Que la solution à deux États meure de mort naturelle !

Cet article est une version modifiée d’un article publié dans Middle East Eye le 1er janvier 2018. Il soutient que les défenseurs sincères de la paix entre les Israéliens et les Palestiniens devraient accorder la priorité à combattre l’apartheid plutôt que de vouloir ranimer un « processus de paix » style Oslo (toujours une imposture) ou de proclamer que l’objectif d’une Palestine indépendante et souveraine est réalisable sans d’abord démanteler les structures d’apartheid, qui asservissent le peuple palestinien dans son ensemble, afin de préserver l’exigence sioniste qui veut qu’Israël soit l’état du peuple juif (plutôt que de lui procurer un foyer à l’intérieur d’un État légitime et normal dont les fondements sont l’égalité ethnique et religieuse, les droits de l’homme, et les principes laïcs.)


En dépit des apparences, ceux qui, en Occident, ne veulent pas rejoindre le parti de la victoire israélienne prématuré et inconsidéré, se cramponnent à la solution à deux États au milieu d’appels à renouveler les négociations diplomatiques directes entre les parties afin de parvenir, pour reprendre le discours grotesque de Donald Trump, à « l’accord définitif ».

Israël montre de plus en plus en actes et en paroles, y compris ceux de B. Netanyahu, son opposition inconditionnelle à l’établissement d’une Palestine véritablement indépendante et souveraine.

Le projet d’expansion coloniale s’accélère, assorti de promesses de plusieurs personnalités politiques israéliennes qu’aucun colon ne serait jamais expulsé d’une implantation même si les logements illégaux habités par des juifs ne se trouvaient pas dans une colonie reconnue comme annexable par Israël au cas où un accord était conclu sur d’autres questions.

Cramponnés à la solution à deux États

Qui plus est Netanyahu, même s’il s’adresse parfois aux Occidentaux comme s’il était en faveur d’une reprise des négociations de paix, apparaît bien plus sincère lorsqu’il exige la reconnaissance d’Israël en tant qu’État du peuple juif comme condition préalable à toute reprise des pourparlers avec les Palestiniens ou lorsqu’il participe à l’accueil des zélotes pro-israéliens américains qui déclarent avec insistance que le conflit est terminé, et qu‘Israël mérite d’être consacré vainqueur.

Pour couronner le tout, la décision de D. Trump du 6 décembre de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et d’y installer bientôt l’ambassade états-unienne, en réalité retire de futures négociations l’une des questions les plus sensibles, à savoir le statut et le partage de Jérusalem, bien qu’il prétendît dans son discours accompagnant sa déclaration laisser pour l’avenir la décision sur les limites et la répartition définitives de Jérusalem, trompeusement présentée comme restant ouverte à un accord que les parties devront conclure à une date ultérieure de leur choix.

Tout bien considéré, il semble temps de prendre en considération trois conclusions connexes.

1. Premièrement, les dirigeants israéliens ont rejeté la solution à deux États comme voie de règlement du conflit ;

2. Deuxièmement, Israël a créé des conditions, pratiquement irréversibles, qui font qu’il serait totalement irréaliste de s’attendre à la création d’un état palestinien indépendant ;

3. Troisièmement, D. Trump, plus encore que les présidents précédents, a visiblement pesé de tout son poids dans la diplomatie américaine en faveur des desiderata des dirigeants israéliens concernant la résolution de la lutte entre ces deux peuples vieille de plusieurs décennies.

Malgré ces obstacles, qui semblent en sceller le sort, de nombreuses personnes de bonne volonté attachées à la paix et aux compromis politiques, se cramponnent à la solution à deux états comme étant la voie la plus réaliste d’accéder à la paix.

Amos Oz, célèbre romancier israélien exprima récemment ce sentiment largement partagé au sein des partisans progressistes d’un Israël sioniste : « …malgré les revers nous devons continuer à œuvrer pour une solution à deux états. Elle demeure la seule solution pragmatique et réalisable à notre conflit qui a causé tant de souffrance et a versé tant de sang sur cette terre. »

Il n’est pas non plus négligeable que M. Oz ait fait cette déclaration en 2017 lors d’un appel de fonds de fin d’année en faveur de J-Street, la voix dominante du sionisme modéré aux États-Unis.

Ce que dit M. Oz, et ce que beaucoup pensent, c’est que la solution pour la Palestine passe nécessairement par l’existence d’un état juif indépendant souverain dans les frontières de 1967, base essentielle de tout accord global diplomatique et crédible.

Toute autre solution, en d’autres termes, ne serait ni « pragmatique, ni réalisable » selon M. Oz et bien d’autres. La raison en est rarement clairement exprimée, mais repose semble-t-il sur l’idée que le mouvement sioniste, dès sa création, cherchait un foyer pour le peuple juif qui ne pouvait être obtenu et correctement proclamé que sous la protection d’un état juif dont le cadre constitutionnel le placerait sous contrôle juif permanent.

