Petit guide à l’usage des pacifistes pour répondre aux idées fausses sur la guerre en Ukraine

La guerre en Ukraine ébranle le monde entier et ne manque pas d’alimenter les discussions. En Occident, la propagande de l’Otan est omniprésente. Elle a imposé la vision d’un combat du Bien contre le Mal dans lequel nous n’aurions d’autres choix que de soutenir et armer les forces du Bien pour qu’elles triomphent. Difficile pour les pacifistes de surmonter le brouhaha des tambours de guerre dans ces conditions. Heureusement, début septembre, à la veille d’un Congrès pour la Paix en Ukraine réunissant diverses associations telles que Code Pink, World Beyond War ou encore la  Women’s International League for Peace and Freedom, Marcy Winogard a eu la bonne idée de proposer une sorte de question-réponse sur les principaux arguments des partisans de la guerre à tout prix. (IGA)

 

(S) L’invasion de l’Ukraine par la Russie était injustifiée ET non provoquée.

(R) L’invasion de l’Ukraine par la Russie est une guerre injustifiée qui viole la Charte des Nations Unies, selon laquelle les États membres de l’ONU doivent s’abstenir de “recourir à la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État”. Les États-Unis ont cependant provoqué l’invasion russe de l’Ukraine en soutenant l’expansion de l’OTAN, une alliance militaire belliqueuse, en soutenant un coup d’État visant à renverser un président démocratiquement élu, et en envoyant des armes à l’Ukraine depuis 2014. Cela a fait de l’Ukraine, aux yeux de la Russie, un camp armé et une menace existentielle.

Antécédents de l’OTAN

Au début des années 90, alors que l’Union soviétique s’effondrait, l’OTAN aurait dû être dissoute.

Le secrétaire d’État James Baker promit au dirigeant russe Gorbatchev que l’OTAN “n’avancerait pas d’un pouce vers l’est.”

Sous les mandats des présidents Clinton, Obama et Trump , l’OTAN s’est malgré tout étendue de 12 pays à la chute de l’Union soviétique à 30 pays, y compris des pays qui partagent une frontière avec la Russie, du nord de la Norvège, de l’est de la Lettonie et de l’Estonie à la Pologne et à la Lituanie autour de la région russe de Kaliningrad.

Poutine a clairement indiqué que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN était une ligne rouge qui ne devait jamais être franchie, car celle-ci constituait une menace existentielle pour la Russie. Toutefois, encouragée par les États-Unis, en 2019, l’Ukraine a inscrit dans sa Constitution un engagement à rejoindre l’OTAN.

(S) Vous ne pouvez pas négocier avec Poutine. Les négociations ne mèneront jamais nulle part.

(R) Si Poutine et Zelenskyy peuvent négocier le flux des exportations de céréales, les échanges de prisonniers et les inspections internationales d’une centrale nucléaire en Ukraine, ils peuvent négocier la fin de cette guerre. En fait, la Russie et l’Ukraine ont déjà accepté un plan de paix en 15 points négocié par la Turquie en mars. La Russie a accepté de se retirer des zones contrôlées par le gouvernement ukrainien avant l’invasion, en échange de quoi, l’Ukraine accepte de ne pas adhérer à l’OTAN et adopte une position de neutralité. Les pourparlers visant à régler les détails ont déraillé lorsque le Premier ministre britannique de l’époque, Boris Johnson, s’est rendu à Kiev et a persuadé Zelensky d’abandonner les négociations, en lui disant que le Royaume-Uni, les États-Unis et l’OTAN y voyaient une occasion de “faire pression” sur la Russie et voulaient en profiter au maximum.

Avant l’invasion russe de l’Ukraine, les deux pays ont signé l’accord de Minsk de 2015, un accord de paix qui établissait un cessez-le-feu, un engagement à organiser des élections dans le Donbass ainsi qu’une semi-autonomie pour la région. L’accord a échoué, car les États-Unis ont encouragé l’Ukraine, à partir de 2014, à rejoindre l’OTAN et ont fourni des milliards de dollars d’armes pour alimenter la guerre civile dans l’est du pays entre les nationalistes néo-nazis et les séparatistes russophones.

Par ailleurs, les États-Unis ont négocié avec la Russie le traité de contrôle des armements START, qui est toujours en vigueur. Ce traité limite à 1500 le nombre d’ogives nucléaires que les États-Unis et la Russie peuvent déployer. Ce sont les États-Unis, et non la Russie, qui ont refusé de réaffirmer le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), abandonné sous Trump, qui exigeait des États-Unis et de l’Union soviétique qu’ils détruisent et renoncent définitivement à tous leurs missiles nucléaires, leurs missiles balistiques sol-sol et enfin leurs missiles de croisière d’une portée de 500 à 5.500 kilomètres. C’était la première fois que les superpuissances acceptaient de réduire leurs arsenaux nucléaires, d’éliminer une catégorie entière d’armes nucléaires et de procéder à des inspections approfondies sur place à des fins de vérification. À la suite du traité FNI, les États-Unis et l’Union soviétique ont détruit un total de 2.692 missiles à courte, moyenne et intermédiaire portée.

(S) Si vous négociez un règlement diplomatique, vous récompensez Poutine pour l’invasion.

