« Real news », « fake news », à vous de juger !

Récemment, j’ai commenté sur Facebook une très courte émission parue sur le profil de Donald Trump[1]. Il s’agissait d’un « teaser » ressemblant à s’y méprendre à un véritable journal télévisé d’information et animé par une ex-journaliste de CNN…sauf que chaque phrase était à la gloire du Président. Alors que les autres commentaires s’offusquaient de la manœuvre, l’apparentant à de la propagande (ce qui est clairement le cas), j’expliquais qu’il n’y avait là, pour moi, pas grand-chose de nouveau. Le Président français, Emmanuel Macron, ne venait-il pas de « choisir » ses journalistes[2] ? Nicolas Sarkozy n’avait-il pas fêté sa victoire sur le yacht de son ami Bolloré qui est à la tête de Vivendi et de Canal+ ? N’avions-nous pas l’habitude de regarder, lire et écouter des journalistes payés par des subsides d’État ? Qui plus est, l’émission de Trump étant diffusée sur sa page Facebook, pas sur une chaîne d’information, il était selon moi clair qu’il s’agissait de communication politique et pas de travail journalistique[3]. Je terminais en rappelant que l’essentiel était en réalité d’effectuer une rigoureuse critique des sources quoique l’on ait comme document devant ses yeux. À ceci, « l’ami d’un ami » a répondu qu’il voulait comprendre comment « évaluer » un média. Cet article se propose de donner quelques clefs en partant d’un article du Soir, en Belgique.

Depuis l’élection de Donald Trump, on n’a jamais entendu autant parler de « fake news » en lui opposant l’idée de « vérité ». Rappelons en préambule qu’il n’a pas fallu attendre 2017 pour que des médias transmettent des mensonges éhontés : le charnier de Timisoara ou les armes de destruction massive en sont deux exemples connus. La singularité, ici, c’est que les « fake news » sont exclusivement attribuées aux médias « non-traditionnels ». Cet aspect pose question car il accable certains acteurs (les médias indépendants) en en disculpant d’autres a priori (la presse mainstream[4]). On est en droit de penser qu’il y a là un positionnement politique partial plus qu’une volonté de « dire la vérité ». Par exemple, on a pu montrer combien le Décodex du journal Le Monde peinait à argumenter les raisons de son lynchage de sites comme Le Grand Soir[5].

 

 

D’autre part, beaucoup de sites « de gauche » ont vu leur fréquentation décroître subitement suite à la mise en place par Google d’un nouvel algorithme censé lutter contre ces « fake news »[6]. Le World Socialist Web Site en est peut-être la victime la plus marquante.

Face aux « fake news » se pose la question du statut à donner à la « vérité ». C’est une question qui obsède les journalistes et les observateurs de la presse depuis que cette dernière existe. Certains pensent que les faits peuvent être dissociés des commentaires sur les faits. D’autres pensent que les faits « n’existent pas » indépendamment d’un contexte, selon la perspective, les valeurs ou la sensibilité de celui qui les raconte. Imaginons par exemple un vol à l’arraché. Un article qui titre : « Un immigré agresse une vieille femme et lui vole son sac » …relate le même événement qu’un article titrant : « Un réfugié SDF vole une riche rentière ». Pourtant, ces deux articles disent des choses différentes parce que les valeurs qui sous-tendent l’écriture sont elles-mêmes sensiblement différentes. Il faut alors éviter de tomber dans le piège du relativisme complet voulant qu’il n’y a « pas de vérité » mais, de toute évidence, il faut aussi éviter le piège d’une Vérité avec majuscule qui, officielle, suffirait à discréditer toute façon alternative[7] de voir le monde.

Pour arriver à cette juste distance, il faut comprendre qu’aucun acteur n’est désintéressé. Ni le magnat de la presse qui cherche, par le truchement de celle-ci, à gagner beaucoup d’argent ou à faire du lobbying ; ni le militant de gauche dont l’agenda est le renversement d’un système qu’il juge oppresseur. Ce sont précisément ces intérêts qu’une véritable critique des sources doit pouvoir faire émerger. Libre ensuite au « consommateur » d’information de se faire sa propre opinion, selon ses propres valeurs.

