« Pandora Papers » : le gouvernement des USA accuse des gens qu’il n’aime pas

Ca n’enlève rien à l’immense problème que représente l’évasion fiscale, mais Moon of Alabama remarque que de scandale en scandale, les révélations tendent à éclabousser des personnalités que Washington a dans le collimateur, mais font systématiquement l’impasse sur les grandes fortunes US. Plus propres que les autres? En fait, ces révélations proviennent d’organismes financés en grande partie par Washington. Ainsi, quand on voit la tête de Poutine apparaître en grand – il n’est pas directement impliqué – ou quand on voit le peu de volonté politique pour s’attaquer à l’évasion fiscale, on se dit que d’autres objectifs pourraient être poursuivis à travers tous ces scandales. (IGA)


 

Il y a donc une nouvelle « fuite » de documents concernant des investissements offshore permettant de réaliser des économies d’impôts et réalisés par des personnes que les États-Unis n’aiment pas :

Les transactions secrètes et les actifs cachés de certaines des personnes les plus riches et les plus puissantes du monde ont été révélés dans la plus grande fuite de données offshore de l’histoire.

Baptisée « Pandora papers », la fuite comprend 11,9 millions de fichiers provenant de sociétés engagées par des clients fortunés pour créer des structures offshore et des trusts dans des paradis fiscaux tels que le Panama, Dubaï, Monaco, la Suisse et les îles Caïmans.

Les fichiers ont été divulgués au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) à Washington. L’organisation a partagé l’accès aux données divulguées avec des partenaires médiatiques sélectionnés, dont le Guardian, BBC Panorama, Le Monde et le Washington Post. Plus de 600 journalistes ont passé les fichiers au crible, dans le cadre d’une enquête mondiale de grande envergure.

Les Pandora papers représentent la dernière – et la plus importante en termes de volume de données – d’une série de fuites majeures de données financières qui ont secoué le monde offshore depuis 2013.

Les documents proviendraient d’un total de 14 fournisseurs offshore de moyens juridiques qui permettent aux gens de cacher leur argent et de contourner l’impôt.

Il n’y a cependant aucune indication sur la façon dont ces documents ont été acquis. Qui y a eu accès ? Comment ? Quelle était la chaîne de détention de ces documents ? S’agit-il des dossiers complets de ces 14 entreprises ou certains ont-ils été supprimés avant publication ? Lesquels ? Tous ces dossiers sont-ils authentifiés et vérifiés ou y a-t-il des documents falsifiés parmi eux ?
Malheureusement, aucun des reportages sur la « fuite » que j’ai lus n’a abordé ces questions.

Mais il y a au moins deux indices importants suggérant que ces « Pandora papers » font partie, comme les « Panama papers » d’il y a cinq ans et les « Paradise papers » d’il y a quatre ans, d’une « opération d’information » menée par les habituels Five Eyes, les services secrets des États-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande.

Le 3 2021 juin, la Maison Blanche a organisé une conférence de presse avec des hauts fonctionnaires de l’administration sur la lutte contre la corruption :

FONCTIONNAIRE DE L’ADMINISTRATION SENIOR : Super. Merci. Bonjour, tout le monde. Bonjour et merci de vous joindre à la conférence de presse aujourd’hui. Je suis très enthousiaste à l’idée de vous parler du programme de lutte contre la corruption du Président, avant le lancement, plus tard dans la matinée, d’un mémorandum d’étude sur la sécurité nationale – NSSM – sur la lutte contre la corruption.

Ainsi, avec ce mémorandum, le président Biden établit officiellement la lutte contre la corruption comme un intérêt fondamental de la sécurité nationale des États-Unis. C’est un engagement qu’il a pris pendant la campagne. Et sa promesse était qu’il donnerait la priorité aux efforts de lutte contre la corruption et qu’il apporterait davantage de transparence aux systèmes financiers américains et internationaux.

Le mémorandum en question est disponible ici. Il est assez court. Sous « Section 2 : Stratégie », il y a plusieurs points intéressants :

(c) Tenir pour responsables les individus corrompus, les organisations criminelles transnationales et leurs facilitateurs, notamment en identifiant, en gelant et en recouvrant, le cas échéant, les avoirs volés grâce à un partage accru de l’information, à la collecte et à l’analyse de renseignements, à des mesures d’exécution pénales ou civiles, à des avis et à des sanctions ou à d’autres moyens et, lorsque cela est possible et approprié, en restituant les avoirs recouvrés au profit des citoyens lésés par la corruption ;

(e) Soutenir et renforcer la capacité de la société civile, des médias et d’autres acteurs de la surveillance et de la responsabilité à mener des recherches et des analyses sur les tendances de la corruption, à plaider en faveur de mesures préventives, à enquêter sur la corruption et à la mettre au jour, à demander des comptes aux dirigeants et à informer et soutenir les efforts de réforme et de responsabilité du gouvernement, et s’efforcer d’offrir à ces acteurs un environnement opérationnel sûr et ouvert aux niveaux national et international ;

(f) Travailler avec des partenaires internationaux pour lutter contre la corruption stratégique des dirigeants étrangers, des entreprises d’État étrangères ou affiliées, des organisations criminelles transnationales et d’autres acteurs étrangers et de leurs collaborateurs nationaux, notamment en comblant les lacunes exploitées par ces acteurs pour s’ingérer dans les processus démocratiques aux États-Unis et à l’étranger ;

Avec la « fuite » d’avant-hier, nous assistons à une première mise en œuvre de cette stratégie.

