Orwellien : le fondateur de Wikipédia érigé en juge de la fiabilité des nouvelles

Le plugin de navigateur orwellien NewsGuard, qui prétend juger de la fiabilité des médias, a nommé le fondateur de Wikipédia à son conseil d’administration, prouvant ainsi que même la police de la pensée néolibérale a le sens de la dérision.

Dans sa tentative de « lutte contre la désinformation en ligne », NewsGuard a nommé des parangons de l’intégrité journalistique tels que l’ancien secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, et le co-fondateur de Wikipédia Jimmy Wales à son comité consultatif. Nous parlons bien de Wikipédia, « l’encyclopédie que tout un chacun peut rédiger/modifier », où propagande et canulars se croisent pour produire des souches mutantes de fake news à faire pâlir d’envie un marchand de journaux de caniveau du XIXe siècle.

Le modèle de Wikipédia postule qu’il n’est pas possible de chercher à détenir a vérité absolue, donc le mieux que l’on puisse espérer est la « vérifiabilité ». Ce qui se fait en se fondant sur des « sources fiables » et en s’alignant sur le consensus dominant, quel qu’il soit. Il est interdit aux éditeurs de tirer des conclusions sur la base des sources qu’ils utilisent – ce que que les « sources fiables » n’ont pas couvert n’existe pas. Et qui Wikipédia considère-t-il comme fiable ? Le type de publications à qui NewsGuard attribue une note « verte » – à savoir les médias grand public — ainsi que les revues spécialisées, les livres d’éditeurs réputés et ainsi de suite.


 

(NewsGuard annonce son lancement au Royaume-Uni pour lutter contre la désinformation. Jimmy Wales, AndersFogh Rasmussen et Richard Sambrook rejoignent le conseil consultatif global.

Tous les détails bit.ly/2VrylN6)

 

Donner au cofondateur de Wikipédia son mot à dire dans la détermination des sources qui seront considérées comme « fiables » à l’avenir peut sembler une mauvaise idée, mais il y a plus. Le dernier projet de Wales, WikiTribune, a été lancé en 2017 dans le noble but de corriger les fausses nouvelles (ça vous dit quelque chose ?) et de tenter d’allier le modèle de rédacteurs bénévoles de Wikipédia avec le modèle de journalistes rémunérés des médias grand public. Peut-être sans surprise, cela n’a pas marché et Wales a viré tous les journalistes. Le projet est resté en sommeil l’année dernière, mais il est maintenant relancé sous la forme d’un « wiki de fact-checking », selon Wales. Qu’il ait été accueilli au conseil d’administration d’une société qui veut que son plugin fasse partie de l’expérience Internet est sûrement une coïncidence.

Les canulars, les erreurs et la propagande présents à hautes doses sur Wikipédia se retrouvent souvent dans des « sources fiables », lorsque des journalistes pressés n’ont pas le temps de vérifier les faits, jettent à la place un coup d’œil sur Wikipédia et reproduisent sans hésitation ce qu’ils y trouvent. Si ces journalistes écrivent pour une « source fiable », ce qu’ils ont imprimé devient alors « fiable » aux yeux de Wikipédia, ce qui signifie que même si l’erreur, la propagande ou le canular original est découvert et supprimé, il peut revenir à l’infini car une source fiable l’a repris. Ce processus est si commun qu’il a un nom – la « citogenèse » ou « reportage circulaire ».

 

La couverture des canulars de Wikipédia qui sont devenus « réels » tend à se concentrer sur les plus ridicules — la fausse divinité aborigène australienne  » Jar’Edo Wens  » qui s’était retrouvée dans un livre sur la religion après s’être cachée pendant neuf ans au sein d’une fiche Wikipédia — ou le défilé apparemment sans fin des canulars sur des morts de stars. Mais la citogenèse peut avoir des effets beaucoup plus dommageables. Le professeur d’histoire turc Taner Akcam a été arrêté par les autorités canadiennes, et ensuite américaines, parce que des vandales avaient écrit sur Wikipédia que c’était un terroriste.

Le rédacteur en chef Edward Patrick Alva avait falsifié des faits dans des fiches Wikipédia sur des incidents controversés de viols sur des campus universitaires afin de les rendre conformes à la version des événements rapportée dans The Hunting Ground (le terrain de chasse), un film qu’il avait aidé à produire, selon le Washington Examiner. On peut penser que la description des universités comme « terrains de chasse » pour prédateurs sexuels a terrifié une génération de femmes sur la base de fausses données, et la révision des biographies des protagonistes dans le but de mettre en avant des accusations de viol infondées contre eux relève de la diffamation pure et simple.

