Perdant son sang, menotté, les yeux bandés, Oussama a tenté de s’enfuir. C’est alors qu’a retenti le second coup de feu

Oussama  Hajajeh, un jeune berger palestinien, est à l’hôpital, gravement blessé par balles aux deux jambes. Les photos de lui se faisant tirer dessus  alors qu’il tentait d’échapper aux membres d’un  commando israélien, les mains ligotées et les yeux bandés, illustrent jusqu’où l’armée israélienne est tombée. « Ce n’est pas un héros. Il voulait juste rester en vie », dit son père. 


Il se trouve à présent dans la chambre 3 du service de chirurgie pour hommes,  au deuxième étage de l’hôpital gouvernemental palestinien Al-Hussein, à Beit Jala [ville chrétienne de Cisjordanie], près de Bethléem : c’est un adolescent de 16 ans au sourire timide et à la voix faible, qui gémit de douleur dès qu’on approche les mains de ses deux jambes blessées, toutes deux bandées sur toute leur longueur.

Jeudi dernier, des soldats de la Brigade de Commandos des Forces de Défense Israéliennes   ont tiré   à deux reprises  à balles réelles sur l’adolescent, après lui avoir lié les mains dans le dos et lui avoir bandé les yeux. Ils ont tiré presque à bout portant sur ce garçon momentanément aveuglé et menotté, alors qu’ils auraient pu facilement l’attraper sans être blessés. À quelle vitesse un garçon ligoté aux yeux bandés peut-il courir ? Mais non ! Ils n’ont pas essayé de l’attraper. Pourquoi le feraient-ils ? Les commandos, vous savez bien : on tire d’abord, on tire encore, et ensuite seulement on essaie d’y voir clair dans ce qui s’est passé.

Il y a une photo du jeune garçon ligoté, à genoux sur le sol, recroquevillé sur lui-même, un tireur d’élite israélien au-dessus de lui, pointant son fusil sur lui ; et puis une autre photo du même grand adolescent vêtu de noir, se levant soudainement et essayant de s’enfuir pour sauver sa vie, les mains liées et les yeux bandés. Ce sont parmi les images les plus emblématiques de notre passé très récent. Rien n’illustre mieux  jusqu’à quel niveau de bassesse l’arméeest tombée, quand même les soldats de ses unités d’élite n’arrivent plus à contrôler leur doigt posé sur la gâchette.

 

Oussama  Hajajeh à l’hôpital. Photo Alex Levac

Ces soldats  n’appartiennent même pas à un bataillon ultra-orthodoxe, ni à la police des frontières, mais à une brigade de commandos. Allez, ouste, dégagez ! Eux aussi utilisent des munitions réelles, de manière inconsidérée et irréfléchie, sans restriction ni retenue,  contre tout ce qui est palestinien, qu’il s’agisse d’un adolescent aux mains liées ou d’un dangereux terroriste. C’est ainsi qu’ils ont été formés, et une telle conduite fait apparemment la fierté de leur unité. Le fait est que personne n’a été arrêté à la suite de cet incident scandaleux qui date d’une semaine, personne n’a même été réprimandé.

La vidéo tournée par un témoin oculaire palestinien quelques minutes plus tard et qu’a obtenue Musa Abu Hashhash, enquêteur de terrain pour l’organisation  israélienne de défense des droits humains B’Tselem, est également pénible à regarder. L’adolescent, blessé, atteint de deux balles tirées par les soldats, est étendu au sol ; de la blessure qu’il a reçu à l’aine, le sang se répand sur le sol de l’oliveraie.

Un secouriste masqué, appartenant aux forces de défense israéliennes, tente d’arrêter le sang et de panser la plaie. Une femme palestinienne est aussi penchée sur le jeune ; une foule furieuse exige qu’il soit évacué ; une autre femme tente de s’approcher et un soldat tire son arme et la menace. Le soldat, qui a visiblement disjoncté, crie qu’il va tirer dans la tête de quiconque tente de s’approcher. Il agite son fusil dans tous les sens.

