Pollution : Quand l’industrie pétrolière et les politiques présentent le gaz naturel comme une énergie propre

L’industrie pétrolière et gazière et ses alliés politiques font la promotion de l’utilisation du gaz naturel comme étant une solution alternative respectueuse du climat par rapport à d’autres sources d’énergie polluantes, sans tenir compte de ses impacts négatifs sur la planète et la santé publique.

 

Le mois dernier, le gouverneur de l’Ohio, Mike DeWine (Républicain), a signé une loi qualifiant le gaz naturel d’« énergie verte ». La loi a été soutenue par des groupes conservateurs financés par de l’argent occulte et adoptée par des législateurs républicains soutenus par l’industrie pétrolière et gazière.

Quelques semaines plus tard, Tim Ryan, ancien membre du Congrès et candidat démocrate de l’Ohio au Sénat en 2022, a rejoint un groupe de pression sur les combustibles fossiles qui affirme que « le gaz naturel accélère notre transition vers un avenir énergétique propre. »

Ces efforts d’écoblanchiment sont des exemples de la manière dont les politiciens des deux partis appuient l’industrie des combustibles fossiles dans sa campagne de promotion pour utiliser le gaz naturel et le présenter comme une source d’énergie respectueuse du climat. Parfois, cette collaboration s’est traduite par l’embauche d’anciens élus par l’industrie.

Ces efforts interviennent alors que l’administration Biden envisage d’interdire les cuisinières à gaz, en raison des risques d’asthme. Certaines villes ont déjà interdit les raccordements au gaz naturel dans les nouveaux bâtiments, tandis que d’autres envisagent de le faire.

En dépit des affirmations de l’industrie énergétique et de ses alliés politiques qui clament que le gaz naturel est une alternative respectueuse du climat par rapport aux autres combustibles fossiles, la production et l’utilisation du gaz naturel, qui est essentiellement du méthane, ont un impact négatif tant sur la planète que sur la santé publique. Le gaz naturel, que les gens utilisent pour chauffer leurs maisons et alimenter leurs chaudières, contribue à l’augmentation des températures mondiales. Les experts avertissent que les effets des fuites de gaz naturel pourraient rendre son utilisation encore plus néfaste pour la planète que celle du charbon.

« Le combustible traditionnel le plus propre de la planète »

L’American Gas Association, un groupe de pression de l’industrie gazière, a décrit le gaz naturel comme « le combustible traditionnel le plus propre de la planète », affirmant que son utilisation réduit les émissions. Le site Web du géant du pétrole et du gaz ExxonMobil qualifie le gaz naturel de combustible plus propre, tandis que Chevron affirme qu’il s’agit du « combustible conventionnel le plus propre ». D’autres entreprises avancent l’idée d’un gaz naturel liquéfié « vert », la forme sous laquelle le gaz est stocké et transporté. En 2019, l’administration Trump a même tenté de rebaptiser le gaz naturel « gaz de la liberté ».

Mais des recherches ont montré que le méthane est pire pour l’environnement que ce que les entreprises de combustibles fossiles laissent entendre. Les molécules de méthane, principal composant du gaz naturel, sont jusqu’à quatre-vingt-dix fois plus efficaces pour piéger la chaleur que les molécules de dioxyde de carbone. Bien que le méthane libère beaucoup moins de carbone que le charbon, son utilisation contribue à l’augmentation des températures mondiales.

Depuis des années, les entreprises du secteur de l’énergie minimisent la quantité de méthane qu’elles laissent s’échapper dans l’atmosphère. Des chercheurs ont découvert que les conséquences des fuites de méthane pendant le processus de fracturation et de transport pourraient l’emporter sur les avantages climatiques supposés de l’utilisation du gaz naturel par rapport au charbon.

Outre les impacts climatiques au sens large, l’utilisation d’appareils à gaz dans les foyers et sur les lieux de travail présente également des risques pour la santé et la sécurité. Ces facteurs ont conduit certaines villes – et certains responsables politiques aux niveaux fédéral et régional – à rechercher une solution pour se passer du gaz naturel.

Berkeley et San Francisco, en Californie, ont interdit les branchements d’arrivée de gaz naturel dans les nouveaux bâtiments. La Commission américaine de sécurité des consommateurs et produits de consommation, une agence du gouvernement fédéral qui évalue les risques associés aux produits et émet des interdictions ou des rappels, envisage d’interdire les cuisinières à gaz, en raison de préoccupations relatives à l’asthme.