La critique des sources permet d’aborder une production journalistique comme un historien aborde un document : c’est-à-dire en effectuant une critique externe et une critique interne. Lors de la critique externe, on se pose une série de questions sur le contexte de production du message, son authenticité, son auteur, etc. Lors de la critique interne, on s’intéresse au contenu du message. Comme me l’a proposé cet « ami d’ami » sur Facebook, je vais m’intéresser au journal belge Le Soir en prenant un article[8] disponible au moment d’écrire ces lignes et intitulé : « Venezuela: Nicolas Maduro embarrassé face caméra par le rejet de sa carte d’électeur ». Le choix du journal Le Soir me paraît pertinent parce qu’il n’est a priori pas du tout polémique. Considéré comme un journal « de qualité », Le Soir propose une couverture généraliste de l’actualité. Pour commencer, il faut d’abord lire l’article ! Cela peut prêter à sourire mais nombreux sont ceux pensant qu’il est possible de juger un contenu sans même en avoir pris connaissance. On y apprend que M. Maduro a vu sa carte d’électeur rejetée lorsque, en direct à la télévision, il a tenté de la valider pour déposer son vote à la consultation proposant de choisir les candidats à l’Assemblée Nationale Constituante.

La critique externe

La critique externe peut être excessivement détaillée, mais je propose de ne procéder qu’à trois étapes : 1) Que sait-on du média qui publie l’info ? 2) Que sait-on de l’auteur de l’article ? 3) Que nous apprend le contexte d’énonciation de l’article ?

  1. Sur le média, il est important de poser la question du financement car aucun média ne publie d’informations allant contre les intérêts de celui qui le finance. Les informations concernant le financement du Soir ne sont pas accessibles facilement, il n’existe par exemple pas de rubrique dédiée sur le site. On perçoit toutefois au moins trois sources de revenus : les subsides publics (le journal percevait en 2015 la somme d’1.2millions d’€[9]), le financement par la publicité et, on peut le supposer, un financement via les abonnements et l’achat du journal payant par les lecteurs. La répartition de ces ressources dans le budget global nous est inconnue, en dépit de l’intérêt évident de cette donnée. En effet, si la plus grande partie du budget est couverte par les abonnements et les achats, le degré d’indépendance est lui aussi beaucoup plus grand… Le Soir est édité par la société anonyme Rossel & Cie, elle-même appartenant au Groupe Rossel dont il n’est pas anodin de remarquer qu’il est non seulement actif dans la presse mais aussi dans le marketing et la communication financière (via Mediafin). Par ailleurs, il est aussi lié à la presse audiovisuelle privée (RTL) avec des participations dans différentes holdings[10].

 

Ici déjà se tisse un réseau de dépendances qui n’est pas innocent : comment avoir une parole libre par rapport aux politiques quand la viabilité de son média en dépend ? Comment avoir une parole critique sur la finance quand le groupe auquel vous appartenez a une part de son business lié à celle-ci ? Comment dénoncer les intérêts des grands groupes de presse privés quand vous faites partie de la même holding ? Comment enquêter sérieusement sur des multinationales ou de gros industriels quand ce sont eux précisément qui peuvent acheter vos encarts publicitaires ? Ainsi, les valeurs qui sous-tendent n’importe quel discours publié par Le Soir doivent être compatibles avec ces éléments. Un discours explicitement anticapitaliste, par exemple, n’y aurait pas droit de cité (à part, peut-être, sous la forme d’une « carte blanche » qui n’engage pas la Rédaction).

