Plaidoyer pour la dignité des migrants

Qu’est ce que migrer, qu’est ce qu’émigrer, sinon des mouvements intimement liés à la vie ? Sous tous les cieux, en Afrique, en Europe et ailleurs, l’homme, pour vivre, pour améliorer sa condition d’existence, se déplace d’une région à une autre, d’un pays à un autre, de manière temporaire ou définitive. Ce mouvement vital a traversé les temps, il est antérieur aux nations, il a même servi, parfois, à les former. Toute tentative de le limiter, est aussi tentative de limiter la vie, d’entraver l’existence. Que les Etats, par les lois, structurent (ou déstructurent) ce mouvement, n’enlève rien à sa nature, à son caractère vital.

L’Europe, repue de ressources africaines, cette Europe qui a immigré en Afrique pour nous déposséder, cette Europe qui a migré en Afrique pour piller nos richesses, cette Europe-là est aujourd’hui réfractaire à ce flux humain en quête de vie. Or, cette Europe exploiteuse a contribué à la genèse de cette misère que ces jeunes africains fuient. Ce mouvement vers le vieux continent est inhérent à la vie.

L’immigrant sait que la mort pourrait se trouver au bout du chemin qu’il emprunte. Mais la mort, possible, ne le dissuade pas d’avancer. Là où la mort est impuissante, vos centres d’accueil, vos centres de rétention, votre argent débloqué, ne peuvent réussir.

L’immigrant retenu, refoulé, reconduit, repartira. Il recommencera jusqu’au succès ou jusqu’à la mort. Pourquoi partent-ils, ces jeunes africains ? Courent-ils après les richesses perdues de leur continent ? Suivent-ils le même itinéraire que les richesses de leur continent qui traversent les océans et les déserts, qui améliorent ailleurs les conditions d’existence d’autres hommes ?

Las d’errer, de vivre sans occupation, de survivre sans espoir, ils décident de prendre le chemin de l’immigration. Ils se lancent à la recherche d’une vie meilleure qui fuit à mesure qu’ils avancent. Et, pour cette vie qui fuit, ils prennent le risque de mourir.

Chefs africains et européens ! Savez-vous ce que ce rêve sordide de l’immigration que vous avez fait naître chez nos jeunes, coûte à l’Afrique noire ? Savez-vous ce que les départs douloureux que vous provoquez, causent au continent africain ? Combien d’enfants, de femmes et d’hommes sont morts dans la houle, sous l’écume ?

Combiens ont péri dans les ergs, dans les regs ? Le savez-vous ? L’Afrique perd ceux qui partent, mais n’arrivent pas. Elle perd ceux qui arrivent, mais ne reviennent pas.

Migration, émigration, immigration, peu importe le vocable utilisé. Ces mots ont tous un dénominateur commun : le mouvement des hommes à l’intérieur ou à l’extérieur d’un pays, d’un continent. Aujourd’hui, c’est l’Europe qui se dit « envahie » et submergée par les migrants africains et ceux venant d’autres pays en conflits.

L’Amérique de Trump ne cesse, elle aussi, de s’agiter, menaçant de fermer ses portes. Mais l’on a bien vite oublié que ce sont les Européens, au dix-neuvième siècle, qui sont « descendus » pour « explorer » et « civiliser » l’Afrique, que l’Europe qualifiait de continent « an-historique ». Comment pourrions-nous, nous Africains, appeler ce mouvement des Européens vers nos terres, jadis ? Tourisme ? Besoin d’exotisme qui s’est accommodé du pillage des ressources de notre continent au profit de l’homme « évolué » ?

L’immigration des masses est le reflet de la monstruosité et du malaise de notre civilisation matérialiste à outrance et vide d’humanisme, parce qu’homicide et liberticide. L’immigration des masses théorise une question existentielle, celle du paysage politico-économique du monde. Un monde dont la situation n’a jamais été aussi précaire et incertaine qu’à ce vingt et unième siècle.

Nous sommes témoins d’un système économique néolibéral qui a envahi le globe tout-entier et auquel rien ne résiste. Dans la recherche effrénée de matières premières à vil prix et de débouchés pour les marchés occidentaux, des guerres ont été menées, des régimes autocratiques ou démocratiquement élus ont été déstabilisés. A cela, s’ajoute le soutien sordide et absurde de certains régimes dictatoriaux dans les pays dits sous-développés, contre la volonté de leurs peuples.

