Pourquoi Alain Soral et Comprendre l’Empire méritent d’être étudiés de près (1/2)

Alain Soral est devenu populaire auprès d’un large public, car il a osé aborder de front des sujets tabous comme Israël, la finance et les guerres de l’Otan. Il a en outre bénéficié d’un joli coup de pub de la part des dirigeants politiques qui ne tiennent par leurs promesses, des médias qui censurent et de la gauche qui a déserté de trop nombreux champs de bataille. Mais suffit-il de tenir un discours à contre-courant pour avoir (presque) toujours raison ? Si Alain Soral a déjà été attaqué pour ses frasques racistes ou les zones d’ombre de son petit business, très peu avaient pris la peine d’analyser ses idées sur le fond. Pourtant, ce débat est essentiel si on veut pouvoir vraiment changer les choses. Entre les tentatives de censure et les manipulations, Michel Collon développe ainsi une analyse objective de cet Empire que Soral prétend avoir compris. Découvrez la première partie de l’introduction du livre Pourquoi Soral séduit.

 

 

 

 

L’intellectuel le plus influent

Il faut voir les choses en face. Que cela plaise ou non, Alain Soral est aujourd’hui l’intellectuel français le plus influent auprès de la jeunesse. Absent des médias, absent des luttes, il est par contre omniprésent sur Internet et dans les conversations. Son livre Comprendre l’Empire s’est vendu à cent mille exemplaires en trois ans, ses vidéos, longues et payantes, battent des records d’abonnement et son site Egalité et Réconciliation est le plus fréquenté des sites politiques français.

D’où lui vient cette popularité ? De ses thèmes à la mode, certes : Soral pourfend Israël, les juifs, les banques et la finance, l’impérialisme US, les partis traditionnels, les marxistes. Mais aussi de discours à contre-courant : il vante les valeurs traditionnelles, la religion catholique, l’Ancien Régime d’avant 1789, il prône un Etat fort, le culte du chef et rejette la démocratie.

Et si cette popularité venait surtout de… ses adversaires ? Quand le candidat Hollande promet des mesures fortes contre « mon ennemi invisible, la finance », et que le président Hollande fait exactement le contraire, ne fait-il pas la promo de Soral ? Quand Bernard-Henri Lévy, jamais gêné d’avoir excité des désastres un peu partout, monopolise des médias complaisants, ceux-ci ne font-ils pas la promo de Soral ? Quand le lobby pro-Israël réussit à empêcher tout débat public sur le dernier colonialisme de la planète, ne fait-il pas la promo de Soral ?

Le seul qui leur parle

Mais qui sont ces gens qui suivent Soral ? Très divers, ils ont ceci en commun : ils ont perdu confiance dans les dirigeants politiques qui ne les écoutent pas et lancent plein de promesses qu’ils ne comptent pas tenir. Ils ont perdu confiance dans les médias qui reflètent les vues de l’élite, relaient des mensonges à chaque guerre et n’en tirent aucune leçon. En retour, ces gens sont copieusement méprisés par les politiques et les médias qui les considèrent « populistes », « complotistes » et irrécupérables. Comme on a pu le constater en Europe et aux Etats-Unis, la masse ne cesse de grandir des gens qui se sentent humiliés et exclus par le système.

Soral, par contre, s’adresse à eux. Il leur parle de réalités importantes : les inégalités qui explosent, la droite et la gauche qu’on n’arrive plus à distinguer, l’humiliation des pays du Sud, les ingérences permanentes des Etats-Unis qui multiplient les guerres « humanitaires », l’arrogance d’Israël qui massacre régulièrement les Palestiniens mais continue à recevoir chaque année des milliards de dollars de ses protecteurs occidentaux. Tout cela met en rage des millions de gens et Soral vient leur dire : « Je vous comprends ». Il leur propose même une place dans la société. Une place parfois curieuse, mais une place. Ces gens adorent Soral : enfin quelqu’un ose dire ses quatre vérités à ce système.

Le positif du « phénomène Soral »

Nous allons ensemble examiner ce que vaut l’analyse présentée par Soral dans son livre « Comprendre l’Empire ». Mais d’abord, on doit souligner le côté positif du phénomène Soral : les gens cherchent ce qu’on ne leur dit pas sur la Finance, les guerres ou Israël. Ils cherchent la vérité en dehors des discours qui dominent la télé et les manuels scolaires. C’est un premier pas.

