Qui sont les « Chemises noires » de Hong Kong ?

Le récit médiatique est simple et limpide : les militants « pro-démocratie » manifestent depuis des mois contre le « régime communiste », pour la liberté et la démocratie.  Les manifestations pacifiques se heurtent à la violence de la répression policière. Peu importe le prétexte initial – un projet de loi d’extradition vers la Chine continentale, projet gelé depuis. Le combat est devenu plus emblématique : celui de La démocratie vs la dictature, de La Liberté contre le Communisme. Du Bien contre le Mal.

 

« Les manifestations se poursuivent de façon pacifique »

Le biais des médias en faveur des dits « militants pro-démocratie » s’exprime de manière presque caricaturale dans l’obsession de rejeter toute la violence sur les forces de l’ordre et de refuser de voir celle des manifestants.  Dans un article caractéristique, le Figaro, qui n’a de cesse de s’étrangler d’indignation face à l’intolérable violence des Gilets Jaunes, met en exergue le cas de la manifestante blessée à l’œil par une balle en caoutchouc. Pour un journal qui soutient sans réserve la répression policière en France qui a éborgné à coup de flash-ball 23 manifestants en quelques mois,  il fallait oser.

Les exemples et témoignages de l’ultra-violence des Chemises Noires ne manquent pourtant pas ; leur confrontation avec la police se fait à coup de briques, de bâtons de bambou, de cocktail Molotov, de lance-grenades… Plus de 170 policiers ont été blessés depuis le 9 juin. Lors de l’occupation « pacifique » de l’aéroport, deux personnes soupçonnées de sympathie ‘pro-chinoise’ ont été quasiment lynchées ; l’une d’elles était un journaliste du Global Times, qui a été attaché sur un chariot à bagages et battu jusqu’à en perdre connaissance. Une vidéo[1] le montre évacué inconscient sur une civière, pendant qu’un des émeutiers continue d’essayer de la frapper avec un bâton.

En juin, un des leaders du mouvement défendait dans le New York Times[2] la ‘théorie de la violence marginale’ soutenant que les manifestants doivent « utiliser les actions non-violentes les plus agressives possible pour inciter la police à réagir avec une force inutile […]. Les manifestants devraient intensifier de manière réfléchie la non-violence, voire même recourir à une force modérée, pour pousser le gouvernement à bout ».

Il semble que la subtilité de la frontière entre ‘actions non-violentes les plus agressives possible’ et ‘agressions violentes’ tout court n’ait pas été complètement perçue par quelques-uns de ces sympathiques pacifistes. Mais après tout, cela a-t-il une importance quelconque ? Les meneurs sont de toute manière assurés que les médias occidentaux attribueront jusqu’à l’absurde la source de toute violence au pouvoir chinois. « Alors que les manifestations se poursuivent de façon pacifique, Pékin tente de provoquer les protestataires afin de justifier une future intervention militaire », titrait le Parisien le 14 août.

Le triste héritage de la colonisation

L’île de Hong Kong fut arrachée à la Chine au terme de la Première guerre de l’Opium (1840-1842), menée au nom de la Liberté – encore elle ! – de commercer l’opium en Chine, où la drogue était prohibée, et le trafic d’opium lourdement puni. À la suite d’une vaste destruction de drogue saisie, l’Empire britannique lança ses canonnières contre la Chine, qui fut contrainte deux ans plus tard de signer le scélérat traité de Nankin, qui lui imposa le « libre » commerce de l’opium, l’obligation de verser des indemnités pour la drogue détruite en 1839, – et la cession de Hong Kong à la noble couronne britannique. Ce n’était que le premier des dits ‘Traités Inégaux’, imposés à la Chine pendant près d’un siècle par les puissances occidentales (au terme desquels le territoire de la colonie britannique s’était largement étendu – les ‘nouveaux territoires’ représentent plus de 80% de la surface de Hong Kong).

Le fait qu’aujourd’hui ces mêmes pays prétendent donner des leçons de liberté et de droits de l’homme à la Chine laisse songeur…

Hong Kong et les territoires ont été théoriquement rétrocédés à la Chine en 1997, mais la rétrocession était accompagnée d’un curieux accord bridant la souveraineté de la Chine sur ces territoires pendant une durée de 50 ans[3]. On n’est plus à l’époque des Traités inégaux, mais une telle concession a de quoi surprendre.  Le traité impose en particulier que selon le principe d’« un pays, deux systèmes », le socialisme tel que pratiqué en République Populaire de Chine ne soit pas étendu à Hong Kong, qui doit garder son système capitaliste jusqu’en 2047.

