Retrait inévitable : l’accord entre les États-Unis et les Talibans

Les experts en communication ont subtilement qualifié cela de retrait. Washington et les Talibans ont conclu un accord qui prévoit le départ de soldats US d’Afghanistan après 18 années de guerre. Le pays d’Asie centrale peut-il espérer retrouver la paix? Rien n’est moins sûr. Mais il ne faudra pas compter sur les Etats-Unis pour soutenir la bonne gouvernance, n’en déplaise à certains think tanks et faucons US. (IGA)


Il a fallu des tonneaux et des seaux de sang, mais il a abouti, une contraction de l’histoire dans un parchemin de possibilités : les Talibans ont finalement poussé l’unique et agonisante superpuissance de cette terre à un accord assez conséquent. (L’accent est mis sur « assez », la conséquence est presque toujours inconnue.) « En principe, sur le papier, oui, nous sommes parvenus à un accord », a affirmé l’envoyé américain Zalmay Khalilzad sur la chaîne TV afghane ToloNews.  « Mais ce n’est pas définitif tant que le président des États-Unis ne l’a pas approuvé. »

L’accord prévoit le retrait – le volet relations publiques de l’exercice appelle ironiquement cela un « retrait »- de 5 400 militaires sur l’effectif actuel de 14 000 hommes dans les 135 jours suivant la signature. Cinq bases militaires seront fermées ou transférées au gouvernement afghan. En contrepartie, les Talibans se sont engagés à ne jamais accueillir de forces dans l’intention d’attaquer les États-Unis et leurs intérêts.

L’exactitude, cependant, échappe à la presse et à ceux qui veulent connaître le fond de l’affaire. La rumeur court que cela fait partie d’un processus inexorable qui verra une évacuation complète d’ici seize mois, bien que cela reste des ragots.

L’ensemble du processus a ses exclusions, ses qualifications et ces duperies réciproques. On y trouve la concession, pleine de réticence mais finalement acceptée, que les Talibans étaient une puissance crédible qui n’a jamais pu être ignorée. Jusqu’à présent, les États-Unis ont participé à neuf cycles de négociations, un processus qui semble avoir traîné en longueur pour un seul résultat final : la réduction et le départ définitif des forces combattantes.

Les Talibans n’étaient pas, c’est la thèse de certains stratèges américains, une bactérie étrangère se frayant un chemin dans le corps politique afghan, l’imposition d’une entreprise fondamentaliste globale. Peu importe comment, des fonctionnaires locaux de second rang ont beaucoup participé à cet effort, rendant toute stratégie d’endiguement inutile.

Un récit populaire et tout aussi fallacieux voulait que les Talibans avaient été vaincus et qu’ils allaient miraculeusement être refoulés aux dernières pages de l’histoire. Des opinions similaires étaient exprimées pendant le vain effort des États-Unis de combattre le Viêt-Cong au Sud-Vietnam. On a sorti un calcul savant, un mirage facilité par le langage : le décompte des corps est devenu un moyen de confondre les chiffres avec l’impact politique.

Les Talibans ont démontré à de multiples reprises que les B52, les forces étrangères bien équipées et les missiles de croisière ne pouvaient pas les sortir du pays qui a vaincu tant d’empires. La politique ne peut être que l’action de tribus, de collectifs, de peuples ; les armes et le matériel sont des compagnons désagréables et utiles, mais jamais des électeurs ou des responsables viables.

Même aujourd’hui, le désir de rester à l’écart des cercles de réflexion surfinancés et des salles de conférences bien meublées, à savoir les anciens diplomates engagés dans le projet afghan, est tenace et illusoire. Si le retrait doit avoir lieu, s’il se fait, il devrait reposer sur un accord de paix préexistant. La lettre ouverte publiée par l’Atlantic Council par neuf anciens fonctionnaires du département d’État américain qui avaient auparavant des liens avec le pays n’est que du bavardage. « Si un accord de paix réussit, nous devons, comme d’autres, nous engager à continuer d’appuyer le renforcement de la paix. Cela exigera de surveiller le respect des engagements pris, de réprimer les extrémistes opposés à la paix et de soutenir la bonne gouvernance et la croissance économique grâce à l’aide internationale. »

Le ton présomptueux est extraordinaire, lourd de jargon planificateur et parsemé d’absurdités totales. Il n’y a pas de paix à maintenir ni de gouvernance à préserver. Les auteurs de la note, y compris des sommités bureaucratiques ratées comme John Negroponte, Robert P. Finn et Ronald E. Neumann, optent pour la ligne impériale : les États-Unis peuvent se permettre de rester en Afghanistan parce que ce sont les Afghans qui combattent et meurent. (Encore une fois, c’est une resucée du Vietnam, un équivalent afghan de la vietnamisation.) Selon eux, « les morts américaines sont tragiques, mais le nombre de ceux qui ont été tués au combat représente moins de 20% des soldats US morts dans des incidents pendant des entraînements non combattants. » Tout va bien, donc.

Signe de marchandage sans concession, les Talibans ont continué de faire couler le sang même après que quelques faux plis de l’accord avaient été repassés. Ce mouvement ne sait rien de la paix mais tout de la vie de la guerre : la mort est son maître, les cadavres sa récolte. Lundi, la « zone verte » de Kaboul a été la cible d’un attentat au camion piégé, qui a fait 16 morts (un nombre qui ne peut qu’augmenter). C’était un rappel que les Talibans, maîtres de pans entiers de la campagne, peuvent aussi frapper profondément dans la capitale même. Ces assassinats ont également fourni au gouvernement afghan un rappel salutaire de son impuissance, souligné par le fait que le président Ashraf Ghani n’a joué aucun rôle dans les pourparlers au Qatar.

Cela nous fait prendre conscience que beaucoup de cruauté se profile à l’horizon. La victoire des Talibans est une occasion de saluer le saignement de nez de l’impérialisme. Mais ils ne laisseront pas de notes illuminées ni de discours inspirants. Cet accord offrira peu de confort à ceux qui veulent lire un texte sans être maltraités ou cherchent une formation libre de dogmes paralysants. La cannibalisation intérieure est assurée, et la guerre civile est une possibilité. La guerre tribale est vouée à se poursuivre.

Au fur et à mesure que cela se produira, l’espoir pour Donald Trump et ses collaborateurs sera sans aucun doute semblable à celui des Britanniques lorsqu’ils ont fini par percuté l’instruction de leur Premier ministre David Cameron: oublier que toute cette affaire a eu lieu.

 

Binoy Kampmark a été boursier du Commonwealth au Selwyn College, à Cambridge. Il enseigne à l’université RMIT à Melbourne et peut être contacté à l’adresse suivante : bkampmark@gmail.com. Lire d’autres articles de Binoy.

 

Source originale: Dissident Voice

Traduit de l’anglais par Diane Gilliard pour Investig’Action

Source: Investig’Action

 

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