Les habitants veulent simplement emmener la victime à l’hôpital et il se crée un grand charivari, jusqu’à ce que quelques hommes arrivent à percer le cercle de soldats, soulèvent vivement le jeune garçon – qui vient à l’instant d’être libéré de ses liens – et tentent de l’emmener. Les soldats, qui ne savent apparemment pas quoi faire, essaient à nouveau de les chasser ; ils tirent un coup de feu qui ne touche personne, apparemment une cartouche de gaz lacrymogènes, mais fléchissent rapidement. Le garçon blessé est évacué. Il a la vie sauve.

Une grosse artère   de la jambe a été touchée : il aurait pu se vider de son sang très rapidement, nous disent les médecins de l’hôpital quelques jours plus tard.

Cette semaine, la zone située entre les collines du sud d’Hébron et Bethléem ressemblait plus que jamais à une chaîne d’établissements pénitentiaires. Les villes comme les camps de réfugiés étaient bloquées et scellées avec des grilles de fer. C’était la semaine de la Pâque juive et les colons se dirigeaient en masse vers le tombeau des Patriarches et la colonie juive d’Hébron. La circulation était bloquée. 

 Un soldat israélien pointe son arme sur un groupe de Palestiniens rassemblés autour d’Oussama Hajahjeh, qui a été abattu par des soldats des FDI. Photo Mustafa Allbadan, AP

Une scène particulièrement sinistre s’est déroulée près du camp de réfugiés d’Al-Fawwar, au sud d’Hébron :  juste derrière la porte fermée du camp se tenait un peloton de soldats armés – ils sont maintenant devenus les gardiens de ce camp –  alors que des dizaines de voitures étaient garées sur le bord de la route et des centaines d’habitants du camp suppliaient les soldats de les laisser sortir. Eh effet, c’est la Fête de la Liberté.

 Pas de bruit », proclame une affiche à l’entrée de l’hôpital Al-Hussein. Oussama Hajajeh est allongé sur son lit ; son père, Ali-Mohammed Hajajeh, ne le quitte son chevet. Le plateau-repas du déjeuner est resté couvert ; le patient n’a pas touché à sa nourriture. Il vient du village palestinien de Tuqu, où il est élève de seconde au lycée local. Chaque matin avant d’aller à l’école, il trait le petit troupeau de brebis de son père, et en rentrant du lycée, il les emmène paître. C’est son monde. Sur la joue droite, il a une ecchymose en train de guérir. Elle a été faite par le poing d’un soldat israélien, qui voulait éloigner une des femmes qui essayait de soigner l’adolescent, et c’est lui qu’il a frappé par erreur.

Tout a commencé jeudi dernier par un accident de la route au cours duquel Fatima Suleiman, une enseignante locale, a été tuée. Dernièrement, la plupart des routes d’accès au village avaient été bloquées par les FDI, ne laissant qu’une seule entrée donnant sur la route principale, un point particulièrement accidentogène. C’est là que Fatima Suleiman a été tuée. Oussama  Hajajeh a assisté à l’enterrement, de même que la plupart des habitants de Tuqu, qui sont mécontents du fait que leur village soit étouffé par les barrages routiers. Après les funérailles, les jeunes sont allés manifester, et certains ont lancé des pierres sur des véhicules militaires.

 

L’adolescent palestinien Oussama  Hajajeh, ligoté et les yeux bandés par les soldats israéliens, Tuqu, le 18 avril 2019. Photo Mustafa al-Badan

Hajajeh, un jeune berger qui n’avait jamais été arrêté, a soudain senti quelqu’un le saisir par derrière et le jeter à terre. Cachés entre les oliviers, des soldats de l’armée israélienne avaient tendu une embuscade aux lanceurs de pierres. Les soldats étaient entre quatre et six, et, une fois le garçon à terre, ils l’ont menotté dans le dos, ils lui ont bandé les yeux et ont commencé à le traîner vers leur jeep. À un moment donné, il est resté à genoux sur le sol, tandis qu’un soldat se tenait  debout au-dessus de lui. Depuis son lit d’hôpital, Hajajeh nous explique maintenant que le sol était couvert d’épines. À un moment donné, il a donc voulu se lever pour se débarrasser des épines. Puis il nous dit que, contrairement aux rapports publiés, il n’avait pas l’intention de s’échapper, mais seulement de se lever. « Comment aurais-je pu m’échapper ? Avec les mains liées dans le dos et les yeux bandés ? », se demande-t-il.