155 ans de colonisation et des dizaines d’années de capitalisme sauvage ont laissé de profondes séquelles, et les 20 années  qui viennent de s’écouler n’ont rien arrangé à la situation. Hong Kong reste l’un des endroits au monde où les inégalités sociales sont les plus extrêmes. « Ici, magasins de luxe et magnats milliardaires côtoient sans-abri et vieillards ramasseurs de carton »[4]. Comme ailleurs, le paradis des riches se construit sur l’enfer des pauvres. Au début de cette année, Oxfam estimait à plus de 1,3 million de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, 20% de la population.

Ce n’est certainement pas ceux-là que l’on voit vêtus de noir, bien équipés, portant casque et masques à gaz, armés de laser. Les militants pro-occidentaux sont issus des classes aisées[5]. Même si leur nombre est important – surtout après être passée sous le verre grossissant de  la propagande occidentale- ils sont loin de représenter la majorité de la population réelle, et sûrement pas les 20% les plus pauvres. La bourgeoisie s’inquiète, sans doute à raison, de la perspective  à terme de l’intégration dans la Chine populaire. Au point que certains en viennent à appeler ouvertement au retour de l’état colonial. Voire à se réclamer d’un stupéfiant racisme anti-chinois – n’aspirent-ils pas après tout à être Britanniques …

 

Pourquoi une « révolution de couleur » à Hong Kong ?

Ces manifestations présentent beaucoup des caractéristiques des ‘révolutions colorées’ qui ont surgi, par une singulière coïncidence, dans bien des pays par ailleurs cible des États-Unis. Cette fois-ci donc, ce sera le noir… Avant les manifestations de juin, le secrétaire d’État US Mike Pompeo avait rencontré à Hong Kong des dirigeants pro-démocratie, ainsi que le patron des médias pro-démocratie. La National Endowment for Democracy, l’une des « ONG » cache-sexe de la CIA, finance ouvertement plusieurs groupes de manifestants[6]. Nos médias se sont gaussés des protestations de la Chine, dénonçant les rencontres entre les diplomates états-uniens basés à Hong Kong et les militants pro-démocratie[7]. Peut-on imaginer un quart de seconde leurs réactions si des diplomates chinois ou russes organisaient des rencontres avec des manifestants pour les droits civiques aux USA, ou avec des Gilets Jaunes français ?

Révolution de couleur, – si ce n’est que cette fois-ci, l’effondrement du pays n’est pas une issue envisageable. La Chine, ce n’est pas l’Ukraine, ni même la Russie, où une tentative du genre est en train d’être laborieusement montée autour, faute de mieux, de la figure d’extrême droite notoirement corrompue, Alexei Navalny.

Au contraire, les manifestations de haine à l’égard des Chinois du continent, le fait que des voyageurs parlant mandarin soient agressés par les ’démocrates’ parlant le cantonnais de Hong Kong, c’est plutôt de nature à inciter le peuple chinois à se rassembler autour de leurs dirigeants – fut-il l’Empereur de Chine-, et à ouvrir les yeux de certains sur ce qu’il y a derrière le discours sur la démocratie et la liberté. Et la division entre « Hongkongais » et Chinois est largement une construction médiatique, obtenue en cachant ou minimisant les vastes manifestations de soutien au gouvernement, à Hong Kong – ils étaient plus de 100 000 réunis le 20 juillet pour protester contre les chemises noires -, et en taisant pudiquement l’origine sociale de ceux qui réclament le retour à l’état colonial.

La révolution noire de Hong Kong est par contre une excellente occasion pour remettre une grosse couche, ici en Occident, de propagande contre la Chine, et contre son « régime communiste». Le sujet n’est pas ici de discuter de la nature du communisme en Chine, des réserves ou interrogations qu’elle peut susciter – mais bien de l’exploitation qu’espère tirer des événements la bourgeoisie pour son combat continu contre le socialisme.

À l’heure où sont écrites ces lignes, il n’est pas encore clair si la Chine arrivera à faire échouer la sédition sans violence exploitable, ou si une intervention militaire s’avérera finalement inévitable. Les services  US travaillent activement pour aboutir à cette seconde issue. En octobre 2019, la Chine célébrera le 70e anniversaire de l’avènement de la République Populaire. Il est certain que nos médias sont actuellement avides de belles images « montrant » que le communisme écrase dans le sang les aspirations à la liberté et à la démocratie.

 

SOURCE: Investig’Action

NOTES:

[1] https://twitter.com/Liam_Stone18/status/1161408178526965760

[2] « À Hong Kong Protester’s Tactic: Get the Police to Hit You” [“Fais en sorte que la police te frappe”], New York Times, 30/06/2019

[3] « Déclaration commune sino-britannique sur la question de Hong Kong », 1984

[4] « Des sacs Dior aux taudis : Hongkong, concentré d’inégalités », Libération, 20/01/2019

[5] « Les manifestants de Hong Kong sont jeunes, éduqués et en colère », Le Vif, 14/08/2019

[6] Cf https://www.ned.org/region/asia/hong-kong-china-2018/

[7] Cf. par ex « La faute aux USA ! », Le Soir, 09/08/19

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