La rhétorique officielle de ce genre d’Etats prédateurs, n’était-elle pas d’envahir un autre Etat, sous le prétexte fallacieux de défendre ou d’imposer les Droits de l’Homme ? Qu’a objectivé la réalité sur le terrain ? Cette réalité est catastrophique ! Les pays envahis ont été complètement démantelés, détruits et ruinés. Ainsi, leurs habitants sont contraints de trouver refuge dans les pays les plus nantis, ceux qui demeurent politiquement stables.

Vous qui, placés à la tête de nos Etats, prétendez œuvrer à notre bien-être et au développement de notre continent, croyez que le moment est venu de considérer : que chaque départ est une perte pour votre pays, une perte pour votre continent, un échec pour votre gouvernance et une honte pour votre règne ; que chaque mort, chaque drame, sera jugé devant le tribunal de votre conscience.

Croyez que l’Afrique a besoin de sa jeunesse, cette frange la plus dynamique de sa population.

Croyez que cette jeunesse constitue un capital humain, et que bientôt, l’Afrique Noire dépassera toutes les régions du monde en termes de capital humain, qu’elle aura la population la plus jeune au monde.

Croyez que c’est ce capital humain formé, éduqué, disposant de savoirs et de savoir-faire, qui assurera le développement du continent.

Et, pour que l’Afrique ne perde pas ce capital humain précieux, pour ne pas limiter la vie, pour ne pas l’entraver, croyez qu’il est nécessaire de mettre en place des politiques migratoires au niveau sous-régional, au niveau régional, au niveau continental.

Croyez que l’homme noir et arabe qui est humilié et battu dans une région nommée Pas de Calais, ne quitte pas famille et enfants le cœur en joie.

Croyez que l’homme noir qui est vendu comme esclave en Libye, enchainé tel un animal en cage, ne quitte pas femme et amis les yeux secs, mais embués de larmes.

Croyez, chers dirigeants africains, que nous plaçons en vous notre espoir pour que cesse le cycle de l’humiliation et de l’indigence.

Oui, croyez, vous qui présidez à la destinée de nos Etats africains, que nous, filles et fils du continent, sommes désormais vigilants et implacables quant à l’éducation et à l’emploi de nos jeunes, à leur santé reproductive et à la lutte contre les violences de toute sorte liées au genre.

Debout ! Peuples d’Afrique. La souveraineté qui décide votre destinée n’est point entre les mains des chefs que vous élisez, mais entre les vôtres.

 

Les signataires :

 

Dr Moumouni Farmo, Docteur en philosophie et écrivain

Dr.phil.Sahidi Bilan Docteur en philosophie Senior Lecturer & Programme Manager, Undergraduate Business University of Sunderland in London

Patrice Nganang, Ecrivain

Jean Luc Raharimanana, Ecrivain

Dr. Youssouf Maiga Moussa, Criminologue et philosophe, écrivain, essayiste, journaliste indépendant.

Claudie Guimet, Pasteure en milieu carcéral, membre d’International Prison Chaplains Association (IPCA), théologienne et écrivain.

Ahmed Mohamedi, docteur en géophysique et ingénieur géologue

Dr Aïcha Yatabary, Médecin, spécialiste en santé publique, humanitaire, coopération internationale, écrivain.

Odette Dabiré, Juriste spécialisée en sécurité sanitaire, alimentaire et environnementale

Patricia Diegai, Institutrice.

François Kabre, Consultant en communication d’entreprise, Secrétaire Général du mouvement Alliance pour la Défense de la Patrie (Burkina Faso)

Abdoul Mamane, Doctorant en philosophie, journaliste.

Leonie DABIRE, Assistante sociale spécialisée.

Michele Hirokawa, Psychologue.

Ismael Cissé Enseignant, Consultant en Commerce International

Kokou Dzokotoé, Ecrivain, journaliste et chercheur

Ambassadeur Jean-Baptiste Natama, Vice-président pour l’Afrique de l’Alliance Mondiale des PME.

 

Source : Investig’Action

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