  1. Intéressons-nous maintenant à l’auteur. Un lecteur non avisé pourrait être étonné car, en dépit de la réputation de « sérieux » dudit journal, l’article n’a pas d’auteur. Il s’agit en fait d’un copié-collé d’une dépêche de l’AFP (Agence France Presse) à laquelle aucune modification n’a été apportée. Retour donc en partie à la case départ et le travail effectué sur le financement du Soir devrait être complété par un travail similaire sur l’AFP. Vous avez compris le principe, je ne vais pas le refaire ici[11]! Toutefois, outre le fait qu’une information soit répétée par plusieurs médias sans commentaires ni précisions, ces dépêches posent plusieurs problèmes. On ne sait pas, par exemple, si le journaliste de l’AFP était présent sur place lors des événements relatés (on est même fortement en droit d’en douter dans la mesure où rien n’indique que ce fut le cas). Le journaliste de l’AFP, s’il n’a pas été présent, place donc sa confiance dans un autre document : une vidéo de M. Maduro. L’AFP a-t-elle correctement authentifié cette vidéo ? Rien ne l’indique. La critique externe invite également à questionner l’indépendance du témoignage. Or, présente dans le corps de l’article, cette vidéo est estampillée « El estimulo », un média vénézuélien privé. Ce n’est pas innocent tant on sait que les médias privés sont pleinement partie prenante dans les conflits au Venezuela[12]. Ainsi, en diffusant cette vidéo sans expliciter le parti-pris pro-opposition de la vidéo, l’AFP et, à sa suite, le Soir sont partiaux dans leur couverture informationnelle. C’est d’autant plus dommageable que ce positionnement est subtil, invisible au premier coup d’œil, surtout pour un lectorat qui ne connaît pas bien le contexte historique et politique de ce pays.

 

Enfin, si on ne connaît pas exactement l’auteur de l’article, on peut cependant rappeler quelques réalités du métier actuel de journaliste. D’abord, les conditions économiques des journalistes se sont largement dégradées en quelques décennies. Souvent à la pige, ils sont moins bien payés et n’ont pas la même protection sociale que sous un contrat d’employé. Pire : comme ils doivent « se » vendre à chaque fois qu’ils vendent un article, ils ne peuvent surtout pas déplaire, au risque de ne plus gagner leur croûte la fois suivante. Cette précarité mène à une soumission idéologique évidente. Et comme ils sont payés à la pige, ils doivent produire beaucoup pour gagner juste assez. Fort logiquement, l’obligation de privilégier le volume a des conséquences sur la qualité du traitement des sujets et sur le choix de ceux-ci (sujets légers qui demandent peu de travail d’enquête). Dans notre exemple, l’article ne fait que relater ce qui se passe sur une courte vidéo. Sans contextualisation, la valeur informative est presque nulle. Les articles produits ont alors tendance à être courts (cet article-ci serait impubliable !) et à présenter les faits comme si l’on pouvait se départir de toute analyse. Du reste, ces contraintes correspondent à des médias qui attendent justement des articles courts, plus rentables parce qu’ils amènent le lecteur à surfer plus vite et donc à consommer plus de publicité. Le travail à la pige oblige enfin le journaliste à écrire sur différents sujets. Il n’est plus le spécialiste d’une rubrique mais peut parler de la politique du Venezuela un jour et des inondations dans un petit bourg le lendemain. Dans ces conditions, l’expertise vient nécessairement à manquer, surtout lorsque les formations en journalisme sont de moins en moins construites sur un socle de culture générale fort mais plutôt autour de savoir-faire médiatiques. À titre de comparaison, j’écris cet article sur mon temps de vacances puisque j’ai la chance de travailler dans l’enseignement. Mon salaire ne dépend pas de sa publication, mon degré d’indépendance est donc plus assuré.

