Quand la sécheresse frappe

De nombreuses protestations ont eu lieu ces dernières semaines concernant le traitement médiatique des évènements climatiques de l’été. Alain Adriaens analyse dans cet article quelques-uns des effets provoqués par la sécheresse. (IGA)

Habituellement, quand deux connaissances se croisent dans la rue, on dit qu’en général elles parlent de la pluie et du beau temps. Mais en cet été 2022, pas de pluie et trop de beau temps. Le n°1 des conversations, ce sont la sécheresse et la canicule. Quand on en parle, les commentaires tournent autour de la difficulté de supporter la chaleur lors des pics de température qui se succèdent ou des problèmes que la sécheresse cause aux agriculteurs ou aux jardiniers amateurs (vu la pénurie d’eau potable qui se profile, de plus en plus de communes interdisent de laver sa voiture, de remplir sa piscine et d’arroser son jardinet). La sécheresse a d’autres conséquences que celles-là et nous allons tenter de les lister et de les analyser un peu en détail.

Mesurer la sécheresse

L’indice xérothermique est principalement utilisé dans les zones semi-arides pour déterminer le degré de sécheresse selon les endroits. Il mesure le nombre de jours biologiquement secs dans une année pour un endroit donné. Il s’échelonne donc entre 0 et 365. Il est issu d’une formule qui intègre non seulement les précipitations stricto sensu, mais tient aussi compte de la température, des brouillards, de la rosée et de l’état hygrométrique de l’air. En général, il est admis qu’un milieu est non aride lorsque l’indice est inférieur à 100, semi-aride entre 100 et 290, aride entre 290 et 350, et hyperaride entre 350 et 365. Par exemple, selon le calcul, on trouve un total de 0 jour biologiquement secs à Lyon, pour 60 jours biologiquement secs à Marseille.

Pour cette année exceptionnelle qu’est 2022, il ne serait pas étonnant que plusieurs lieux en France, surtout dans le Sud-Ouest, aient un indice xérothermique supérieur à 100 et soient donc classés dans la catégorie des zones semi-arides. On verra dans 4 mois ce qu’il en est.

Les incendies

Quand il fait chaud et sec, des incendies se déclarent dans les forêts. Chaque année des corps de pompiers spécialisés interviennent pour maîtriser ces feux. Mais en cette année, les incendies ont été plus nombreux que jamais (1) et se sont déclarés dans des lieux situés plus au nord, là où les habitants et les pompiers n’étaient pas du tout habitués à de tels événements. On a même assisté à des méga feux, des phénomènes d’une intensité telle que les pompiers sont impuissants malgré l’aide d’avions qui larguent de grandes quantités d’eau sur les zones en feu.
Si l’anomalie climatique est à l’origine de ces incendies, il faut constater que leur progression rapide est causée par des aménagements déficients : absence de débroussaillage et monocultures d’espèces très sensibles aux feux comme les pins. À l’avenir, comme il est plus que probable que les épisodes de sécheresse vont se multiplier, les gestionnaires des forêts, privés ou publics, devront modifier leurs pratiques et notamment planter des espèces résistantes aux feux.

 

La production des centrales nucléaires

Les centrales nucléaires pompent l’eau pour le refroidissement des réacteurs, avant de la rejeter réchauffée dans le cours d’eau dans lequel elles s’approvisionnent. Chaque centrale a ses propres limites réglementaires de température de rejet de l’eau à ne pas dépasser, afin de ne pas échauffer les cours d’eau environnants et d’en protéger la faune et la flore. Pour maintenir la production des centrales, les arrêtés fixant les limites de rejet prévoient également des seuils plus élevés “en conditions climatiques exceptionnelles”, comme c’est le cas actuellement. Manifestement l’économie et la quantité d’électricité produite sont plus importantes que la faune et la flore.
Malgré ce laxisme, plusieurs réacteurs nucléaires d’EDF ont été contraints d’abaisser leur production en raison des températures élevées des cours d’eau utilisées pour leur refroidissement a indiqué l’entreprise. « Les conditions climatiques exceptionnelles actuelles se traduisent par une montée de la température de la Garonne (2) qui a atteint 28 degrés ! (…) À la demande du gestionnaire de réseau d’électricité national (RTE), l’unité de production n°2 de la centrale de Golfech reste en production (puissance minimale)”, indique EDF. Cette puissance minimale correspond à environ 300 MW, contre 1.300 MW normalement.

EDF a prévenu qu’il pourrait être contraint d’abaisser sa production nucléaire ces prochains jours et même arrêter un réacteur de la centrale du Tricastin (Drôme) en raison des températures élevées du Rhône (25°). Des baisses de production pour les raisons d’élévation de température de l’eau des fleuves interviennent régulièrement en période estivale., mais cette année elles sont intervenues bien plus tôt que d’habitude, dès le mois de mai. EDF précise que depuis 2000 les pertes de production ont représenté en moyenne 0,3% de la production annuelle du parc. Ce chiffre risque de s’élever significativement cette année et celles qui vont venir.

L’impact sur la santé

Si la chaleur excessive dérange tout un chacun, elle peut aussi tuer, surtout les personnes les plus faibles, c’est-à-dire les personnes âgées. Ainsi, si l’on observe l’évolution de l’excès la mortalité par rapport à ce qui est attendu, pour l’année 2020, on observe le graphique qui suit.

