Pologne : une offense à la mémoire de la Résistance

L’accélération du processus dit de « décommunisation » imposée par le très clérical et russophobe parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwosc / PIS) de Jaroslaw Kaczynski revenu aux affaires à l’automne 2015, soulève un tollé de protestations. En France notamment où vivaient 500 000 Polonais dans l’entre-deux-guerres. Dans le Nord-Pas-de-Calais notamment, on s’insurge contre la volonté affichée à Walbrzych (Basse-Silésie) de débaptiser des rues liées à la mémoire de la résistance antifasciste. Ce samedi 8 juillet 2017 près de Douai, l’autoroute 21 (A 21) a été baptisée « Autoroute de la Liberté Rabiega / Kania » en référence à Thomas Rabiega et Bronislaw Kania, deux militants communistes dans le collimateur de l’Inquisition polonaise.

 

Ils ont combattu le fascisme en Espagne (Antek Kochanek, Joseph Kolorz dit Marcel Kostecki). Ils ont pris les armes pour libérer la France de l’occupation nazie (Aleksy Czeredziak, Bronislaw Kania, Roman Piotrowski). Il s’est élevé contre les pratiques rétrogrades du patronat des mines de charbon (Thomas Rabiega). Six Polonais ayant milité dans l’Hexagone dans la première partie du XXe siècle ont été inscrits sur une « liste noire » à Walbrzych (1).

Walbrzych ? Le poumon industriel de la Basse-Silésie. Sur cette terre arrachée à l’Allemagne vaincue se sont installés, de 1946 à 1948, des milliers de travailleurs polonais revenus de France pour relever le défi de la reconstruction et du repeuplement des « territoires recouvrés » (2).

A l’époque, ces rapatriés attribuent aux artères de cette ville des Sudètes, le nom de résistants à Franco et Hitler. Un hommage en forme de reconnaissance à leur endroit pour avoir sacrifié leur vie « pour notre et votre liberté ! », selon le slogan cher aux légions du poète et patriote Adam Mickiewicz.

 

Une loi marquée au sceau de l’anticommunisme

 

En envisageant de débaptiser ces rues, la municipalité de Walbrzych se soumet, à contre-cœur (3) selon Bogdan Krol, rapatrié du Nord en 1947, à une loi votée en avril 2016. Une loi qui suscite maintes controverses en Pologne même (4).

Elle vise à effacer de la mémoire collective toute référence à la Pologne populaire (1944 – 1989) et aux indéniables avancées sociales dont elle a été porteuse (pouvoir ouvrier dans les entreprises, accès à l’éducation et à la culture, santé gratuite, redistribution des terres aux paysans).

Le moyen ? Expurger l’espace public (rues, places, équipements, etc.) de toutes références aux « personnes, organisations, événements ou les dates qui symbolisent le communisme » pour le coup assimilé à un « totalitarisme » par le PIS. L’instrument de cette politique ? L’Institut de la mémoire nationale (Instytut pamieci narodowej : IPN), un organisme étatique fondé en 1998 et composé d’historiens. Son crédo ? L’anticommunisme. Son ambition ? Revisiter l’histoire de la Pologne dans un sens clérical et nationaliste. L’ensemble des collectivités locales ont jusqu’au 2 septembre 2017 pour se plier à cette disposition.

 

Itinéraires militants

 

La perspective de ces changements de noms provoque des réactions en cascade dans le Nord-Pas-de-Calais notamment où subsiste une importante communauté franco-polonaise. Ses membres descendent de ces ouvriers-mineurs invités, dans l’entre-deux-guerres, à relever le pays de ses ruines. L’émoi touche bien entendu la mouvance communiste et syndicaliste… Mais pas seulement.

« Comment ? On touche à la mémoire de héros de la lutte antinazie ? Est-ce possible ? » s’étonne le citoyen-lambda. Le Bassin minier du Nord ? Une terre de luttes et de résistance où ont milité Joseph Kolorz, Bronislaw Kania et Thomas Rabiega. A la tête des sections polonaises de la CGT du Douaisis, Thomas Rabiega s’illustre pendant les grèves du Front populaire. En 1939, il est incarcéré au camp du Vernet (Ariège) comme étranger « indésirable » parce que communiste, avant de retourner en Pologne à la Libération.

Militant communiste rompu à la clandestinité, actif lors des insurrections silésiennes de l’après-Première Guerre mondiale, Joseph Kolorz émigre du côté de Lens (Pas-de-Calais) en 1922 pour y travailler dans les mines. Il intègre dans les années 1930, le comité central du Parti communiste (section française de l’Internationale communiste), avant de s’engager aux côtés des Républicains, au sein de la brigade Dabrowski, lors de la guerre civile espagnole.

Quant à Bronislaw Kania, mineur pour le compte de la compagnie des Mines d’Anzin, il mène, au sein des Francs-tireurs et partisans / main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI), la lutte armée dans le Nord contre l’occupant nazi et ses zélés collaborateurs.

 

Mobilisation sans précédent

 

En début d’année, une autre famille de résistants du Pas-de-Calais (les Burczykowski de Sallaumines dont quatre membres ont été assassinés par les nazis) était encore dans le collimateur des autorités. Mais l’intervention conjuguée sur place de Bodgan Krol, de l’association Les Amis d’Edward Gierek et de Christian Pedowski, le maire PCF de Sallaumines, les faisait reculer.