  1. La critique externe se clôt sur une analyse du contexte d’énonciation. Une véritable analyse sémiotique pourrait ici être pertinente[13] mais cela demanderait trop de temps et d’espace. Notons simplement l’omniprésence de la publicité entourant l’article. Lors de ma visite sur le site du Soir, c’est une publicité pour la chaîne de restauration Starbucks qui prend le plus de place. De haut en bas, une grande capture de vidéo succède directement au titre et est suivie par un court chapeau (cinq lignes) puis une nouvelle publicité (cette fois pour une marque de voiture). Un lien vers un autre article au titre accrocheur est placé juste en-dessous de la vidéo (il s’agit que l’internaute ne reste pas trop longtemps sur une page, comme je le disais plus haut) puis, enfin, sept lignes de « contenu » interrompu par la vidéo de M. Maduro (empruntée au média El estimulo et laquelle ne démarre qu’après 15 secondes d’une nouvelle publicité pour une voiture). Quatre lignes de texte puis une nouvelle capture d’écran sur « l’info » (on voit que le lecteur de carte ne reconnaît pas celle de M. Maduro). À nouveau quatre lignes de texte interrompues par un énième lien accrocheur vers un autre article et, enfin, les deux dernières lignes de l’article. Si on fait le compte, on remarque que l’article est composé de 21 lignes d’une police très grande et composées d’à peine une douzaine de mots par ligne. Cette « économie » corrobore les éléments précités sur la nécessité de textes courts. Toutefois, l’œil du lecteur, même pour un article aussi court, aura été interrompu pas moins de huit fois, ce qui complique terriblement la lecture.

 

La critique interne

La critique interne consiste à juger le contenu du document, c’est-à-dire le « sens » de celui-ci. C’est évidemment très compliqué car, par définition, si l’on s’informe, c’est qu’on ignore ! Un premier point est le degré de sensibilité du propos. Par exemple, un article sur les résultats d’une compétition sportive n’est pas aussi sensible que celui sur les enjeux du transfert de Neymar au PSG, lequel a, peut-être déjà, des implications (géo)politiques. De façon générale, on peut considérer que des informations touchant à la politique, à l’économie et aux relations internationales sont les plus sensibles. Dans notre cas, l’article sur le Venezuela est donc potentiellement très sensible et notre œil de lecteur devrait être aiguisé.

La critique interne s’intéresse également à une série d’aspects qu’on a déjà évoqués plus haut : la question des intermédiaires (ici Le soir/AFP/El estimulo), les capacités physiques et intellectuelles du journaliste, les intérêts défendus par chacun de ces acteurs. Sur ce dernier point pourtant, nous devrions comme lecteurs nous interroger sur les propres valeurs qui nous animent. Deux questions très pratiques à se poser : qu’est-ce que j’ai envie de voir de l’événement ? Qu’est-ce que je m’attends à voir de l’événement ? Par exemple, si j’ai envie de voir M. Maduro humilié, ce peut être un indice de mon aversion pour son projet politique et, éventuellement, pour une gestion socialiste de la société. Et vice versa… Ce qu’on « s’attend à voir » donne une indication sur nos a priori. Par exemple, je m’attendais personnellement à voir un extrait de propagande anti-chaviste à travers cette vidéo et mes recherches sur le média privé El estimulo tendent à me conforter dans cet a priori. Quelqu’un qui s’attend à voir un « dictateur risible » risquera fort probablement d’être, lui aussi, conforté dans son opinion et ce à partir de la même vidéo. Autrement dit, on a tous tendance à faire correspondre une nouvelle information à ce qu’on sait/pense déjà. C’est un biais cognitif bien connu mais qu’il est bon de se rappeler au moment de la lecture d’un article.

Sur le contenu en lui-même, quelques remarques. Le titre promet d’assister à « l’embarras » de M. Maduro. Or la vidéo d’El estimulo coupe directement, sans qu’on puisse voir la réaction du Président. Ici, deux options : soit la vidéo est coupée par le média d’État qui retransmettait l’événement en direct, soit la vidéo est coupée par El estimulo. Cela fait une différence fondamentale puisque, dans le premier cas, il y aurait une forme de « censure d’État » mais dans le second cas il s’agirait au contraire d’une forme de mensonge médiatique (le fameux « embarras » constitue l’accroche de cet article). En réalité, la télévision vénézuélienne a continué sa retransmission[14], il s’agit donc bien d’une manipulation d’El estimulo relayée sans état d’âme par l’AFP puis par le journal Le Soir. Comment peut-on le savoir ? Hé bien parce que l’AFPes (c’est-à-dire l’AFP en espagnol) a diffusé sur YouTube une autre vidéo dans laquelle on peut voir le fameux « embarras » de M. Maduro ! Pourquoi El estimulo n’a-t-il pas montré la séquence en entier ? Tout simplement parce que ce problème technique est tout au plus une anecdote. Extraire la vidéo de son contexte permettait de monter en épingle une situation qui vraisemblablement n’en valait pas la peine. La vidéo d’El estimulo s’inscrit dans un contexte de propagande évident. Ce média est un acteur du conflit, pas un observateur.