Depuis de nombreuses années les dirigeants palestiniens reconnus internationalement partagent ce point vue, et lui ont accordé leur bénédiction officielle depuis la déclaration de l’OLP /CNP de 1988 qui envisageait de reconnaître Israël comme état légitime, à condition que l’occupation prenne fin, que les forces israéliennes soient évacuées, et que la souveraineté palestinienne soit établie dans la limite des frontières de 1967.

Il est à noter que cette reconnaissance conditionnelle palestinienne de l’état d’Israël accordait à ce dernier une délimitation territoriale significativement plus grande que celle que l’ONU avait proposée en guise de partage dans la résolution 181 de l’Assemblée Générale (ainsi Israël aurait 78% plutôt que 55% de tout le territoire sous Mandat britannique, laissant aux Palestiniens les 22% restants pour leur état.

Ce type de dénouement fut aussi adopté par l’Initiative de paix arabe de 2002 et dépeint avec assurance comme la solution sous la présidence Obama, et même adapté pour satisfaire les exigences israéliennes en matière de sécurité de façon à rendre cette solution attractive pour Israël.

Même le Hamas a souscrit à l’esprit de l’approche des deux états en proposant au cours de la dernière décennie un cessez-le-feu de longue durée, jusque 50 ans, pourvu qu’Israël mette un terme à l’occupation de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie, et de Gaza. Si Israël acceptait, la situation qui en résulterait concrétiserait la solution à deux états sous la forme de deux états de fait : Israël et Palestine.

Il ne diffère de l’approche des deux états que dans la mesure où il refuse d’accorder à Israël la légitimité de jure ou de renoncer officiellement à la revendication palestinienne à toute la Palestine. Parmi les insuffisances de ces approches pour la paix axées sur des critères territoriaux, on peut citer la marginalisation des griefs de près de sept millions de Palestiniens qui vivent depuis des générations comme réfugiés ou exilés involontaires.

De sérieux doutes

Il y a au moins quatre problèmes, commodément passés sous silence par les partisans des deux États, chacun d’eux étant suffisamment grave pour susciter de sérieux doutes quant à la viabilité et l’attrait de la solution à deux états.

1. Le sionisme libéral a exposé sa conception d’un règlement diplomatique que ne partagent pas les gouvernements du Likoud les plus à droite, qui ont dominé la politique israélienne depuis le début du 21ième siècle ; l’objectif israélien impliquait une expansion territoriale, notamment par l’annexion d’une Jérusalem agrandie, et par le biais d’un réseau extensif de colonies de peuplement et de liaisons de transport en Cisjordanie , soutenue par la conviction fondamentale qu’Israël ne devrait pas établir de frontières définitives, tant que toute « la terre promise » telle que décrite dans la bible ne soit considérée comme faisant partie d’Israël. En fait, malgré une certaine fausse pudeur à s’engager dans un processus diplomatique, Israël n’a jamais vraiment souscrit à un engagement envers un état palestinien dans les frontières de 1967 fondé sur l’égalité des deux peuples.

2. Israël a créé sur le terrain des faits de grande ampleur qui contredisent définitivement son intention proférée de rechercher une paix durable sur la base de la solution à deux états ; ces faits nouveaux sont liés aux colonies de peuplement, au réseau routier reliant les blocs de colonies à Israël, aux références à Israël et à la Cisjordanie, rebaptisée ‘Judée et Samarie, ’comme appartenant à l’Israël historique ou biblique.

3. La solution à deux états, telle qu’envisagée par ses partisans, en fait, ne tient pas compte du calvaire de la minorité palestinienne en Israël, qui représente 20% de la population, soit environ 1,5 millions de personnes. Attendre d’une minorité non juive si importante qu’elle accepte l’hégémonie ethnique et les politiques et pratiques discriminatoires de l’état israélien est irréaliste, ainsi que contraire aux normes internationales des droits de l’homme. De ce point de vue fondamental, un état ethnique qui ne reconnaît qu’un seul peuple à l’exclusion de tout autre, est en vertu de ses propres proclamations et structures juridiques, un état illégitime du point de vue du droit international.

4. Au delà de cela, le maintien d’Israël par rapport au peuple palestinien opprimé et dépossédé n’a pu se faire qu’en mettant en place des structures de domination ethnique sur le peuple palestinien dans son ensemble, ce qui constitue le crime d’apartheid. Tout comme en Afrique du Sud, il ne peut y avoir de paix avec les Palestiniens tant que ces structures d ‘apartheid utilisées pour soumettre le peuple palestinien ne soient abandonnées et démantelées (y compris celles imposées aux réfugiés et exilés involontaires palestiniens) ; ceci ne se produira pas tant que les dirigeants et les citoyens israéliens ne renoncent à maintenir qu’Israël est exclusivement l’état du peuple juif, avec un droit de retour exclusif et illimité pour tous les juifs et d’autres privilèges fondés sur l’identité ethnique juive ; en réalité, le cœur de la lutte concerne des gens plutôt qu’un territoire comme dans l’approche des deux états.

Si nous écartons la solution à deux états comme non voulue par Israël, inacceptable d’un point de vue normatif pour les Palestiniens, irréalisable du point de vue diplomatique, et non conforme au droit international moderne, alors quoi ?