À New York, la gouverneure Kathy Hochul (Démocrate) a récemment exprimé son soutien à l’interdiction de l’utilisation des combustibles fossiles pour le chauffage à partir de 2030. Elle a également déclaré qu’elle était favorable à l’interdiction des cuisinières à gaz dans les nouvelles constructions. L’année dernière, la ville de New York a interdit les équipements de chauffage à combustibles fossiles dans certains bâtiments à partir de 2024.

L’interdiction des cuisinières à gaz proposée par l’administration Biden a rapidement suscité l’ire des conservateurs mécontents d’un hypothétique non-respect de la liberté individuelle. Pour leur part, le magnat du charbon, le sénateur Joe Manchin (Démocrate-Virginie occ.) et le sénateur Ted Cruz (Républicain-Texas) ont proposé une législation pour bloquer de manière préventive toute interdiction fédérale des nouvelles cuisinières à gaz.

Dans de nombreux États, les politiciens sont également déjà intervenus pour protéger l’industrie gazière. En 2019, la ville de Flagstaff, Arizona, s’est orientée vers l’utilisation de l’énergie électrique comme moyen de réduire les émissions. L’année suivante, le parlement de l’État a adopté une loi à caractère préemptif pour empêcher les villes et les villages d’interdire le gaz naturel au niveau local.

Dix-neuf autres États ont suivi l’exemple de l’Arizona et ont fait en sorte que les villes et les communes ne puissent pas interdire le gaz naturel – souvent avec le soutien de l’industrie des combustibles fossiles. Par exemple, l’ancien représentant de l’État de l’Utah, Steve Handy (républicain), a déclaré à Stateline, (équipe de journalistes aguerris) organisme du Pew Charitable Trusts, que la compagnie de gaz Dominion Energy lui avait enjoint de proposer une loi contre les interdictions de gaz naturel, législation qu’il a défendue et que l’Utah a adoptée en 2021.

Une législation modèle

Dans l’Ohio, les entreprises énergétiques exercent une influence notoirement puissante. En 2020, le président de la Public Utilities Commission de l’Ohio a démissionné suite à des allégations selon lesquelles la compagnie d’électricité FirstEnergy Corp aurait soudoyé des lobbyistes et des responsables politiques de l’Ohio afin de tenter d’obtenir le rachat de deux centrales électriques de l’Ohio pour 1,3 milliard de dollars.

FirstEnergy et ses filiales auraient versé 60 millions de dollars, par l’intermédiaire d’un groupe aux financements occultes, à l’ancien président de la Chambre de l’Ohio, Larry Householder (Républicain), et à d’autres politiciens en échange de ce plan de sauvetage. Un procès fédéral pour corruption est en cours.

L’élaboration et l’adoption de la nouvelle loi de l’Ohio, qui consacre le gaz naturel comme une « énergie propre », ont également fait l’objet d’une campagne financée par de l’argent d’origine occulte. Les législateurs de l’Ohio ont adopté la loi dans le cadre d’une collaboration avec des groupes bénéficiant d’un financement occulte liés à l’industrie des combustibles fossiles, selon des documents obtenus par l’Energy and Policy Institute, un groupe de vigilance spécialisé dans les énergies renouvelables.

Les documents montrent que l’un des co-auteur du projet de loi, siégeant au sénat de l’Ohio George Lang (républicain), a écrit, suite à une conférence tenue l’été dernier par l’American Legislative Exchange Council (ALEC), un groupe au financement occulter et plaque tournante politique pour les politiciens conservateurs, qu’il « repartirait de la convention de l’ALEC avec une proposition de législation modèle pour stipuler dans l’ORC [Ohio revised code] que le gaz naturel est une énergie propre ».

L’un des destinataires du courriel de Lang était Tom Rastin, vice-président exécutif d’Ariel Corporation, le plus gros fabriquant de compresseurs de gaz naturel au monde. Les compresseurs de gaz naturel sont essentiels aux gazoducs car ils facilitent le transport du gaz.

Rastin et sa femme, Karen Buchwald Wright, PDG d’Ariel, dirigent l’Empowerment Alliance, un groupe de financement occulte qui a soutenu le projet de loi de l’Etat de l’Ohio qualifiant le gaz naturel d’énergie propre. Le couple a donné de l’argent à l’Association des gouverneurs Républicains, qui a financé une campagne de publicités pour soutenir de DeWine. [Gouverneur de l’Ohio, NdT]

Sur son site internet, l’Empowerment Alliance détaille son programme énergétique. Le premier point est de « reconnaître le gaz naturel comme vert ». Ils écrivent : « Le gaz naturel américain est une énergie bon marché, propre, abondante et fiable qui améliore l’environnement tout en assurant l’indépendance énergétique américaine. »

Des courriels montrent que Rastin correspond avec Lang ainsi qu’avec le sénateur d’État Mark Romanchuk (Républicain), qui en est un autre des auteurs. Romanchuk a déclaré publiquement que le projet de loi avait été inspiré par une décision de l’UE de 2022 consistant à qualifier le gaz naturel de « renouvelable » dans certains cas.