Le ministère de la Défense estime que la Russie a perdu 60 à 80 000 hommes dans les combats, en août 2022. Ce n’est pas une récompense. Si vous négociez un accord diplomatique, vous récompensez le contribuable américain. [cela vaut aussi pour les Européens, durement touchés par la crise économique qui découle de la guerre, NDLR]

Les États-Unis ont dépensé 40 milliards de dollars l’année dernière pour alimenter ce conflit, ce qui entraîne une inflation et un ralentissement de la chaîne d’approvisionnement ici et en Europe, où 70 000 personnes ont récemment défilé en Tchécoslovaquie pour demander à leur pays de ne pas imposer de sanctions à la Russie . Que pourraient payer 40 milliards de dollars aux États-Unis ? Selon le calculateur d’arbitrage du National Priorities Project, cette même somme pourrait permettre de payer, sur une période d’un an, les services suivants:

    • 350 000 infirmières diplômées
    • 430 000 enseignants d’écoles primaires
    • 1 million de bourses d’études universitaires

Plus la guerre s’éternise, plus il est probable qu’elle durera des années et des années, entraînant davantage de morts et de destruction en Ukraine, exacerbant la crise climatique, provoquant la famine au Moyen-Orient et en Afrique, perturbant les économies et nous poussant au bord de la guerre nucléaire.

(S) Ce n’est pas aux États-Unis de décider du sort de l’Ukraine.

Les États-Unis décident déjà du sort de l’Ukraine en envoyant pour 40 à 50 milliards de dollars d’armes et d’aide militaire au cours des six derniers mois, soit plus de 110 millions de dollars par jour, afin d’intensifier cette guerre, d’affamer des millions de personnes en Afrique et au Moyen-Orient, d’aggraver la crise climatique, de faire grimper l’inflation en flèche et de risquer une guerre nucléaire entre les deux nations nucléaires les plus lourdement armées, les États-Unis et la Russie. Selon les scientifiques, une guerre nucléaire entre les États-Unis et la Russie entraînerait probablement la mort de 5 milliards de personnes, soit 60 % de la population humaine. Les survivants souffriraient de famine dans des hivers sans soleil et sous une température inférieure à zéro.

Nous assistons actuellement à une guerre par procuration – à la limite d’une guerre directe – entre les États-Unis et la Russie, les deux pays détenant 90 % du stock nucléaire mondial. Le gouvernement américain veut maintenir sa domination sur un monde unipolaire – c’est la raison pour laquelle le Congrès et la Maison-Blanche envoient des fusées et des missiles à l’Ukraine et fournissent des renseignements pour couler les navires russes. Il ne s’agit pas de la démocratie contre l’autocratie ; il s’agit de la domination mondiale des États-Unis.

Quant au rôle des États-Unis dans la négociation d’un accord de paix, il nous incombe désormais, à nous, le pays qui a provoqué cette guerre, de soutenir un accord diplomatique.

(S) Nous devons continuer à envoyer des armes en Ukraine pour soutenir le droit à l’autodétermination de ce pays.

(R) La question est l’autodétermination pour qui ? Au cours de la dernière décennie, les États-Unis ont sapé le droit des Ukrainiens de l’Est, ceux qui sont le plus alignés sur la Russie, à exercer leur autodétermination. Au lieu de soutenir la mise en œuvre de l’accord MINSK II pour promouvoir la paix, les États-Unis ont fourni des milliards de dollars d’armes pour alimenter une guerre dans l’est entre ceux qui sont alignés sur les forces néonazies nationalistes de droite et ceux qui sont alignés sur la Russie. En 2019, l’Ukraine a adopté une loi interdisant l’utilisation du russe dans les effectifs du secteur public. La loi exigeait également que les entreprises de distribution de télévision et de films veillent à ce que 90 % de leur contenu soit en ukrainien.

Une guerre civile dans le Donbass a fait 14 000 morts avant l’invasion russe, le conflit n’a donc pas commencé le 24 février, mais dure depuis 2014.

Quant au droit à l’autodétermination, le monde a le droit de choisir la vie plutôt que la mort et plus cette guerre se poursuit, plus le risque est grand pour le monde entier.

(S) C’est une guerre entre l’autocratie et la démocratie, et nous devons défendre la démocratie dans le monde entier.

(R) S’il est vrai que nous avons un semblant de démocratie – certaines personnes peuvent voter – aux États-Unis, le combat pour défendre la démocratie doit commencer chez nous, où les néofascistes légifèrent pour limiter les droits de vote, prennent d’assaut le Capitole, répandent la haine raciale, soutiennent les interdictions d’avortement pour priver les femmes du contrôle de leur propre corps et envoyer les médecins qui les aident en prison à vie. Plutôt que d’engloutir l’argent des contribuables pour défendre un gouvernement corrompu en Ukraine, où les néonazis sont une aile officielle de l’armée, nous devrions concentrer notre attention sur la défense de la démocratie chez nous. De plus, la liberté de la presse est attaquée, non seulement en Russie et en Ukraine, mais aussi ici aux États-Unis, où l’administration Biden – suivant les traces de Trump – insiste pour extrader le journaliste Julian Assange pour avoir publié les crimes de guerre américains en Irak et en Afghanistan. Si Assange est extradé et poursuivi en justice, cela aura un effet paralysant sur tous les journalistes aux États-Unis. Sans une presse libre, il n’y a pas de démocratie.

 

Source originale: World Beyond War

Traduit de l’anglais par Michel Durand pour Investig’Action

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.