Pologne « J’écris ton nom Liberté… »

Journaliste et animateur de l’association Les Amis d’Edward Gierek, Jacques Kmieciak a dressé, dans un ouvrage* sorti cet été, le bilan d’un an de mobilisation en France contre le processus dit de « décommunisation » en cours en Pologne. Rencontre.

 

Comment est née l’idée de cet ouvrage ?

 

Elle est née en réaction à la volonté affichée par le parti Droit et Justice (PiS) de réécrire l’histoire de la Pologne, en la falsifiant. De retour aux affaires à l’automne 2015, d’orientation national-catholique et plutôt classé à l’extrême droite de l’échiquier politique, le PiS s’est empressé de reprendre à son compte un processus dit de « décommunisation » impulsée dès le début des années 1990 et la restauration du capitalisme au-delà de l’Oder. Ainsi en 2016, le parlement adoptait une loi visant à expurger de l’espace public toutes références à la Pologne populaire (1944 – 1989) ou au mouvement ouvrier d’inspiration progressiste…

 

De quelle manière compte-t-il alors procéder ?

 

Via notamment un processus de débaptisations de rues, places et équipements publics portant le nom de militants qui ont œuvré en faveur de l’émancipation de la classe ouvrière et de l’avènement d’un État socialiste.

 

En quoi la France est-elle concernée par cette mesure ?

 

La campagne de débaptisations a touché des Polonais qui ont vécu dans l’Hexagone et notamment dans le Nord-Pas-de-Calais. Ici, dès l’entre-deux-guerres, se sont installés plusieurs miliers de travailleurs polonais venus relever le Bassin minier de ses ruines. Adhérents de la CGT Unitaire (CGTU), ils ont participé aux mouvements sociaux, aux grèves de l’entre-deux-guerres… Militants du Parti communiste, ils ont combattu le fascisme en Espagne pendant la guerre civile ou les nazis durant la Seconde Guerre mondiale…

A la Libération, la Pologne populaire qui les considérait comme des héros les a mis à l’honneur en attribuant leur nom à des voies de communication ou des équipements publics. En Silésie notamment où plus de 60 000 Polonais de France sont repartis après la guerre afin de participer à l’effort de reconstruction.

 

Qui étaient ces militants inscrits sur une « liste noire » en Pologne ?

 

Les Burczykowski, une famille de résistants du Pas-de-Calais. Le père a été déporté en Allemagne où il est mort, suite à la grève patriotique des mineurs de Mai-Juin 1941, ses trois fils ont été exécutés par les nazis dont deux à la citadelle d’Arras. Thomas Rabiega, un syndicaliste du Douaisis qui s’était illustré lors des grèves du Front populaire. Bronislaw Kania, un résistant FTP décapité en 1943 à la prison de Cuincy, près de Douai. Ou encore le mineur de charbon Edward Gierek, expulsé de France suite à la célèbre grève de Leforest d’août 1934. Il deviendra dirigeant de la Pologne populaire en 1970…

 

En France, les réactions ne se sont donc pas fait attendre…

 

Effectivement, très vite, le PRCF, le Comité internationaliste pour la solidarité de classe (CISC), la CGT sont montés au créneau . Des élus l’ont fait aussi comme Christian Pedowski, le maire PCF de Sallaumines d’où sont originaires de Burczykowski, ou encore Christian Musial, le maire PS de Leforest dont Edward Gierek est citoyen d’honneur depuis 1972, date de sa réception en France par Georges Pompidou. Des courriers de protestation ont notamment été envoyés aux autorités polonaises.

A l’initiative de l’association Les Amis d’Edward Gierek, une pétition (dite « Appel des 133 ») a été adressée à l’ambassadeur de Pologne en France. De grands noms de la Résistance comme Léon Landini, président de l’Amicale des anciens FTP-MOI de la région Rhône-Alpes (Bataillons Carmagnole-Liberté), y ont apposé leur signature. L’ambassadeur n’a jamais daigné répondre.

En juillet 2017, Freddy Kaczmarek, le maire PCF d’Auby, a pris l’initiative de baptiser l’autoroute A 21 « Rabiega – Kania ». Tout un symbole quand on sait que cette voie est empruntée par les touristes du nord de la France qui se rendent en Pologne ! Un an plus tard, le même Freddy Kaczmarek inaugurait une rue Edwad-Gierek dans sa commune du Douaisis…

 

C’est donc le bilan de cette mobilisation qui est relaté dans cet ouvrage ?

 

Tout à fait. Ce livre a été conçu comme un pied de nez aux pratiques révisionnistes du gouvernement polonais. Celui-ci prétend effacer la mémoire de la Pologne combattante, mais, dans les faits, il offre de remettre sous le feu des projecteurs des militants dont le parcours avait été, plus ou moins, oubliés… Qui se souvenait encore, chez nous, de Thomas Rabiega ? Ou de Jozef Kolorz, membre du Comité central du Parti communiste, puis combattant des Brigades internationales assassiné par les franquistes en Espagne en 1938 ?

 

Un bilan tout provisoire d’ailleurs…

 

Exactement, dans la mesure où la mobilisation se poursuit pour la sauvegarde du rond-point Gierek à Sosnowiec, cette ville du sud de la Pologne où l’ancien galibot du Nord repose. Pour sa contribution dans les années 1970 au développement de la Silésie, Edward Gierek continue d’y bénéficier d’une très grande popularité…

D’autres aspects de la « décommunisation » (démolition des monuments à la gloire des soldats de l’Armée rouge, qui ont libéré le pays du joug nazi, projet d’interdiction du Parti communiste polonais (KPP) et procès à l’encontre de ses dirigeants) ont été abordés dans cet ouvrage. Là encore, les organisations précitées se sont mobilisées comme lors de la manifestation de solidarité avec les communistes polonais de janvier 2018 devant l’ambassade de Pologne à Paris.

 

Quelles conclusions vous inspire cette affaire ?

 

Comme dans l’ouvrage, je laisserai volontiers la parole au philosophe Georges Gastaud, par ailleurs secrétaire national du PRCF. Il rappelle que « l’anticommunisme officiel gonfle les voiles des néonazis. En Pologne, c’est la clique clérical-raciste de Kaczyński qui, du même mouvement, persécute le PC polonais, détruit méthodiquement la mémoire de la Pologne populaire et encourage l’ignoble parade des nostalgiques de Hitler dans les rues de Varsovie : ceux qui, en France, protestent contre les atteintes aux libertés en Pologne (de la presse, de la justice, de l’école, des femmes) sans dire un seul mot pour défendre les communistes persécutés, font penser à ceux qui, en 1933, se sont d’abord réjouis de l’interdiction du PC allemand… avant de rejoindre très vite les communistes et les syndicalistes rouges dans les camps de concentration ».

 

* Pologne « J’écris ton nom Liberté… », par Jacques Kmieciak. Editions Nord Avril. 12 euros. Disponible en librairie ou directement auprès des Editions Nord Avril. Le lien : http://www.nordavril.com/f/index.php?sp=liv&livre_id=196. Rens. au 03.27.90.54.90.

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