La partie écrite de l’article mérite, enfin, un peu d’attention. Au titre directement succède une information qui n’a pourtant rien à voir avec ce dernier : on y parle d’une « douzaine de personnes décédées » lors du scrutin qui serait « décrié ».

 

 

La façon de présenter les choses suggère un rapport de cause à effet entre ces deux informations, impliquant de facto une responsabilité du pouvoir. Ainsi, le lecteur de l’article, avant même le chapeau (c’est-à-dire le paragraphe d’introduction), adopte inconsciemment une position défavorable à M. Maduro. Le chapeau en lui-même est factuel et ne prête à aucun commentaire spécifique. Les deux paragraphes suivants ne font que répéter ce que disait déjà l’introduction, en ajoutant seulement un ou deux éléments. Cependant, l’auteur de l’article qualifie la situation non plus « d’embarrassante » mais de « particulièrement embarrassante » pour le Président vénézuélien. La nuance est subtile mais vient s’ajouter à tous les autres éléments qui construisent une image négative de M. Maduro. Le troisième paragraphe est quant à lui beaucoup plus grave puisqu’il est tout simplement mensonger : « Les caméras ont rapidement cessé de filmer cet instant d’embarras pour Maduro ».

 

 

On a vu plus haut que c’était faux, que les caméras avaient bien continué de filmer et, qui plus est, il existe même une vidéo de l’AFP pour le prouver ! Impossible en revanche de savoir si l’auteur de l’article a été abusé par la coupure intentionnelle d’El estimulo ou si le mensonge est volontaire… La phrase mensongère se conclut sur le rappel de la contestation contre Maduro et sur une allégation de « guerre civile » qui serait décidément très proche.

À ce moment, inutile de dire que le lecteur lambda voit Maduro comme un affreux dictateur et ce uniquement par la présentation qui lui est faite de l’information (mais aussi sur base de fausses informations, des « fake news » pourtant relayées par une presse qui peut difficilement être plus « traditionnelle »).

L’article se conclut : (1) sur le partage sur les réseaux sociaux de ladite vidéo en ne relayant que les commentaires anti-Maduro. C’est ici un nouveau mensonge, mais cette fois par omission : en ne signalant pas le soutien populaire dont jouit encore Maduro, le journaliste renforce encore le sentiment que ce pays est une dictature ; (2) sur le fait que ni l’UE, ni les USA, ni plusieurs autres pays d’Amérique latine (non cités, et pour cause, ils sont tous à droite de l’échiquier politique) ne reconnaissent le scrutin. Le sarcasme me pousserait à souligner que l’UE n’est en effet pas très encline à reconnaître les consultations populaires, il n’y a qu’à voir le sort qui avait été réservé au « non » français au projet de constitution européenne… Pour bien faire son travail, l’auteur de l’article aurait aussi pu expliquer pourquoi ces pays ne soutiennent pas Maduro, les intérêts qui sont en jeu, les valeurs qui soutiennent les politiques, etc. (3) Enfin, l’article se conclut sur la même phrase (mot pour mot) que celle qui l’a amorcé : un rappel des personnes décédées et le caractère « décrié » du scrutin.

Qu’en conclure ?

L’analyse que je viens de produire me pousse à conclure que j’ai eu ici affaire à un article correspondant, au même titre que la ridicule émission de Trump, à de la propagande – c’est-à-dire un document construit dans l’objectif de provoquer l’adhésion à une façon particulière de voir le monde, en omettant les éléments qui auraient pu nuancer le propos voire le retourner. Comme le notait Morelli[15], le chef du camp adverse « a le visage du diable », l’ennemi provoque des atrocités, la cause défendue par l’opposition est noble, etc. Je voudrais insister sur le fait que je n’ai pas sélectionné cet article parce qu’il pouvait servir mon propos. J’ai pris le premier article en libre accès traitant du Venezuela sur le site du Soir et j’aurais pu faire le même travail avec n’importe quel autre article.

