Révolution mais n’a pas fait les même erreurs que l’URSS finissante. Pour beaucoup de Russes, les Chinois ont eu une attitude bien plus sage par rapport à leurs propres intérêts au moment de la chute du bloc de l’Est et du camp socialiste que ne l’ont eue les dirigeants soviétiques.

 

Par rapport à l’attitude de l’occident à l’égard de la Russie, on observe actuellement une hystérie incroyable qui dépasse même ce que l’on avait pu connaître pendant la guerre froide. Comment expliquer cela?

 

Je pense que cela a moins à voir avec la Russie qu’avec l’occident lui-même. Bien entendu, on nous ressort tous les poncifs négatifs concernant la Russie, que ce soit en faisant appel au souvenir de l’URSS diabolisée ou même de la Russie plus ancienne en tant que puissance. Mais le problème fondamental est celui du bloc occidental, du monde occidental, du capitalisme occidental, où la crise ne laisse d’autre échappatoire que de construire l’image d’un ennemi. Rien de mieux dès lors que de retrouver l’ancien ennemi, de ressasser les vieux clichés pour tenter de recréer cette cohésion d’un occident en train de se déliter. Car il faut bien se rappeler qu’en 2003, quand les Etats-Unis ont attaqué l’Irak, deux puissances occidentales et pas des moindre, l’Allemagne et la France, s’étaient opposées à cette politique.  Il fallait donc casser le rapprochement qui était en train de se produire entre l’Europe et la Russie et aussi trouver un moyen de replâtrer l’alliance atlantique.

 

Comment expliquer dans ce contexte l’attitude de la France ?

 

Il est certain que la France est extrêmement décevante par rapport à son histoire récente, par rapport même à ses positions sous le président Chirac, qui n’était quand même pas un radical extrême mais qui a su au moment de la guerre contre l’Irak prendre des positions assez courageux. Nous assistons de toute évidence à une reprise en main que j’explique pour ma part par la crise du système, par la désindustrialisation de la France et par la désintégration de l’économie française. Il y a par ailleurs toujours eu en France, depuis 1945, des agents d’influence, objectifs ou subjectifs, des Etats-Unis qui avaient fait profil bas pendant la période gaulliste et qui petit à petit ont repris du poil de la bête. Je pense qu’on les a beaucoup aidé après 2003, lorsque la France a dit non à la guerre contre l’Irak. Je pense aussi que les Etats-Unis ont mis le paquet pour reprendre la France en main et pousser leurs pions avec des personnages aussi insipides et soumis que Sarkozy ou Hollande et, bien entendu, beaucoup d’autres.

 

Compte tenu de l’attitude actuelle de l’OTAN et des Etats-Unis, pensez vous qu’il existe actuellement un véritable risque de guerre? Certains disent que face à une situation économique catastrophique il n’y a rien de tel qu’une bonne guerre pour faire repartir la machine

 

C’est certain. Il est clair que si nous n’avions pas l’arme atomique aujourd’hui la guerre aurait déjà éclaté. Evidemment l’arme atomique rend un peu plus prudents les va-t’en guerre, mais la question est de savoir quelles sont les limites de cette prudence. On peut se faire beaucoup de soucis car vous avez à Washington un certain nombre de cercles qui s’imaginent même être capables de gagner une guerre nucléaire, ce qui est évidemment aberrant. Je pense d’ailleurs que ce qui caractérise tout empire finissant, tout empire en crise, c’est précisément une déconnexion d’avec la réalité. Une grande partie de ce qu’on appelle l’establishment au Etats-Unis semble malheureusement est totalement déconnectée de la réalité du monde tel qu’il évolue.

 

Puisqu’on parle des Etats-Unis et pour rester dans l’actualité, quel est à votre avis l’option la meilleure – ou la «moins pire» pour la Russie dans le choix qui va se présenter en novembre ?

 

J’aurais tendance à dire que ce choix est – en effet – particulièrement difficile à faire, mais que d’une certaine façon, si j’observe ce qu’on en dit en Russie, Trump leur apparaît comme un moins mauvais candidat que Clinton car il n’est pas totalement lié à l’establishment. Son discours est certes particulièrement farfelu, mais il est moins lié à l’establishment guerrier que ne l’était Clinton. J’ai l’impression que beaucoup de pays ou de personnes très critiques à l’égard des Etats-Unis se disent que si Trump arrive au pouvoir ce sera assez catastrophique, mais qu’un jeu va pouvoir s’ouvrir à Washington, alors que si c’est Clinton tout sera vraiment verrouillé. Cela étant, je ne mettrais pas tout à fait de côté la carte Sanders. Bien entendu il ne sera pas président, c’est clair, mais il semble quand même décidé à poser un certain nombre de conditions. Je ne sais pas comment il va le faire, car je connais pas assez bien les aléas de la configuration politique aux Etats-Unis, mais je pense que s’il continue le combat il va pouvoir peser d’une façon ou d’une autre.

Pour terminer, je voudrais souligner que la Russie redevient une puissance importante. Et qu’elle forme aujourd’hui avec la Chine un couple solide, comme on peut le constater dans toutes les crises. Je dirais que les Chinois sont sans doute plus puissants même s’ils sont plus discrets et qu’il y a donc un jeu à deux entre une Russie qui se met en avant, ce qui satisfait les Chinois, et une Chine qui est beaucoup plus discrète mais qui renforce sa monnaie en concurrence avec le dollar. En revanche, les autres alliés de cet axe, les alliés du BRICS ou de l’organisation de Shanghai, semblent aujourd’hui beaucoup plus vacillants, que ce soit le Brésil, l’Afrique du Sud ou même l’Inde, où les choses ne sont pas réglées. Et on voit bien que l’empire contre-attaque, sur tous les fronts, au Moyen-Orient, en Amérique du sud, en Afrique et que la résistance à cette attaque sera un test de la solidité de l’alliance russo-chinoise.

 

Source : Investig’Action

Lire aussi un extrait du nouveau livre de Bruno Drweski, “La nouvelle Russie est-elle de droite ou de gauche?”

 

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