Peu importe l’impeachment 2.0, le Trumpisme hante l’Amérique

Bhadrakumar revient sur la procédure d’impeachment lancée contre Trump. Une procédure bidon à plus d’un titre lorsqu’on regarde de plus près aux manigances du parti Démocrate et aux événements du Capitole. L’objectif est d’empêcher Trump de tenter sa chance en 2024. Mais même si le fantasque milliardaire est contraint de tirer un trait sur la vie politique, ce qui l’a conduit à la Maison-Blanche est loin d’être réglé… (IGA)


Pour le monde extérieur, le “Trump Impeachment 2.0” ne peut apparaître que comme un procès bidon, une parodie de procès [a kangaroo trial]. Une meilleure façon pour les législateurs américains aurait été de faire adopter une loi interdisant aux États-Unis de ne jamais promouvoir les «révolutions des couleurs»,  à l’étranger comme chez eux. Les États-Unis ont détruit tant de pays en incitant leurs peuples à assiéger des gouvernements établis et à les forcer à capituler pour les entraîner sur son orbite. Doit-on les appeler «insurrections» ?

En plus de cela, le président élu Joe Biden serait prêt à récompenser l’un des promotrices américaines les plus efficaces d’insurrections à l’étranger à l’époque moderne; il va nommer comme nouvelle sous-secrétaire d’État aux affaires politiques de son administration : Victoria Nuland.

Nuland avait été prise en photo en train de distribuer des sandwichs aux «insurgés» campant dans des tentes sur la place de Kiev à l’hiver 2013-2014, et elle avait été enregistrée insultant l’Union européenne pour entrave à ses projets. Tout cela ne semble pas perturber Biden ou Nancy Pelosi. Quelle hypocrisie!

Ce projet de destitution du président Donald Trump, pour la deuxième fois en un peu plus d’un an, est ridicule. Ce sera la première fois en 231 ans d’histoire des États-Unis qu’un président subit une procédure de destitution à deux reprises au cours de son mandat.

Ce qui s’est passé à Washington, DC, le 6 janvier n’était en aucun cas une insurrection. Bien sûr, des citoyens américains étaient derrière le siège du Capitole, mais le parallèle s’arrête là. Il n’y avait aucun risque qu’ils puissent usurper le pouvoir aux États-Unis mercredi dernier. Même le vandalisme a été entièrement dû à l’ineptie du personnel de sécurité déployé là-bas.

La BBC a publié un rapport factuel/analytique sur ce que Trump avait dit lors du rassemblement «Save America» organisé pour contester le résultat des élections près de la Maison-Blanche. Les citations explosives sont les suivantes: “Nous avons gagné cette élection, et nous l’avons gagnée de manière écrasante” / “Nous stopperons le vol” / “Nous n’abandonnerons jamais. Nous ne concéderons jamais. Cela ne se produira pas” / “Si vous ne vous battez pas à fond [‘like hell’], vous n’allez plus avoir de pays” / “Faites entendre votre voix pacifiquement et patriotiquement” / “Nous allons au Capitole.”

Les propos étaient-ils si incendiaires, au point de détruire tout le système politique américain ? Trump peut-il être démis de ses fonctions ou banni de la politique pour avoir dit ce qui précède ? La BBC a demandé l’avis de l’éminent juriste américain et professeur de droit à l’Université de Baltimore, Garrett Epps. Sa conclusion était: « En fin de compte, je pense que c’est une question de jury. »

Dans le meilleur des cas, le jury devrait être le peuple américain. Dans la mise en accusation proposée, en revanche, cette affaire peut être rejetée par le Sénat américain composé de 100 membres, qui siégera en tant que jury présidé par le juge en chef de la Cour suprême. Le résultat de ce procès ne sera connu qu’après l’inauguration de Biden.

Les Démocrates espèrent ardemment que, contrairement à ce qui s’est passé il y a un an, le vote républicain ne se rallie plus solidement derrière Trump; ils espèrent que la donne politique a changé, maintenant que Trump n’est plus au pouvoir. À la Chambre des représentants hier, 10 membres républicains ont rompu les rangs pour soutenir la résolution de destitution. (Liz Cheney, la troisième Républicaine de la Chambre et fille de l’ancien vice-président Dick Cheney, a été la défection la plus notable.) Des rapports suggèrent qu’il pourrait y avoir des événements similaires lors du vote sur la destitution au Sénat. Axios rapporte que même le chef de la majorité, Mitch McConnell, réserve son jugement jusqu’à la fin du procès.

