Révolte populaire et répression au Mexique

Depuis plus de deux semaines et dans une indifférence quasi générale, une terrible répression s’abat sur les professeurs en lutte dans l’Etat de Oaxaca dans le sud du Mexique. Ils protestent contre une réforme du président Enrique Peña Nieto qui vise à privatiser l’enseignement public. Le bilan des violences policières est déjà lourd: plus de dix morts, des dizaines de blessés et de nombreux disparus.

 

Dans la matinée du dimanche 19 juin 2016, des éléments de la police fédérale mexicaine sont arrivés dans la localité de Nochixtlán, Oaxaca, en vue d’évacuer le blocage de l’autoroute mis en place par des membres de la Coordination Nationale des Travailleurs de l’Education (CNTE), des étudiants et des pères et mères de famille depuis huit jours [1]. Avec une violence extrême, la police a attaqué les manifestants, d’abord avec des gaz lacrymogènes et des tirs de flashball, et ensuite avec des armes à feu durant plusieurs heures. Huit personnes ont perdu la vie suite aux affrontements

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De plus, selon des informations de la CNTE, plus de 60 personnes ont été blessées, tant du corps professoral que des habitants de la communauté, sans que la police ne leur accorde l’accès à l’hôpital local. Les blessés ont été soignés par la population dans une église, avant d’être finalement transportés vers d’autres hôpitaux. Selon des informations des services de santé de Oaxaca, 31 blessés graves se trouvent actuellement à l’hôpital général “Pilar Sánchez Villavicencio” de Huajuapan de León et à l’hôpital général “Benito Juárez” de l’Institut Mexicain de Sécurité Socaile (IMSS) dans la ville de Oaxaca.

Un nombre indéfini d’enfants ont également été perdus de vue leurs parents au moment de la répression, leurs proches continuant à les rechercher.

Plus de 20 personnes ont été détenues et pour le moment 22 personnes sont portées disparues

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Selon des informations transmises par les médias libres Regeneración Radio, Radio Pozol et Emeequis, les personnes décédées sont :

- Yalid Jiménez Santiago, père de famille de 29 ans originaire de la communauté de Santa María Apazco, dépendant de Nochixtlán. Les cloches de l’église ayant sonné en appel à soutenir la barricade, Yalid avait répondu à la sollicitude et s’était dirigé sur place à bord d’une camionette Urban, lorsque les policiers fédéraux ont commencé à mitrailler.

- Oscar Nicolás Santiago, habitant de Las Flores Tilantongo, 21 ans. Blessé durant l’attaque par une arme de calibre 380 portée par la Police Fédérale, il a été immédiatement emmené à l’hôpital de Nochixtlán, où lui fut dénié l’attention médicale, car seuls les policiers étaient soignés. Oscar est mort d’hémorragie en conséquence.

- Andrés Aguilar Sanabria, professeur d’éducation indigène, âgé de 23 ans.

- Anselmo Cruz Aquino, 33 ans, commerçant de Santiago Amatlán, tué par balles.

- Antonio Pérez García, collégien.

- Jesús Cadena Sánchez, 19 ans, étudiant d’Asunción Nochixtlán.

- Óscar Aguilar Ramírez, habitant de Nochixtlán.

- Omar González Santiago, habitant de Tlaxiaco.

Durant la répression, la population locale est venue sur place en soutien aux manifestants, soignant les blessés, aidant les personnes à retrouver leurs proches, distribuant de l’eau, des sodas et des compresses d’eau vinaigrée pour les personnes touchées par les gaz lacrymogènes. Au même moment, dans le sud de l’État de Oaxaca, dans l’isthme de Tehuantepec, la force publique fut également utilisée pour évacuer le blocage mis en place par des enseignants et des habitants sur le port maritime de Salina Cruz, affectant les installations pétrolières de Pemex, l’entreprise d’État mexicaine.

Ce 20 juin, un nombre indéterminé d’avions de transport de la Police Fédérale et de la Gendarmerie mexicaine (formée par la France) ont atteri dans la ville de Oaxaca.

 

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Les mensonges officiels

La réaction officielle fut au début de nier l’usage d’armes à feu par la police. Le ministère de la Sécurité Publique (SSP) de Oaxaca a catégoriquement affirmé que les éléments « ne portaient que leur équipement anti-émeutes, ils n’étaient pas armés ».

Cependant face aux preuves photos de policiers équipés d’armes lourdes (AR-15 et MP – 45) et courtes (380) qui avaient commencé à circuler sur les réseaux sociaux, le gouvernement a changé sa version.

 

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Durant une conférence de presse dans la ville de Oaxaca, le commissaire national de sécurité publique, Enrique Galindo, et le gouverneur de Oaxaca, Gabino Cué, ont affirmé qu’il s’agissait de deux moments distincts. Le premier, une évacuation pacifique « sans aucun incident violent » durant laquelle les forces de police n’ont fait usage que de leur équipement anti-émeutes, et un deuxième moment, durant lequel des groupes armés inconnus auraient commencé à tirer non seulement contre la police, mais aussi contre la population civile. En conséquence, du fait de leur devoir de protéger la population, la décision aurait été prise d’utiliser des armes à feu.

Cette explication, cette « vérité officielle », est alarmante pour plusieurs raisons. Tout autant Enrique Galindo que Gabino Cué ont insité sur le fait que la soi-disant agression armée aurait été commise non pas par les enseignants, mais par des sympathisants « radicalisés » soi-disant même prêts à attaquer la population civile, la même qui avait participé au soulèvement historique de Oaxaca en 2006.

Cette approche implique d’un côté la justification officielle de l’usage d’armes à feu contre la population de la part de la police ; de l’autre, elle criminalise la solidarité des organisations civiles et des mouvements sociaux avec le mouvement enseignant ; finalement, elle associe la présence de groupes armés au mouvement enseignant, justifiant le recours croissant à la violence étatique et à la militarisation comme formes d’affrontement contre le mouvement.

La CNTE, les habitants locaux et les témoins externes sur place, tel que le photographe du collectif Cuartoscuro Jorge Arturo, nient clairement la présence d’armes à feu entre les manifestants.

Face à la répression, la digne rage

 

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Si l’intention de la répression déployée par l’État consiste à désactiver le mouvement, les faits démontrent que c’est justement le contraire qui est obtenu. A Nochixtlán, les habitants rageurs ont mis le feu au siège local de la mairie. Au même moment, des habitants de Tlaxiaco et de Yanguitlán se rendaient à Nochixtlán pour soutenir la résistance, et des brigades de jeunes parcouraient la zone en surveillance.

Des manifestations, des campements et des blocages se multiplient dans différentes parties du Mexique. Et au niveau international, les expressions de rejet se multiplient elles aussi.

Notes

[1] le conflit en vigeur depuis de nombreuses années entre l’État mexicain et les enseignants du système scolaire public au Mexique, analysé [notamment ici → http://cspcl.ouvaton.org/spip.php?a… ] a repris une ampleur inédite dans la dernière année et tout particulièrement ces derniers mois, avec l’emploi de la part du gouvernement de très fortes mesures de répression des manifestations et de l’emprisonnement de nombreux leaders du mouvement, ce qui a entraîné en retour la démultiplication des blocages autoroutiers et des zones commerciales durant ces derniers jours.

Source: Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte

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