Source ; Euromomo, graphs and maps, https://www.euromomo.eu/graphs-and-maps

On observe qu’il y a deux pics importants au début et vers la fin de l’année 2020, au moment où les ravages du Covid connaissaient aussi un maximum. Mais au cœur de l’été, on observe un troisième pic alors que l’infection au Covid était la plus basse. Cela correspond en fait à la canicule connue cette année-là. Cela confirme graphiquement ce que les médecins dénoncent au vu de leurs propres statistiques ; des dizaines, voire des centaines centaines de personnes ont connu un mort prématurée à cause de la chaleur trop élevée.
Si l’on mesure la surmortalité pour les personnes âgées, on observe ce qui suit.

Les pics dus au Covid sont bien là, encore plus élevés que pour la moyenne de tous âges, mais on décèle aussi un petit pic estival en 2018, en 2019, en 2020, aux étés avec une petite (3) période caniculaire, mais pas en 2021 quand l’été fut « pourri ». Le pic estival de 2022 s’annonce déjà fort élevé.
Là ce sont une attention encore plus grande accordée aux pensionnaires des homes et les visites de soutien aux personnes âgées seules qui devront être développées.

L’entrave à la navigation

Plusieurs cours d’eau voient leur débit diminuer et souvent les éclusages (qui font perdre vers l’aval de grosses quantités d’eau) sont ralentis. Mais la situation la plus critique est vécue sur le Rhin qui est considéré comme une autoroute fluviale et qui est probablement la voie navigable la plus fréquentée d’Europe. Le Rhin prend sa source dans les Alpes suisses et se jette dans la mer du Nord, en traversant le cœur industriel de l’Allemagne. C’est un axe majeur pour le transport de produits tels que les céréales, les produits chimiques et le charbon.
Non seulement la température du fleuve a augmenté fleuve jusqu’à 25° (mauvais pour les poissons cela), mais son niveau a sérieusement baissé. En effet, là aussi, des semaines de températures caniculaires et de faibles précipitations cet été ont en partie asséché la grande artère fluviale commerciale d’Allemagne, entraînant des retards dans les livraisons et multipliant par cinq les frais de transport. (4)
Des péniches de gros tonnage sont obligées de se charger à 30 ou 40% du fret habituellement transporté. D’autres navires ont carrément arrêté de naviguer, car ils craignent l’échouage. Le capitaine d’une péniche qui a osé se lancer explique : « Normalement, il y a plus de deux mètres sous le navire, mais maintenant il n’y a que 40 centimètres à certains endroits. La difficulté, c’est de passer ces points sans endommager le navire ».« En raison des faibles niveaux d’eau, la route de navigation devient plus étroite et nous commençons à voyager comme des trains, en convoi », ajoute-t-il.

Les goulets d’étranglement qui résultent de cette grave perturbation de la navigation constituent un nouveau frein pour la plus grande économie d’Europe, déjà aux prises avec des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement mondiales et une flambée des prix du gaz après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février. Le renchérissement du transport va gonfler les coûts des entreprises chimiques, en particulier celles dont les installations de production se trouvent sur le Rhin supérieur. Cela pourrait entraîner des baisses de production.(5) C’est très dangereux pour l’économie en ce moment, car les centrales à charbon, en particulier, qui sont devenues extrêmement importantes comme alternatives pour produire de l’électricité à la place du gaz sont les plus touchées. Elles sont en effet confrontées à des pénuries d’approvisionnement, car les navires ne sont plus en mesure de transporter suffisamment de charbon.

Des économistes estiment que toutes ces perturbations pourraient réduire d’un demi-point de pourcentage la croissance du produit intérieur brut de l’Allemagne cette année. Certains craignent qu’à ce stade, les basses eaux pèsent sur le PIB d’un quart à un demi-point de pourcentage. Un économiste à la Deutsche Bank, prévoit que l’économie allemande basculera en légère récession à partir du troisième trimestre et que la croissance en 2022 sera que de 1,2%. « Si les niveaux d’eau continuent de baisser, la croissance pourrait également tomber juste en dessous de 1% » prévient-il.

Nous avons peut-être accordé trop de place aux effets économiques de la sécheresse et pas assez aux impacts sur la biodiversité et le paysage. La fonte des glaciers est une conséquence dramatique et peut provoquer la solastalgie (6) chez certains. Pour ce qui est de la faune, de plus en plus d’espèces migrent vers le nord, mais n’y trouvent pas l’environnement qui leur convient. En effet, les végétaux eux ne migrent pas (ou pas aussi vite). On a donc des écosystèmes perturbés et les espèces le plus fragiles, déjà en voie de disparition pour d’autres causes, sont gravement affectées par les changements climatiques. On aura l’occasion d’y revenir : ici on n’a qu’une approche générale. La charge est déjà assez lourde et les climatosceptiques doivent avoir une bonne dose de mauvaise foi pour ne pas admettre qu’ils se sont trompés.

 

1 Début août le décompte des forêts envolées en fumée est évalué à 70.000 hectares en France ! Les dégâts dans la péninsule ibérique, Espagne et Portugal sont encore plus importants.

2 Rivière dans laquelle le réacteur de Golfech puise et renvoie les eaux réchauffées passées dans ses aéroréfrigérants.

3 Petite par rapport à l’année 2022 où l’on a assisté à 3 ou 4 canicules.

4 Les coûts du fret sur le Rhin, pour une péniche de transport de liquides, ont grimpé à environ 110 euros par tonne, contre environ 20 euros en juin. 

5 Le groupe chimique BASF a averti qu’il ne pouvait pas exclure des réductions de production.

6 Ce néologisme, solastalgie est une forme de souffrance et de détresse psychique ou existentielle causée par les changements environnementaux passés, actuels ou attendus.

Source: Pour.press

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