Le début d’une mobilisation sans précédent. Ainsi en février, Les Amis d’Edward Gierek impulsait l’« Appel des 133 » signifiant à l’ambassadeur de Pologne en France la volonté des pétitionnaires « de conserver intacts ces témoignages de la France combattante au cœur des Sudètes ».

Récemment, c’était au tour du sénateur (PCF) du Pas-de-Calais Dominique Watrin d’évoquer à Roman Szelemej, le maire de Walbrzych, l’ « idéal de liberté et de fraternité » qui animait ces résistants, « y compris dans un pays qui n’était pas le leur ».

Depuis, les réactions s’enchaînent tant collectives (PRCF, Syndicat CGT des mineurs du Nord-Pas-de-Calais, municipalité de Montigny-en-Ostrevent) qu’individuelles (du combattant de la Résistance Jean Ooghe à l’universitaire belge Anne Morelli).

 

A Walbrzych, la rue Rabiega est menacée de débaptisation

 

Une loi surinterprétée ?

 

« A Walbrzych, la rue de la brigade Dabrowski est également menacée. 5 000 soldats composaient ce bataillon. La moitié étaient des Polonais de France », assure Pawel Sekowski qui enseigne l’histoire à l’université Jagellone de Cracovie. Pourtant, cette brigade n’a pas de rapports directs avec la Pologne populaire édifiée postérieurement à son engagement lors de la guerre civile espagnole.

Idem pour « Antek Kochanek tombé en Espagne en 1937, Joseph Kolorz, l’année suivante. Broneslaw Kania, ancien des Brigades internationales lui aussi, a été exécuté en 1943 par les nazis dans le nord de la France », rappelle l’historien polonais. Bien avant donc l’arrivée des communistes au pouvoir en Pologne ! Comme si, en élargissant son champ d’application, l’IPN surinterprétait la loi de 2016, avec l’objectif de « nier toute la tradition de la gauche radicale polonaise », poursuit-il.

C’est aussi l’IPN qui, en dernier ressort, jugera de la validité des décisions des autorités locales prises parfois à l’issue d’enquêtes bâclées. Il suffit d’avoir été identifié comme un activiste communiste pour gagner ses galons de « pestiféré ». C’est le cas du syndicaliste Thomas Rabiega au sujet duquel l’IPN aurait peu d’informations hormis qu’il était membre du Parti ouvrier polonais (Polska partia robotnicza / PPR) et dirigeait le Syndicat des mineurs de Walbrzych à la fin des années 1940. Son seul « crime » est donc d’avoir été « un inconditionnel défenseur des intérêts de la classe ouvrière », s’émeut Dominique Ben de l’Institut CGT d’histoire sociale du Douaisis et environs auprès au maire de Walbrzych.

 

Un premier recul ?

 

Face à une telle levée de boucliers, ce dernier semble faire machine arrière. Partiellement tout au moins. Le conseil municipal a ainsi reporté en août une décision qui devait être prise fin juin. Les partisans victimes de l’occupant allemand (5) pourraient ainsi être épargnés par ces débaptisations ! Mais ni les brigadistes internationales en Espagne, ni Thomas Rabiega. Aussi la mobilisation reste de mise.

 

 

Alain Bruneel , député PCF, Freddy Kaczmarek, maire d’Auby, et Dominique Ben de la CGT

 

Ce samedi 8 juillet 2017, l’autoroute 21 (A 21) a ainsi été baptisée « Autoroute de la Liberté Rabiega / Kania) à hauteur de la commune de Flers-en-Escrebieux (Nord) ! Tout un symbole, un jour de départ en vacances, quand on sait que cette voie est empruntée par les touristes du Nord de la France qui se rendent en Pologne.

« Je pense que ce qui se produit en Pologne est une deuxième exécution de ces résistants qui ont donné leur vie pour notre liberté. Ils ont été exécutés une première fois par les nazis. Et ils sont exécutés aujourd’hui une deuxième fois par le gouvernement polonais », souligne Freddy Kaczmarek, le maire PCF d’Auby à l’initiative de cette cérémonie. Une cérémonie à laquelle ni l’ambassade de Pologne en France, ni le consul général de Pologne à Lille, pourtant invités, n’ont daigné participer…

 

Notes:

  1. Au total, treize noms de rues ou places figurent sur cette liste. Les autres activistes communistes concernés sont notamment des résistants à l’occupant allemand (Jozef Lewartowski, Hanka Sawicka, etc.).
  2. Sur ce thème des rapatriements, lire : Jacques Kmieciak, A la Libération : les Polonais du Nord, bâtisseurs de la Pologne populaire. http://www.investigaction.net/fr/a-la-liberation-les-polonais-du-nord-batisseurs-de-la-pologne-populaire/.
  3. Henri Szelemej, le maire de Walbrzych, est membre de Plateforme civique (Platforma Obywatelska / PO) de l’opposition libérale au gouvernement.
  4. A Sosnowiec (Haute-Silésie), un rassemblement a été organisé à la mi-juin pour exiger le maintien du rond-point Gierek du nom du chef d’Etat de la Pologne populaire (1970 – 1980) originaire de cette ville. La défense de la mémoire du général Jerzy Zietek (à Katowice) ou des « héros du travail » Vincent Pstrowski et Stanislas Soldek (à Gdansk) a également fait l’objet de mobilisations.
  5. Parmi eux Roman Piotrowski. Mineur en Lorraine, il gagne le maquis du Tarn avant d’être assassiné par l’occupant en 1944. Il est titulaire de la Croix de Guerre. A son sujet, lire : http://museedelaresistanceenligne.org/media7487-Roman-Piotrowski

 

Source : Investig’Action

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