Notre société subit des révoltes massives de sa jeunesse. Certains brûlent des bagnoles. Certains se passionnent pour les complots. Certains rejoignent les nouvelles milices de l’extrême droite violente. D’autres se suicident en massacrant des innocents avec Daesh, forme ultime du désespoir et du nihilisme. Et que fait la société ? Aucun examen de conscience sur les causes économiques et sociales de ce désespoir. Pas de débat véritable avec tous les acteurs, et donc aussi avec ceux qui s’appellent les « dissidents ». On ne vous parle pas !

Pourquoi Soral rencontre-t-il un si grand succès auprès de la jeunesse ? Parce qu’il répond à un besoin qui n’est pas satisfait ailleurs. Aux jeunes, il dit trois choses importantes : 1. C’est le système qui est malade. 2. On a donc raison de se révolter. 3. Il faut tourner sa colère contre les responsables, il faut des cibles. Trois choses que la gauche disait et ne dit plus.

Aux jeunes, il dit trois choses importantes que la gauche ne dit plus

1. C’est un système global qui est malade. Il ne s’agit pas de résoudre tel ou tel problème temporaire, comme le disent tous les partis traditionnels et les experts officiels. Non, le problème, c’est le système. Quarante ans qu’en-haut on parle de « la crise » et qu’on promet des emplois à condition de faire des « sacrifices ». Quarante ans qu’en-bas on voit arriver les sacrifices, mais jamais les emplois. La pauvreté et la précarité ne cessent d’augmenter en même temps que les fortunes des milliardaires. Ce discours hypocrite ne trompe plus personne, on ne l’écoute même pas.

2. On a donc raison de se révolter. Et radicalement. Ce mot veut dire : en prenant le mal à sa racine. Justifié si on critique un système. Mais ce mot est aujourd’hui diabolisé : le langage officiel assimile la radicalité au terrorisme. Piètre subterfuge : on ne répond pas au problème dans la réalité, mais en truquant le langage. On a donc raison de se révolter mais la gauche officielle se méfie à présent des révoltes : elle ne peut pas à la fois gérer le système, en recevoir les avantages et plaire aux révoltés.

3. Et on a raison de chercher des responsables. Puisque ce système tourne en rond depuis si longtemps, on a donc raison de chercher des responsables contre qui tourner sa colère. On doit cibler des adversaires précis, ceux qui sont à l’origine des injustices, de l’exploitation et des guerres. Mais là aussi, les partis traditionnels en sont incapables, ne cessant de répéter que nous sommes tous embarqués dans le même bateau et qu’il faut nous serrer les coudes.

« Guerre de classe » ou pas ?

« Tous dans le même bateau » ? Ce n’est pas ce que dit le milliardaire Warren Buffet, troisième homme le plus riche du monde : « Oui, il y a bel et bien une guerre des classes, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui fait la guerre et c’est nous qui la gagnons. »i. Ceci, la gauche officielle, la gauche molle, fait semblant de ne pas l’entendre. Et, dans les médias, l’expression « lutte de classe » est devenu un tabou obscène. Pourtant, ce milliardaire sait d’où provient sa fortune, non ?

Dans les médias officiels, on ne trouve aucune investigation sur l’essentiel. Ni sur la crise (depuis quarante ans, les explications diverses et superficielles s’accumulent sans analyse critique), ni sur la Finance (on révèle bien tel ou tel fraudeur fiscal, mais pas les mécanismes fondamentaux et « légaux » par lesquels l’ensemble du monde de la finance vole les citoyens), ni sur les guerres (prétendues humanitaires et démocratiques, en censurant la contestation), ni sur Israël (dont le lobby inspire une véritable panique dans toutes les rédactions officielles).

Quiconque n’est pas satisfait et commence à chercher ailleurs se voit traiter de « conspirationniste ». Des théories fantaisistes fleurissent effectivement en abondance. Mais les analyses sérieuses sont jetées avec la même eau du bain, sans débat, sans explication, juste un collage d’étiquettes, pour cacher le manque d’arguments sur le fond. Et tout ceci alimente une frustration dont je crois qu’on n’a pas pris la mesure, même parmi les journalistes qui essaient de faire honnêtement leur boulot.

