Que faire des déchets nucléaires ? (5/6)

Marcos Buser géologue et ancien membre de la Commission fédérale de sécurité nucléaire en
Suisse est expert du stockage des déchets radioactifs. Que pense-t-il du stockage géologique des déchets nucléaires ?

 

Suite à une discussion par mail (1*), voici ce qu’il m’a expliqué.

L’avantage du stockage géologique est que les scientifiques essaient de mettre une protection naturelle entre les déchets nucléaires enfouis à une profondeur de quelques centaines de mètres et la surface habitable. Une couche de 2-3 m de roche suffit, pour absorber pratiquement toute radiation. Aussi, toute installation souterraine suffit de loin pour la protection directe contre les radiations.

Reste de très nombreux problèmes.

Le premier, vous le connaissez. J’en ai parlé dans le message 1 du 19 janvier 2019. Il s’agit des risques de fissures dans la roche. A cause de ces fissures, le dépôt géologique, qui est une sorte de bâtiment souterrain, peut être envahi par l’eau. Conséquences? La radioactivité peut s’échapper et atteindre les eaux souterraines et les écosystèmes. Même à de faibles doses, ceci peut causer des effets néfastes pour la santé comme le cancer.

Le deuxième problème comprend une série de problèmes techniques à résoudre dont le plus critique est la réversibilité qui n’est au point! La récupérabilité d’un déchet fortement radioactif profondément enfouis n’a pas encore été démontré à l’échelle industrielle. Cette preuve manque. Ceci est grave. Toutes les tentatives de récupération de déchets radioactifs dans des anciennes mines profondes ont échoué à ce jour. Même pour la récupération de fûts ou colis de déchets chimiques enfouis dans des mines de sel profondes, les exploitants sont débordés (ex: Stocamine en Alsace).

Marcos Buser insiste beaucoup sur le fait que la maîtrise de la récupérabilité des déchets en sous-sol est une condition sine qua non pour tout projet de stockage géologique des déchets nucléaires. Ceci pour ne pas répéter les expériences ratées de stockage géologique des déchets nucléaires comme en Allemagne à Asse.

Troisième problème: les profondeurs de stockage géologiques prévus sont très insuffisantes, selon Marcos Buser. Par exemple, en France, le laboratoire de stockage géologique à Bure est à 500 mètres de profondeur. Les projets en Finlande, en Suède ou en Suisse envisagent les mêmes profondeurs. Marcos Buser pense que les déchets nucléaires devraient être enfouis si possible aussi profondément que la technique le permet. De nouvelles techniques de forage permettent d’aller à 5 kilomètres de profondeur et bien au delà. Et, il existe, déjà, la mine d’or de Tau Tona en Afrique du Sud qui est à presque 4 kilomètres sous terre.

Pourquoi est-ce important d’envisager de telles profondeurs, selon Marcos Buser? Il y a de nombreuses raisons.

La première est évidente: les déchets seraient moins facilement accessibles. Ceci limiterait davantage le risque d’intrusion humaine dans le site.

La seconde raison est qu’ainsi le centre de stockage géologique serait beaucoup plus loin des nappes phréatiques. Ceci devrait réduire les probabilité de polluer les eaux profondes dont l’humanité sera certainement plus dépendante à l’avenir.

Le quatrième problème est, comme déjà indiqué, l’intrusion humaine.

Pourquoi les êtres humains chercheraient à entrer dans un lieu aussi dangereux?

Les raisons sont simples.

– Les déchets hautement radioactifs peuvent être recherchés car ils sont des combustibles nucléaires potentiels.

– De plus, les fûts contenant les déchets nucléaires étant en cuivre, ils peuvent être convoités pour leur intérêt économique. En effet, un colis en cuivre coûte quelques centaines de milliers d’euros. A raison de 9 000 colis de cuivre envisagés pour le projet suédois, ceci signifierait entre 2,5 et 3 milliards d’euros qui seraient enterrés. Les convoitises des générations futures seront fort probablement éveillées.