Les États-Unis utilisent leurs capacités de renseignement, c’est-à-dire qu’ils piratent les systèmes des fournisseurs de services extraterritoriaux, et communiquent de manière sélective tout ce qu’ils peuvent juger utile à leur objectif à la « société civile » et aux médias qui publient (ou non) les informations qu’ils reçoivent.

Dans les questions-réponses de leur briefing de base, les « hauts fonctionnaires de l’administration » ont confirmé que c’était exactement ce qu’ils prévoyaient de faire :

Q. Merci d’être venu. Comme vous le savez, les militants anti-corruption exhortent périodiquement le gouvernement américain à utiliser ses divers atouts et capacités, y compris la communauté du renseignement, pour exposer des cas spécifiques de corruption à l’étranger, pour nommer et faire honte aux fonctionnaires corrompus – et les arguments qu’ils avancent sont bien connus – mais aussi pour inclure non seulement, vous savez, une dissuasion de la corruption, mais aussi une contribution possible à la promotion de la démocratie.

Est-ce que le mémorandum – le programme – comprend un élément qui se rapporte à cela ?

HAUT FONCTIONNAIRE DE L’ADMINISTRATION : Ce que je peux dire à ce sujet, c’est que le mémorandum inclut des composantes de la communauté du renseignement. Donc, le travail sur ce front, en partie, reste à voir, mais ils sont inclus – le directeur du renseignement national et la Central Intelligence Agency.

Nous allons donc examiner tous les outils à notre disposition pour nous assurer que nous identifions la corruption là où elle se trouve et que nous prenons les mesures appropriées.

Et je profite de l’occasion pour mentionner que nous allons également profiter de cet effort pour réfléchir à ce que nous pouvons faire de plus pour soutenir d’autres acteurs qui, dans le monde, révèlent la corruption et la mettent en lumière.

Alors, bien sûr, le gouvernement américain a ses propres méthodes internes, mais, en grande partie, la façon dont la corruption est révélée est le travail des journalistes d’investigation et des ONG d’investigation.

Le gouvernement américain – comme je l’ai dit plus tôt, en termes du soutien que nous fournissons déjà – dans certains cas, fournit un soutien à ces acteurs. Et nous allons examiner ce que nous pouvons faire de plus sur ce front également.

Q. Que signifie le mot « soutien » dans ce contexte ?

HAUT FONCTIONNAIRE DE L’ADMINISTRATION : Eh bien, parfois, cela se résume à l’assistance étrangère. Il existe des lignes d’assistance qui ont permis d’avertir des organisations de journalisme d’investigation. Ce qui me vient le plus immédiatement à l’esprit est l’OCCRP, ainsi que l’aide étrangère aux ONG qui font également un travail d’investigation sur la lutte contre la corruption.

Le prétendument indépendant Organized Crime And Corruption Reporting Project (OCCRP) est financé, tout comme le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), par diverses fondations et gouvernements « occidentaux ». Comme l’admet le « haut fonctionnaire de l’administration », il a été « averti » par le gouvernement américain (et britannique).

Les États-Unis ont copié le modèle de WikiLeaks. En 2017, l’administration Trump a décrit WikiLeaks comme un « service de renseignement non étatique hostile » pour avoir publié des documents gouvernementaux secrets qui lui avaient été remis par des lanceurs d’alerte qui avaient révélé des meurtres, des piratages et d’autres crimes du gouvernement américain.

Pendant de nombreuses années, les États-Unis ont fait concurrence à Wikileaks en fondant et/ou en soutenant l’OCCRP, l’ICIJ et d’autres organisations similaires, qui sont alimentées par des documents fournis par des agences de renseignement des Five Eyes. Ces organisations sont des « services de renseignements non étatiques » qui divulguent les documents privés des personnes que les Five Eyes n’aiment pas.

Un long article récent de Yahoo sur Julian Assange et WikiLeaks (voir les corrections apportées aux balivernes qu’il inclut sur le « Russiagate » ici) l’a explicitement souligné :

« Nous sommes en quelque sorte dans l’après-WikiLeaks en ce moment », a déclaré un ancien haut fonctionnaire du contre-espionnage.