Désarroi au sein de la « dissidence »

Que tant de gens s’intéressent à ces problèmes est donc un signal positif. Mais gare aux fausses pistes et aux divisions factices ! Aujourd’hui, nous voyons que des couches sociales importantes se révoltent et sont en recherche. Nous voyons aussi beaucoup de confusion, comme le constate le rappeur Médine : « Les contradictions sont très présentes dans ce qu’on appelle aujourd’hui la « dissidence ». Cette prétendue dissidence ne fait finalement qu’amener beaucoup de complotisme, de désarroi, jette un peu plus de flou dans les quartiers populaires aujourd’hui. »ii

Je peux confirmer. Mais ce désarroi n’est pas une fatalité, cette situation peut se transformer. J’ai une certaine expérience de ce public puisque ça fait vingt-cinq ans que je sillonne la France, la Belgique, la Suisse et d’autres pays, j’ai donné des centaines de conférences, participé à des débats, organisé des ateliers de formation, discuté avec des milliers de gens et j’en ai énormément appris. Mon expérience de ce public ? Je la résumerais en quatre mots : méfiance, colère, envie de bouger, sentiment d’impuissance.

Une génération déchirée

En France et ailleurs, nous avons aujourd’hui toute une génération 18-35, largement issue de l’immigration, mais pas seulement. D’un côté, elle est en révolte contre le système et prête à bouger. De l’autre côté, elle nage dans une grande confusion politique, ne croit plus à « gauche et droite » et ne dispose pas des concepts-clés pour analyser le monde actuel. Cette génération manque de confiance en soi car elle est déchirée entre sa colère et sa peur. La colère vient du dégoût face à une société hypocrite et menteuse. La peur provient de l’incertitude économique, du chômage omniprésent, de la répression raciste.

Cette peur peut l’amener vers des positions de repli sur soi et de recul vers le passé. Ou à se réfugier auprès des gourous rassurants puisqu’ils font tout le boulot et se disent capables de tout expliquer. Je pense que l’on n’a pas besoin de gourous, mais d’autre chose. Nous verrons de quoi.

A propos de cette génération dissidente et révoltée, il convient de se poser cette question : Alain Soral, homme de spectacle, pousse-t-il les gens à l’action concrète ou à rester passifs dans la complainte ? Voilà pourquoi son livre Comprendre l’Empire est très important, voilà pourquoi il faut en débattre largement. En posant trois questions :

  1. L’analyse de Soral permet-elle de comprendre l’exploitation, la crise et la guerre ?

  2. Quelle solution propose-t-il ?

  3. Fournit-il à ses lecteurs les instruments pour agir ?

Que vaut l’analyse de Comprendre l’Empire ?

Ils sont donc de plus en plus nombreux ceux qui cherchent une alternative au système et qui se posent des questions importantes. La toute première qui se pose aujourd’hui, alors qu’on cible de plus en plus le fameux « 1% » des super-riches, est évidemment : où se trouve le centre décisionnel de ce système ?

Et là, le problème est qu’avec Soral, on a beaucoup de réponses, on a même l’embarras du choix. Page 60, il nous dit que la plus grande fortune du monde, le centre caché du pouvoir, c’est la Federal Reserve (la banque centrale US à New York). Page 71, c’est plutôt l’ensemble des banques. Page 106, ce sont les francs-maçons. Page 109, ce sont plutôt les juifs. Page 177, c’est l’Etat d’Israël. Page 113, c’est devenu carrément la secte secrète des Illuminati. Mais page 112, on apprend que tout cela provient en réalité de Satan. Ça fait beaucoup de cibles, non ? Ne faudrait-il pas choisir ? Nous allons analyser soigneusement chacune de ces explications.

Déjà on peut se poser la question : comment admettre un si grand nombre d’explications « décisives », mais contradictoires entre elles ? Le monde est-il vraiment si compliqué ?