Au moment où il s’est levé, un coup de feu a retenti. Il dit qu’il n’a pas eu la sensation qu’on essayait de le rattraper avant qu’on ne tire sur lui. La balle l’a touché à la jambe droite. Terrorisé, Hajajeh a voulu s’enfuir pour sauver sa vie. Il ne sentait pas encore la douleur à sa jambe, nous dit-il, mais il savait qu’il était blessé. Il n’avait fait que quelques pas en trébuchant avant que le deuxième tir ne l’atteigne à la jambe gauche. Les deux balles l’ont atteint à la cuisse, près de l’aine, mais la seconde a touché une grosse artère. C’est alors qu’il s’est effondré au sol.

Il ne s’est pas évanoui mais, dans le clip vidéo, il a l’air sonné. Il se souvient seulement que la villageoise qui est parvenue jusqu’à lui – enseignante elle aussi – lui a enlevé son bandeau alors qu’il gisait à terre.

 

Oussama  Hajajeh, cette semaine, à l’hôpital,  en compagnie de son père. Il se souvient qu’il était étendu sur le sol pendant que les soldats tiraient des gaz lacrymogènes et pointaient leurs fusils sur quiconque tentait de le faire sortir de là. Photo Alex Levac

Ali-Mohammed Hajajeh, un ouvrier du bâtiment de 47 ans, a six autres enfants. Oussama est son troisième. C’est un homme souriant qui comprend que c’est presque par miracle que son fils a eu la vie sauve. Oussama se souvient qu’il était couché sur le sol, pendant que les soldats lançaient  des gaz lacrymogènes et pointaient leurs fusils contre tous ceux qui s’approchaient pour tenter de le sortir de là. Finalement, il a été déposé dans la voiture d’un villageois qui l’a rapidement conduit jusqu’à la clinique locale ; De là, une ambulance palestinienne l’a emmené à l’hôpital. Une demi-heure environ s’est écoulée entre le moment où il a été blessé et son évacuation.

Le service des porte-parole de l’armée israélienne a fait à Haaretz la déclaration suivante : « Jeudi dernier, de violentes perturbations se sont produites dans la zone du village de Tuqu, notamment des jets massifs de pierres en direction des forces de l’armée israélienne et des véhicules israéliens circulant sur la route, mettant potentiellement en danger des vies civiles et militaires. Les soldats ont réagi en essayant de disperser la foule et arrêté l’un des fauteurs de trouble. Celui-ci a tenté de s’échapper après son arrestation. La personne arrêtée a été retenue à proximité et a tenté d’échapper aux soldats peu de temps après. Les militaires se sont lancés à sa poursuite, au cours de laquelle ils lui ont tiré dans le bas du corps. Les militaires ont immédiatement apporté au Palestinien une assistance médicale. L’incident fera l’objet d’une enquête. »

Hajajeh a été opéré. Les vaisseaux sanguins ont été sérieusement endommagés et certains ont dû être transplantés de la jambe droite à la jambe gauche, plus gravement blessée. Le docteur Samr Khalifa, du département de chirurgie, a confirmé qu’Hajajeh était arrivé avec des blessures par balles aux deux jambes,  chacune portant une blessure d’entrée et une de sortie. Des signes de gangrène étaient déjà perceptibles à la jambe gauche.

 

Oussama Hajajeh est soigné par un auxiliaire médical et deux femmes de son village après avoir été abattu par des soldats israéliens, Tuqu, le 18 avril 2019. Photo AFP

Le père d’Oussama dit que son fils aime travailler la terre. À la question de savoir si c’est un bon élève, le père et le fils échangent un sourire et répondent que oui. Où a-t-il trouvé le courage de se lever et d’essayer de s’échapper? Ici son père intervient : « Oussama  n’est pas un héros. Nous voulons seulement vivre, pas être des héros. C’est parce qu’il a eu peur des soldats qu’il s’est mis à courir. »

 

Source: Tlaxcala

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