Les médias américains ont passé des années à patauger dans une conspiration fictive entre le gouvernement russe et Donald Trump pour le faire élire président, et Wikipédia avait un rapport plus important avec tout cela que nombre de gens ne le pensent. Parce que, lorsqu’on rencontre un nom ou un terme inconnu dans les informations — ‘Seth Rich’, ‘kompromat’ – le premier réflexe est de le chercher sur Google, et le premier résultat sur Google est généralement Wikipédia.

Oui, des agents politiques écrivent sur Wikipédia, et ils favorisent certains biais. Avant que le rapport Mueller n’anéantisse les espoirs de millions de guerriers du clavier de la #Resistance anti-russe, des rédacteurs de Wikipédia — y compris plusieurs administrateurs — discutaient sérieusement d’une interdiction de modifier les articles politiques pour les « utilisateurs pro-Trump » (une catégorie parfois élargie aux utilisateurs qui niaient la réalité de la théorie du complot russe). Ils avaient déjà décidé de « purger » un article sur « l’ingérence russe dans les élections américaines de 2016 » de sources contradictoires sur les allégations de piratage informatique russe, ce qui était l’étape logique suivante. Après tout, les sources fiables avaient dit qu’il y avait collusion, donc ça devait être vrai !

Wikipédia affirme que ses rédacteurs sont des gens ordinaires, mais son histoire de rédaction payante par et pour nombre de gens, d’employés du Congrès à des membres du Parlement en passant par des agences de renseignement, des « initiatives sionistes » de rédaction et même le Vatican — sans parler d’une armée d’employés de grandes entreprises et de firmes de relations publiques – suggère que ce n’est pas le cas. Wikipédia n’interdit pas la rédaction payante, et Jimmy Wales ne la condamne pas non plus, tant que le rédacteur admet leur caractère rémunéré (sur sa page de profil, que le lecteur occasionnel de Wikipédia ne voit jamais). Quel meilleur partenaire pour NewsGuard qu’un site web où l’establishment en place peut rédiger une couverture favorable de lui-même tout en affirmant qu’elle provient de citoyens lambda ?

La confiance dans les médias grand public est tombée à des niveaux historiquement bas des deux côtés de l’Atlantique au moment où Trump a été élu et où les Britanniques ont voté leur retrait de l’île-monde, ce qui a provoqué une consternation apocalyptique dans la classe dirigeante. Cette flambée de populisme a été imputée à des « fake news », un phénomène surgi du cerveau enfiévré des propagandistes des médias grand public pour expliquer la tendance exaspérante du peuple à voter dans ce qu’il estime être son intérêt.

Même si les « fake news » sont un problème depuis l’avènement de l’imprimerie, les Américains et les Britanniques se sont laissés dire que cette nouvelle souche de désinformation porteuse de l’empreinte caractéristique de Poutine Inc, pourrait à elle seule briser nos fragiles démocraties si nous ne mettions pas immédiatement les médias indépendants à la porte et si nous ne nous précipitions pas dans les bras rassurants de « sources fiables ».

NewsGuard perpétue ce paternalisme en proposant des « étiquettes nutritionnelles » à code-couleur pour garantir aux internautes qu’ils n’ingéreront pas accidentellement quoi que ce soit de trop fort, ce qui pourrait les amener à reconsidérer radicalement leur place dans le monde, ou les politiques de leur pays, ou encore leur relation à des technologies comme NewsGuard. C’est par une ironie extra-délicieuse que Tom Ridge, le même homme qui a introduit un système d’alerte antiterroriste à code-couleur sous la présidence de George W. Bush, siège au conseil consultatif de NewsGuard.

NewsGuard donne à WikiLeaks, qui n’a jamais eu à publier une seule correction, une note « rouge » signalant que le site est indigne de confiance, alors qu’il se fie à Wikipédia — qui a littéralement déclenché des centaines de canulars, et la liste compilée par l’encyclopédie en ligne elle-même admet n’en comptabiliser qu’une partie – au point de nommer son fondateur à leur conseil. La nomination de Wales au conseil consultatif de NewsGuard est la preuve que cette organisation n’a jamais eu pour but d’endiguer la diffusion de fake news – mais seulement de donner la priorité aux leurs.

 

Source: Entelekheia

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