Selon les documents obtenus par l’Energy and Policy Institute, en octobre 2022, le bureau de Romanchuk a envoyé au moins trois fois le texte du projet de loi à Adam Hewitt, un lobbyiste de l’Empowerment Alliance.

Dave Anderson, responsable des politiques et des communications pour l’Energy and Policy Institute, a déclaré au Washington Post : « Ce que les courriels révèlent, c’est précisément le degré de collaboration des législateurs de l’Ohio avec un groupe de l’industrie du gaz naturel concernant la nouvelle loi qui définit de manière trompeuse le gaz méthane comme une énergie verte, première étape d’un plan visant à introduire une législation similaire dans plusieurs États. »

DeWine, le gouverneur Républicain de l’Ohio, a reçu pour sa campagne des contributions en provenance de plusieurs entreprises de services publics qui dépendent du gaz naturel ou le distribuent, notamment American Electric Power, Duke Energy, NiSource, Dominion Energy et FirstEnergy.

« Nous avons analysé la formulation énergie verte et elle n’a aucun effet sur les financements ou les réglementations publics. Ce choix de mots est simplement l’expression d’une opinion de l’Assemblée générale de l’Ohio », a déclaré au Lever Dan Tierney, l’attaché de presse de DeWine.

« Pro-climat, pro-prix, et pro-gaz naturel »

L’un des principaux démocrate de l’Ohio, quant à lui, soutient désormais une autre initiative de l’industrie des combustibles fossiles visant à écologiser le gaz naturel..

Ryan, qui a perdu la course au Sénat de l’Ohio face à J. D. Vance en novembre, a récemment rejoint le conseil de direction de Natural Allies for a Clean Energy Future, un groupe de façade qui défend les intérêts du secteur du gaz naturel.

« Je suis ravi de rejoindre Natural Allies et de promouvoir le rôle que joue le gaz naturel pour atteindre plus rapidement les objectifs climatiques mondiaux, tout en améliorant la fiabilité et le coût de l’énergie chez nous », a déclaré Ryan dans un communiqué de presse. « Ce sont des questions de cuisine que les électeurs comprennent – le niveau de vie et les emplois des gens dépendent souvent d’une politique énergétique rationnelle. En tant que Démocrates, nous pouvons être pro-climat, pro-prix et pro-gaz naturel. »

Au cours de sa campagne sénatoriale, Ryan a déclaré au Washington Post que la fracturation, un procédé couramment utilisé pour extraire le gaz naturel, avait « apporté d’énormes avantages économiques et fait progresser les États-Unis vers l’indépendance énergétique. Cependant, nous devons considérablement renforcer notre supervision et la réglementation de l’industrie et de ses pratiques, notamment en ce qui concerne la manière dont elle utilise et évacue l’eau, ainsi que tout ce qui concerne les fuites de méthane. »

Natural Allies a récemment publié une publicité vidéo mettant en scène des jeunes gens qui affirment que « remplacer le charbon par le gaz naturel est le meilleur moyen de réduire les émissions, d’atteindre les objectifs climatiques, [et] d’assurer notre avenir de manière fiable, propre et bon marché. »

Ryan a rejoint l’ancienne sénatrice Mary Landrieu (démocrate-Louisiane) au conseil de direction de Natural Allies. Landrieu, cette démocrate conservatrice, est devenue lobbyiste après avoir perdu les élections de 2014. Elle vient de s’inscrire en tant que lobbyiste pour les Williams Companies, une entreprise de gaz naturel qui soutient Natural Allies, pour les questions relatives aux gazoducs. Landrieu a également fait du lobbying pour aider l’entreprise pétrolière et gazière Enterprise Products à obtenir l’autorisation de construire une plateforme d’exportation de pétrole brut au large des côtes du Texas.

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Contributrice

Naomi LaChance est journaliste indépendante, elle couvre les questions concernant l’emploi, le pouvoir politique et les inégalités.

Source : Jacobin Mag, Naomi Lachance, 14-02-2023

Traduction: Lescrises

Photo : Eni CC

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