Je vais conclure en proposant une courte synthèse des questions nécessaires à une critique des sources. Bien sûr, on n’a pas le temps de faire ce travail ardu pour chaque article ou émission, mais le simple fait d’avoir les questions à se poser bien en tête aide déjà à aiguiser son esprit critique : quel est le média, qui le finance et, par conséquent, quels sont ses intérêts ? Qui est l’auteur, quel est son contexte, notamment économique (est-il par exemple employé ? est-il responsable d’une rubrique ?) Comment l’article est-il construit, est-il long, détaillé, y a-t-il des sources pour me permettre de valider ce qui est dit ? Le sujet de l’article est-il sensible ? Quelles sont mes valeurs, qu’ai-je envie de voir/lire et à quoi est-ce que je m’attends ? Est-ce que tout est dit, est-ce que tout est vérifiable ? La parole est-elle donnée à toutes les parties ? L’article cherche-t-il à expliquer ou seulement à décrire des faits ? Dans le second cas, la description est-elle exempte de connotations ?

J’ai tendance à croire que ce travail est encore plus important pour les médias qu’on a l’habitude de visiter et auxquels on fait habituellement confiance. Parce que c’est précisément lorsqu’on a confiance que notre conscience s’endort. Une véritable critique des sources commence par une critique et une connaissance de soi-même, ses préjugés et ses valeurs.

 

Source: Investig’Acion

 

Notes:

[1] Accessible sans intermédiaire ici : https://www.facebook.com/DonaldTrump/videos/10159619784950725/ 

[2] Voir ici : http://www.liberation.fr/france/2017/05/18/monsieur-le-president-il-n-appartient-pas-a-l-elysee-de-choisir-les-journalistes_1570485

[3] Je reconnais là un peu de naïveté tant il apparaît que ce seul recul critique n’est pas intégré, non par manque d’intelligence mais par manque de formation.

[4] En dépit du bon sens : le charnier de Timisoara et les armes de destruction massive ont justement été relayés par la presse mainstream.

[5] En fait, il n’y a juste aucun argument. Notez le terme « apparaît » comme si l’apparence était suffisante pour discréditer un média ! Sur le Décodex, lire par exemple cet article : http://www.investigaction.net/fr/decodex-le-vieux-monde-se-meurt/

[6] Voir ici : https://www.wsws.org/fr/articles/2017/jul2017/goog-j28.shtml

[7] Alternative par rapport à la norme du milieu. Aucune information n’est « alternative » en soi.

[8] http://www.lesoir.be/107096/article/2017-07-31/venezuela-nicolas-maduro-embarrasse-face-camera-par-le-rejet-de-sa-carte Je découvre en même qu’il n’y a plus de rubrique « international » sur la page d’accueil du Soir en ligne !

[9] Fédération Wallonie-Bruxelles, voir : http://www.lesoir.be/archive/recup%3A%252F972707%252Farticle%252Factualite%252Ffil-info%252Ffil-info-economie%252F2015-08-26%252Fl-aide-presse-francophone-approuvee-mercredi-en-gouvernement

[10] http://www.rossel.be/societes/audiopresse

[11] Pourtant, il aurait été intéressant d’en dire un mot. Par exemple, si les statuts de l’AFP lui interdisent d’être subventionnée par l’État, on apprend que 40% de ses revenus sont des abonnements par…les services publics !

[12] J’invite à relire, à ce propos, les excellents articles d’Henri Maler qui datent pourtant de 2009 : http://www.acrimed.org/Conflits-sur-les-medias-au-Venezuela-1-L-attaque-de-Globovision

[13] Voir par exemple la grille proposée par Meunier et Peraya dans leur livre « Introduction aux théories de la communication ».

[14] https://www.youtube.com/watch?v=GtamrI588Bo

[15] Morelli, A. (2010). Principes élémentaires de propagande de guerre: utilisables en cas de guerre froide, chaude ou tiède... Aden.

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