En réalité, ce qui est jugé, c’est le «Trumpisme». Trump a toutes les chances contre lui. Il a été réduit au silence par les omnipotents médias sociaux, y compris Twitter, son favori. Mais les sondages d’opinion indiquent qu’il bénéficie toujours d’un soutien important au sein de son parti. Les Démocrates qui craignent que Trump ne ressuscite comme un phénix de ses cendres en 2024, espèrent le mettre KO de façon durable, en le bannissant de la vie publique américaine, et en le privant de son droit de se présenter aux élections à l’avenir. Tel est le véritable programme du jeu politique qui se déroule sur la colline du Capitole.

Qu’est-il arrivé à l’exceptionnalisme américain? Ces dernières années, de nombreuses démocraties occidentales ont également été mises dans l’embarras par ce public en décalage, attiré par l’enivrant cocktail du populisme et du nationalisme, comme celui breveté par Trump: en Allemagne, en France, en Espagne, en Italie, en Autriche, en Suède, en Finlande, en Estonie, en Pologne, en Hongrie, en Slovénie, en Grèce. En Europe, le nationalisme est une caractéristique récurrente dans tout le spectre politique, et il y a eu un boom récent dans un certain nombre de pays, du soutien des électeurs aux partis de droite et populistes, en raison de la colère et de la frustration envers l’establishment politique, des sentiments nourris par la dilution perçue de l’identité nationale, de la privation économique et des inégalités, etc.

Mais l’Europe a préféré emprunter la voie démocratique pour relever le défi. L’Allemagne en est un bon exemple. Angela Merkel n’a pas paniqué. Et le dernier sondage de l’institut de recherche Kantar suggère qu’en un an à peine, le parti populiste d’extrême droite AfD est passé de la première à la troisième position en Allemagne de l’Est – bastion de longue date du parti. D’un  autre côté, l’extrême droite est également devenue la «nouvelle normalité», le parti au pouvoir en Autriche, en Pologne et en Hongrie.

Si l’option européenne n’est pas ouverte aux États-Unis, c’est essentiellement à cause de leur démocratie biaisée, où la politique est déconnectée des masses et est menée par des intrigues au sein de l’establishment des deux partis.

C’est là que réside le danger. Quelle est la garantie qu’un autre Trump ne surgira pas en dehors des intrigues qui président la politique aux États-Unis pour atteindre directement le peuple? Le fait est que la base de soutien à Trump a de quoi rendre envieux tout homme politique américain. Soixante-dix millions d’Américains ont voté pour lui en novembre dernier. Cette base de soutien massive se sentira encore plus privée de ses droits ou impuissante par ce que les intrigues politiques perpètrent sur la colline du Capitole.

Le vrai paradoxe est que la «foule» qui a assiégé le Capitole était en grande partie issue des classes moyennes américaines – la petite bourgeoisie ou la «classe transitionnelle», comme les a décrites Karl Marx, dans lesquelles les intérêts des grandes classes de la société capitaliste – la bourgeoisie et le prolétariat – se rencontrent et se brouillent. Elle se situe entre ces deux classes, tant par ses intérêts que par sa situation sociale.

La concentration et la centralisation du capital en Amérique ont finalement jeté la petite bourgeoisie dans les rangs de la classe ouvrière de plus en plus misérable, mais elle continue de résister non seulement à l’élimination, mais aussi à l’identification au prolétariat. Les valeurs que représente la petite bourgeoisie – l’entrepreneuriat au niveau de la base, l’auto-assistance, l’individualisme, la famille et la gestion prudente des ressources – sont telles que malgré les récessions, la perte d’emplois et le chômage, et les faillites croissantes, cela continue à fournir un modèle stéréotypé des vertus passées. Cette classe n’est progressive que dans un sens limité.

Il  ne faut pas se tromper, cette classe est là pour rester en Amérique, et si la reprise économique post-pandémique ne se passe pas très bien ou est mal gérée, ses rangs vont encore grossir. Ce sera le véritable défi de Biden, même si Pelosi envoyait Trump dans le désert politique.

 

Source originale: Indian Punchline

Traduit de l’anglais par RM pour Alert Otan

 

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