Nous en avons parlé avec des amis, intrigués eux aussi par la démarche de Soral. Pour Emmanuel, l’explication est que Soral est un grand lecteur mais pas un vrai théoricien. De ses lectures, il copie ce qui lui plaît et se laisse porter par les raisonnements d’autres, sans arriver à choisir. On trouverait ainsi, côte à côte, des emprunts à toutes les grandes théories de l’extrême droite sur les divers boucs émissaires et des emprunts aux diverses formes de théories complotistes. Pour Max, l’explication serait plutôt dans une stratégie de drague. Auteur d’un livre à succès, Sociologie du dragueur paru en 2004 où il expose des stratégies particulièrement méprisantes et cyniques envers les femmes, Soral continuerait à appliquer la même stratégie mais pour la drague politique cette fois : comme il vise divers publics, aux expériences et positions différentes et parfois contradictoires, il raconterait à chacun ce qu’il a envie d’entendre, sans se soucier des contradictions. Ce livre va donc vérifier comment se construit la « doctrine Soral » et si elle est cohérente.

« Je ne prends pas tout, je fais le tri »

Quand vous parlez à des partisans de Soral, ils vous disent souvent : « Je ne suis pas d’accord avec tout ce que Soral dit, il y a des choses que je n’aime pas, mais il s’oppose au système et il ose tout dire. » Apparemment, le fait est connu, et le chercheur Eric Marlière l’explique ainsi : « Le propre de la parole de Soral, c’est qu’elle va très vite et qu’elle est pleine de digressions. Automatiquement, les gens qui l’écoutent font le tri et ne retiennent que les thèmes qui les concernent ou les convainquent le plus. »iii

Bref, chacun prend seulement ce dont il a envie, on pêche parmi les thèmes sans faire attention à l’explication globale ? « Je n’ai jamais pris ce qu’il dit au pied de la lettre, confirme Achille, un adhérent d’Egalité & Réconciliation. Moi, comme tous les sympathisants que je connais, nous allons presque systématiquement vérifier ce qu’il avance, et nous ne retenons pas tout. »iv

Vérifier ! Saine démarche, à propos de n’importe qui d’ailleurs. Mais est-elle appliquée à fond ? Demandons alors à tous ceux qui ont lu ce livre Comprendre l’Empire : pourriez-vous résumer en une phrase ce que Soral propose à la place du système qu’il critique ? Il est probable que les réponses seraient variées et contradictoires. Les lecteurs qui retiennent de Soral ce qui leur plaît et écartent le reste pourraient-ils être victimes d’une stratégie de drague plutôt cynique ?

Drague politique ?

La question se pose, en effet : après avoir été un dragueur sexuel, particulièrement cynique, voire manipulateur selon ses propres dires, Soral est-il devenu un dragueur politique, et toujours cynique ? Comment expliquer que, d’un côté, il appelle à respecter les Arabes et les musulmans, mais que, de l’autre, il dresse une statue au raciste Jean-Marie Le Pen, tortionnaire impitoyable des Algériens pendant la colonisation française ?

Y aurait-il ici un point commun avec les politiciens traditionnels ? Eux aussi, pour séduire leurs « cibles » racontent ce que celles-ci souhaitent entendre. Or, nous l’avons dit, Soral vise plusieurs cibles, plusieurs publics très différents et parfois très opposés. Il parvient à dire tout et son contraire, parfois dans le même chapitre ou la même vidéo. Pourtant on ne peut pas dire en même temps que la Terre est ronde et qu’elle est plate. Il faut choisir.

Pourquoi insistons-nous sur ce point ? Nous allons montrer que se limiter à telle ou telle phrase d’Alain Soral qu’on « aime bien » ne suffit pas. Il faut comprendre l’essence de sa pensée. Comme avec les politiciens, il faut distinguer la stratégie de séduction (Soral est très bon dans la ‘com’) de l’essence du programme, le vrai projet politique qui n’est pas dit clairement. Pêcher çà et là une bonne phrase, en ignorant son contexte, c’est courir le risque de se faire égarer. Peut-on choisir telle ou telle pièce d’un puzzle et ignorer les autres ? Sa doctrine ne forme-t-elle pas un tout, un programme politique à déchiffrer ? Où Soral veut-il nous mener ?

Si on prétend « comprendre l’Empire », il n’est pas suffisant d’avancer telle ou telle affirmation plus ou moins vraie sur la Finance, sur Israël, sur les guerres des Etats-Unis. Il faut pouvoir expliquer vraiment d’où proviennent les inégalités, comment fonctionne l’économie, par quels mécanismes se creuse l’écart riches – pauvres, pour quelles raisons précises les stratégies économiques débouchent sur des guerres. Ce ne sont pas des points de détail, c’est l’essence du système.