Il faut bien comprendre que, même si une volonté politique forte et inattendue, authentiquement dévouée à la mise en œuvre équilibrée de la solution à deux états émergeait , il serait fort improbable qu’elle fût réalisable.

Dans ce contexte critique, nous sommes contraints de faire de notre mieux pour répondre à cette question obsédante : « Existe-t-il une solution à la fois souhaitable et réalisable, même si elle n’est actuellement pas perceptible à l’horizon politique ? »

Démanteler les structures d’apartheid

Selon les lignes tracées il y a vingt ans par Edward Saïd deux principes primordiaux sont incontournables si l’on veut aboutir à une paix honorable et durable : les Israéliens doivent disposer d’un foyer juif au sein d’une Palestine reconfigurée et éventuellement renommée de façon neutre, et les deux peuples doivent concevoir une autorité constitutionnelle qui garantisse les principes cardinaux d‘égalité collective et de dignité humaine individuelle.

Pour mettre en œuvre une telle vision, il semblerait nécessaire d’établir un état laïc unifié avec peut-être deux drapeaux et deux noms, ce qui lui donnerait une certaine ressemblance à un état binational. Il existe de nombreuses variantes, la condition sine qua non étant le respect existentiel fort de l’égalité des deux peuples inscrit dans les structures institutionnelles et constitutionnelles de gouvernance.

Edward Saïd était également convaincu qu’il devait y avoir une sorte de reconnaissance formelle des crimes passés d’Israël contre les Palestiniens, qui pourrait prendre la forme d’une commission de paix et de réconciliation qui aurait pour mandat de réviser toute l’histoire du conflit.

Si l’approche sioniste progressiste semble irréalisable et inacceptable, cette conception prescrite comme solution de rechange préférée n’est-elle pas ‘une utopie non pertinente ‘ qu’il faudrait écarter de risque de susciter de faux espoirs ?

Si les Palestiniens devaient proposer une telle solution dans le climat politique actuel, il ne fait guère de doute qu’Israël soit l’ignorerait soit la traiterait avec dédain, et qu’une bonne partie du reste de la communauté internationale se moquerait, pensant que les Palestiniens vivent dans un pays des rêves, fruit de leur propre imagination.

Ceci semble être une prévision juste, malgré mon insistance à répéter que la proposition ici faite est une utopie pertinente, la seule voie réaliste vers une paix juste et durable. Il ne fait aucun doute que l’actuelle constellation de forces est telle qu’un rejet initial est à prévoir. Toutefois, si l’Autorité palestinienne devait présenter une telle vision sous forme d’une proposition soigneusement élaborée, ce serait une nouvelle base de discussion plus sensible aux conditions réelles d’existence auxquelles sont confrontés les Israéliens comme les Palestiniens.

La principale question éthique et politique qui se pose est de savoir comment créer un élan politique en faveur d’un état laïc partagé à égalité entre les Israéliens et les Palestiniens. A mon avis, cela ne peut se produire dans ce contexte que si le mouvement de solidarité internationale qui soutient actuellement la lutte nationale palestinienne parvient à exercer une pression suffisante sur Israël afin que les dirigeants de celui-ci recalculent leurs intérêts.

Le précédent sud-africain, quoique différent à bien des égards, est néanmoins instructif. Rares sont ceux qui imaginaient qu’une transition pacifique de l’Afrique du sud de l ‘apartheid à une démocratie constitutionnelle fondée sur l’égalité raciale fût possible avant son avènement.

Je pense qu’un phénomène comparable est envisageable en Israël/Palestine. Toutefois, il y aurait sûrement une série de facteurs qui caractériseraient la spécificité de cette dernière phase du processus de transition.

En politique, si la volonté politique et les capacités requises existent et se mobilisent, l’impossible peut se produire et se produit, comme ce fut le cas en Afrique du Sud et dans les luttes contre les régimes coloniaux européens au cours de la deuxième partie du 20ième siècle.

En outre, en l’absence de la politique de l’impossible il n’existe pas de voie qui mène à une paix et une justice authentiques pour les Palestiniens comme pour les Israéliens. Les immenses souffrances persisteront, et la normalité d’une paix existentielle reposant sur le vivre ensemble dans le respect mutuel, régi par une version démocratique, humaine, et mature de l’état de droit, garanti par l’équilibre des pouvoirs, et assurant les droits fondamentaux inscrits dans la constitution sera insaisissable.

Ce n’est qu’alors, que nous pourrions en qualité de citoyens pèlerins dévoués à la construction d’un ordre mondial centré sur l’être humain accorder notre bénédiction à une paix légitime qui trouve un équilibre existentiel entre valeurs éthiques et réalités politiques.

 

#Richard Falk est professeur émérite, détenteur de la chaire Albert G Milbank de droit international à l’université de Princeton et chercheur à Orfalea Center of Global Studies. Il a aussi été rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l’homme palestiniens. Pour consulter son blog.

 

SOURCE: Chronique de Palestine

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