Pourtant, les services d’espionnage utilisent de plus en plus un modèle similaire à celui de WikiLeaks pour mettre en ligne des documents volés. En 2018, l’administration Trump a accordé à la CIA de nouveaux pouvoirs secrets pour entreprendre le même genre d’opérations de hack-et-publie pour lesquelles les renseignements russes ont utilisé WikiLeaks. Entre autres actions, l’agence a utilisé ses nouveaux pouvoirs pour diffuser secrètement en ligne des informations sur une entreprise russe qui travaillait avec l’appareil d’espionnage de Moscou.

Le programme n’a pas été lancé sous Trump mais, comme le mémorandum de Biden ci-dessus, est juste une extension d’un programme qui existe depuis des années. L’OCCRP a été fondé en 2006 et n’a d’abord frappé que les gouvernements d’Europe de l’Est. Les « Panama papers » ont été publiés en 2016. Les nouveaux « Pandora papers » n’en sont qu’une nouvelle variante.

L’un des principaux objectifs de ces publications de données volées est la propagande. Il suffit de regarder la photo avec laquelle le Guardian a illustré son article sur le sujet :

 

La plus célèbre des têtes, et de loin, sur cette photo est celle du président russe Vladimir Poutine. Il n’est pourtant pas du tout mentionné dans les « Pandora papers » et rien ne prouve qu’il possède des avoirs offshore ou qu’il soit exceptionnellement riche. Le seul rapport qu’il a avec l’histoire est le suivant :

Le roi Abdallah fait partie des dizaines de dirigeants actuels et anciens dont les investissements à l’étranger ont été révélés. Parmi les autres dirigeants figurent le président russe Vladimir V. Poutine, dont l’ancienne maîtresse présumée a acheté un appartement à Monaco…

Ainsi, une riche jeune fille russe, qui aurait eu une liaison avec Poutine il y a une vingtaine d’années, a acheté un appartement dans un pays étranger en utilisant une compagnie offshore. (La liaison « présumée » est en fait une rumeur non confirmée diffusée par « Proekt », un média russe financé par l’oligarque anti-Poutine Khodorkovky, qui vit à Londres).

Comment cela peut-il justifier d’illustrer le communiqué, qui nomme 35 dirigeants nationaux actuels et anciens (mais pas Poutine), de nombreux fonctionnaires et des dizaines de milliardaires, avec une photo de Poutine ? (En 2016, le Guardian a fait de même avec les « Panama Papers ». Poutine n’était pas non plus mentionné dans ces documents, mais il était en tête de liste dans l’article du Guardian les concernant).

Un autre indice selon lequel tout cela est de la propagande (et du matériel de chantage) issue du gouvernement américain vient de l’absence de noms de milliardaires et de politiciens corrompus américains dans le matériel fourni.

 

Le fait qu’aucun de ces noms ne se trouve dans les fichiers des services offshore publiés indique que ceux-ci ont été soigneusement supprimés.

Les documents publiés sont une fausse critique que le système s’adresse à lui-même. S’ils soutiennent les objectifs de la politique étrangère américaine en accusant les personnes que les États-Unis n’aiment pas, ils conduisent également à un soutien accru à la surveillance financière et à l’espionnage. En déshonorant ou en éliminant la concurrence étrangère, ils font la promotion des paradis fiscaux américains comme l’Alaska, le Nevada et le Delaware auprès de « clients » étrangers :

Les Pandora Papers contiennent des détails sur plus de 200 trusts créés aux États-Unis ces dernières années. Dans des dizaines de cas, les clients ont abandonné des paradis plus traditionnels, comme les îles Vierges britanniques et les Bahamas, au profit des États-Unis.

La destination la plus populaire a été le Dakota du Sud, où la valeur des actifs détenus dans des trusts a atteint plus de 360 milliards de dollars au cours de la dernière décennie. La législation de l’État du Dakota du Sud autorise la création de trusts secrets qui n’ont pas à payer un centime d’impôt à l’État pour leurs gains. Contrairement à la plupart des États, qui limitent la durée de vie des trusts à un siècle ou moins, les trusts du Dakota du Sud sont également « perpétuels », ce qui signifie qu’ils n’ont pas de date de fin. Cela signifie qu’ils peuvent continuer à réaliser des gains non imposables et à les transmettre aux générations futures – théoriquement pour toujours.

Les États-Unis ont donc entrepris d’accuser les paradis fiscaux offshore et les dirigeants étrangers de corruption alors qu’ils sont eux-mêmes les plus grands pécheurs sur les deux fronts. Il y a une constante dans tout cela. Chaque fois que les États-Unis accusent une personne ou un gouvernement étranger de faire « quelque chose », il est fort probable que cette « chose » soit exactement ce que les États-Unis font eux-mêmes.

 

Source: Entelekheia

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