– Une troisième raison est que l’on ne sait pas comment les sous-sols seront utilisés dans l’avenir mais nous savons déjà que les techniques d’intrusion deviennent de moins en moins chères, se perfectionnent (ex: Herrenknecht AG) et qu’il y a des conflits d’intérêts concernant l’exploitation des sous-sols.

– Finalement, les déchets nucléaires ont toujours été considérés par les militaires comme des armes potentielles. Aussi, il est concevable que des états mal intentionnés cherchent à les sortir de leur site de stockage.

Qui nous dit que notre civilisation va tenir, sur les prochains milliers d’années?

Le cinquième problème est le marquage. Est-ce que les sites de stockages géologiques doivent être marqués ou non pour les générations futures? Si oui, comment informer nos descendants sur la dangerosité de ces lieux de stockage pour les millions d’années à venir? Comment leur expliquer qu’il ne faut absolument pas essayer d’entrer dans ces lieux de stockage? Comment communiquer ceci à des personnes dont on ignore la langue, les codes et la culture? Etc. (2*)

Le sixième problème est l’industrie nucléaire (et son administration) elle-même. Marcos Buser explique, entre autre, dans un livre qui paraîtra en mars 2019 (3*), les manipulations et tricheries de cette industrie et de son système administratif. Alors, comment faire confiance à l’industrie nucléaire sur un sujet si grave? Aucun projet de stockage géologique des déchets nucléaires réalisé jusqu’ici a fait preuve d’une gestion compétente et cohérente à long terme, selon Marcos Buser.

Dernier problème: les institutions du nucléaire exercent des pressions pour empêcher leurs employés d’exprimer toute contestation aux projets de stockages géologiques des déchets nucléaires. Marcos Buser m’a expliqué avoir subi ce type de pressions: « Je suis traité comme dissident, avec toute la panoplie de mesures de répressions du système occidental. On n’a pas besoin de goulag ici, la majorité des gens se taise dès que les institutions commencent à les réprimander. Ça n’a jamais fonctionné avec moi. Mais, je ne vous cache pas que ce n’est pas toujours très agréable. » (4*)

Les problèmes du stockage géologique des déchets nucléaires se multiplient. C’est la raison pour laquelle de nouveaux modèles de gestion pour les déchets radioactifs sont indispensables.

Alors que faire des déchets nucléaires?

Nous verrons ceci dans le prochain message.

Je remercie Marcos Buser pour son aide dont sa relecture.

 

Notes

(1*) Mails Marcos Buser du 26 au 30 novembre 2018

(2*) https://www.oecd-nea.org/rwm/reports/2013/rwm-r2013-3.pdf

(3*) Livre de Marcos Buser « Whohin mit dem atom müll ?» https://rotpunktverlag.ch/autoren/marcos-buser

Voici une brève description du contenu:

Jusqu’aux années 1970, la question de savoir où mettre les déchets nucléaires semblait être un problème secondaire. L’énergie nucléaire a explosé – également grâce à un lobby bien connecté qui a tiré les ficelles à l’arrière-plan. Le mouvement écologiste, les initiatives citoyennes et les images inquiétantes d’installations d’entreposages provisoires dans lesquelles les barils rouillent ont changé la donne.

Marcos Buser connaît le processus de recherche de site depuis l’intérieur du système. Il a été membre de diverses commissions et autorités dont la Commission pour la sûreté nucléaire en Suisse – jusqu’à sa démission en signe de protestation. Sa critique : Les cadres pour la recherche d’un dépôt de déchets radioactifs sont établies par l’industrie nucléaire. La politique est à la traîne. Mais l’industrie peut-elle assumer une responsabilité qui s’étend sur des milliers d’années ? Marcos Buser dit clairement non.

S’appuyant sur des décennies d’expériences, Marcos Buser décrit les mécanismes de la politique nucléaire, l’influence de l’industrie nucléaire et sa manière de traiter les critiques et les avertissements. Enfin et surtout, il préconise une nouvelle culture du débat – une culture qui regarde ouvertement les risques en face au lieu de les balayer sous le tapis.

(4*) Mails Marcos Buser du 17 décembre 2018

Information complémentaire :

Blog de Marcos Buser et Walter Wildi https://www.nuclearwaste.info/

 

Source : Investig’Action

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