Une conception de « l’Empire » qui divise les « dissidents » ?

Aujourd’hui, les contestations et les résistances se multiplient dans le monde. Un concept les résume : les 99% face au 1%. Mais qui est ce 1% ? Pour bien lutter, il s’agit de ne pas se tromper de cible, et de ne pas se disperser en visant des cibles différentes.

Soral arrive avec une réponse très simple : ce sont les juifs. Il ne cesse d’en parler dans son livre et dans ses vidéos. A ses yeux, la religion judaïque est le problème central de notre société actuelle. En résumé, pour Soral, l’Empire, ce sont les banquiers juifs de New York, mus non par l’appât du gain comme on pourrait le penser, mais par « une idéologie puisée à l’Ancien Testament » (page 72). Appuyés par leurs relais dans le monde, et notamment par les francs-maçons. Alors que le monde entier cherche à comprendre les mécanismes du système et à comprendre où se trouve le « 1% », Soral apporte donc cette réponse très simple. Ou simpliste ?

Nous parlerons des juifs. Mais, pour vérifier s’ils jouent effectivement ce rôle central, il nous faut d’abord comprendre comment fonctionne le système économique et financier. Dans son chapitre 2, Soral nous annonce une analyse de la crise. Cette analyse explique-t-elle l’ensemble des faits se déroulant sous nos yeux ? Et pourquoi y retrouve-t-on certains raisonnements tenus également par des personnalités comme Sarkozy, Hollande, Rocard ou George Soros, qui ne sont pas précisément des dissidents ?

Un bon système, qui souffre d’une maladie ?

Dans la doctrine Soral, le capitalisme est un bon système mais il est détourné et déformé par une sorte de maladie temporaire : la domination de la finance juive. Si on le guérit de cette maladie, on aura un bon système capable d’assurer le bonheur de l’humanité par la Justice sociale. Bref, le système capitaliste serait la solution à condition d’avoir de meilleurs leaders. Je vais prouver que cette thèse est fausse.

Je pense que le mal est bien plus profond que cela. Que nous devons carrément changer les règles économiques elles-mêmes et, pour cela, transformer toute la vie politique. Par une véritable révolution démocratique. C’est-à-dire non pas une démocratie contrôlée par l’argent du 1%, mais une démocratie active à laquelle participent les 99%.

Or, Soral refuse la démocratie car il ne fait pas confiance aux gens, il ne cesse de le répéter, les considérant comme passifs et incapables de quoi que ce soit. A la place, il propose un culte du chef (devinez qui), lequel serait seul capable de changer les choses de façon autoritaire. Restez passifs, Soral va tout régler. Eh bien, je ne crois pas que ça puisse fonctionner ainsi.

Les gens méritent de vraies réponses

Quand il parle de lui-même, Soral n’a pas une mauvaise opinion de sa valeur personnelle : « Moi, Egalité et Réconciliation, c’est trois à quatre heures de travail par jour (pas plus ?). Produire ce que je suis en train de produire là, y compris les risques, c’est des milliers d’heures de lecture, c’est un cerveau qui représente en termes de valeur ajoutée, beaucoup, beaucoup d’argent, c’est des années et des années de lecture, d’analyse, de combat, de prises de risques ; etc… Tout ça, ça vaut cher. »v Textuel !

Puisqu’on nous dit que ce cerveau vaut très cher, le lecteur – spectateur sera évidemment en droit de vérifier la qualité des conseils que ce cerveau prodigue à ses fidèles. Par exemple, depuis des années, Soral pourfend les juifs qu’il accuse de dominer le monde et il s’en prend particulièrement à Israël. Dans le même temps, il appelle depuis des années à voter pour le FN présenté par lui comme une alternative au système. Fort bien. Et puis, patatras, voilà que Marine Le Pen aligne son Front National sur… Israël et va faire la génuflexion à Tel Aviv. Un cerveau si lucide ?

Après un tel auto-éloge, on se doit de vérifier de près. Nous allons tester. Le travail d’analyse est-il rigoureux et approfondi dans ce livre Comprendre l’Empire ? Les faits historiques – abondamment cités pour appuyer les thèses de l’auteur – sont-ils respectés ou déformés ? Peut-on se réclamer à la fois de Che Guevara et d’Hitler ?

Manifestement, Soral parle de réalités importantes dans un système qui est effectivement malade. Mais que vaut son diagnostic ? On a raison de se révolter, mais Soral nous propose-t-il une véritable alternative au système ? Voilà des questions vraiment cruciales. Aujourd’hui, de plus en plus de gens souffrent, qu’ils aient ou non un travail. Les uns prennent des pilules pour tenir le rythme et supporter le stress tandis que d’autres en prennent contre la dépression. Ces gens méritent qu’on leur fournisse le meilleur, et non qu’on leur désigne de fausses cibles et de fausses solutions.

Aujourd’hui, un Européen sur cinq vote pour un parti non traditionnel. Souvent appelés « populiste », un terme fourre-tout qui regroupe des programmes divers et contradictoires : des partis progressistes, mais aussi des démagogues. Donc les gens sont en recherche, mais risquent de se faire manipuler. Ils ont droit à des réponses de qualité. Voilà qui pose le problème de la méthode employée dans ce livre Comprendre l’Empire.

Le problème des deux méthodes

Qu’est-ce qu’un bon chercheur doit apporter à ses lecteurs ? Des réponses agréables à entendre, même si elles sont partielles, voire superficielles ? Non, le lecteur mérite les meilleures réponses possibles, expliquant réellement l’ensemble du système, et pas seulement tel ou tel phénomène. Et de façon cohérente, logique. On ne peut accepter plusieurs réponses contradictoires. Si vous recevez un puzzle dont les pièces ne s’emboîtent pas, est-ce un beau cadeau ou une impasse ?

Pour un chercheur, un analyste, il existe deux méthodes possibles. La première méthode décide à l’avance quelle thèse elle veut démontrer. Puis elle picore à gauche et à droite, dans toutes sortes de livres, ne retenant que ce qui confirme sa thèse, écartant les faits qui la contredisent. Cette méthode pourrait être appelée « romanesque » car, au fond, elle crée une fiction et même des illusions pouvant mener à des fantasmes. On est dans le superficiel et l’auto-persuasion.

La seconde méthode, je l’appellerais « scientifique ». Car elle étudie l’ensemble des faits, et pas seulement une partie. Elle n’écarte pas les objections, ni les questions gênantes ; au contraire, elle recherche patiemment les causes profondes, les mécanismes qui relient tous ces faits entre eux. Elle ne se laisse pas impressionner par les étiquettes que certains ont pu coller pour discréditer ce qui serait trop subversif. Elle ne se contente pas de faits sans preuves et elle ne réécrit pas les faits historiques de façon fantaisiste. Et si jamais on se trompe, ce qui peut arriver à chacun, avouer son erreur est honnête et honorable, personne n’a la science infuse. Faut-il prétendre avoir toujours raison ou faut-il avancer humblement vers la vérité ? N’est-ce pas de ses erreurs qu’on apprend le plus dans la vie ?

Ces deux méthodes, la « romanesque » et la « scientifique », nous allons les confronter dès le chapitre 1 de ce livre, et dans les chapitres suivants. Avec un souci de rigueur permanent. Pour que le lecteur sache qu’il peut nous faire confiance, nous indiquerons clairement nos sources en fin de chapitre afin que cela ne complique pas la lecture et sans nous étendre dans des détails infinis.

Chacun doit avoir la possibilité de vérifier par lui-même si nous respectons bien les faits et les recherches d’autrui. Par contre, Comprendre l’Empire ne contient aucune source permettant au lecteur de vérifier. Or, plusieurs historiens m’ont confirmé que ce livre déforme des faits historiques importants, réécrits de façon romanesque et fantaisiste. Nous le montrerons avec plusieurs exemples, comme la colonisation, les appuis d’Hitler ou les origines des Etats-Unis.

 

Découvrez le nouveau livre de Michel Collon,
Pourquoi Soral séduit

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Notes :

i CNN, interview, 25 mai 2005.

ii Solidaire, 1 juin 2016, p. 65.

iii Cité dans Comment Soral gagne les têtes, Mediapart, 12 novembre 2014.

iv Idem.

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

One thought on

Pourquoi Alain Soral et Comprendre l’Empire méritent d’être étudiés de près (1/2)

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.