Omar Aktouf: “Avant la guerre en Ukraine, il y avait déjà la mise en place des conditions inflationnistes”

Les proclamés leaders mondiaux se réunissent à Davos cette semaine pour le Forum économique Mondial sous le thème “De la coopération dans un monde fragmenté”.  Coopération vraiment ? Alors que l’ONG Oxfam alerte une fois de plus sur les inégalités économiques extrêmes, nous interrogeons Omar Aktouf économiste hétérodoxe au parcours atypique.

 

Comment expliquer que les inégalités aient autant explosé depuis 2020 (on se rappelle les beaux discours notamment de Macron sur le changement de système, les gens qui font tourner l’économie pendant le confinement…)?

Omar Aktouf : Bien malin qui pourrait donner des explications cartésiennes, complètes, rationnellement ou factuellement fondées sur cette explosion des inégalités à travers le monde depuis 2020. Ou plus exactement depuis le surgissement du phénomène mondial covid19 ! L’économie a, tellement souvent, de ces secrets et tours de passe-passe que nul super spécialiste du domaine ne saurait ni comprendre, ni encore moins expliciter, bien souvent. Pour moi cette énigme économique (car c’en est une, compte tenu du caractère si inédit de tout ce qui arrive depuis deux ou trois ans) ne pourrait que s’approximer, rien de plus. Et ce, très prudemment, dans ses mécanismes et genèse. Il convient tout d’abord de comprendre les origines et la genèse de ces « hyper-inégalités » (les inégalités en soi existent de toujours, c’est leur AMPLEUR indécente et inédite dans l’histoire, qui pose aujourd’hui problème). Au début du 20ème siècle, la différence de revenus entre un PDG (même du calibre de Henry Ford) et son employé moyen, tournait autour des vingt fois, pas plus. Mais arrivèrent les avènements des business-schools et des écoles de gestion ou de commerce. Particulièrement celles dites « grandes ». Il se produisit alors un phénomène nouveau au sein de ces écoles : l’enseignement de cette matière nouvelle que l’on dénomme « Leadership ». Matière totalement consacrée à l’apologie et l’hagiographie inconditionnelles des dirigeants (des managers, patrons…) littéralement DÉIFIÉS ! On a fait d’eux des sortes de demi-dieux, des surhumains, dotés de capacités bien au-dessus du commun, de clairvoyance, d’intelligence, de sens du risque, du courage dans la prise de décision, des champions-génies au service du bien-être général. Des « créateurs » de richesses (implicitement réputées pour le service de la société) de travail … etc., etc… Jusque, en bout de ligne, faire d’eux des êtres INFAILLIBLES, qui, lorsque les choses vont bien c’est toujours grâce à eux, et lorsqu’elles vont mal ce n’est jamais leur faute ! De toutes ces qualités et « rarissimes dons », le commun des mortels n’en possède aucune. Surtout pas le « simple » employé, intrinsèquement incapable d’être leader. Partant de là, comme le dit le Nobel Joseph Stiglitz, cela été tellement martelé dans la tête des possédants et dirigeants… Autant qu’auprès du grand public, que ces « leaders » se sont vraiment pris au sérieux, et réellement crus être des « divins créateurs-piliers-serviteurs-porteurs du bien-être général »… Et ce, à un point tel « qu’ils se sont, dès lors, cru le droit de SE SERVIR autant et aussi infiniment qu’ils le désirent ». Faits largement adoubés par les médias dominants (dont ils sont propriétaires) et des citoyens soigneusement formatés pour trouver cela tout à fait juste et mérité. C’est à partir de là que les « salaires » et revenus des dirigeants se sont mis à littéralement exploser, pour atteindre aujourd’hui, très souvent, plusieurs centaines de fois le revenu moyen de l’employé. Voilà donc la source de ce qui nous occupe ici. Il n’y a aucune raison pour que cela cesse durant les années covid19. Donc ces plus riches ont profité de cette crise pour se gaver davantage avec les subventions des gouvernements, pour le faire encore plus avec des licenciements massifs en transformant les masses salariales éliminées en hause des profits et des valeurs de leurs actions, primes… stocks options… Idem avec les gonflements des provisions pour mauvaises créances, des crédits d’impôts, des subventions, de baisses généralisées des charges etc., … Tout ce à quoi il convient d’ajouter les baisses généralisées des impôts et taxes qui profitent, bien sûr, d’abord et directement aux plus riches. Il convient de ne pas oublier non plus les colossaux et instantanés-continus enrichissements des banques d’où provient le fameux « quoique ça coute » : des emprunts démesurés et forcés, dont les intérêts et dividendes vont aux banques, aux banquiers, aux courtiers, aux gros actionnaires… qui sont en même temps patrons. Ajoutons les laboratoires pharmaceutiques (dizaines de milliards par an) et tout ce qui gravite autour et on a une APPROXIMATION de l’incroyable envol de l’enrichissement des plus riches ces derniers temps. Enfin, de l’autre côté du spectre, le salariat lui, a en même temps, drastiquement baissé, ou stagné, et bien sûr, subi le rognement quasi immédiat et exponentiel d’une non encore visible-calculable, mais bien réelle inflation, forcément induite par le « quoiqu’il en coûte » et le recours ultra massif à la planche à billets !

 

L’étude montre que les entreprises des secteurs agro-alimentaires et énergétiques ont plus que doublé leurs bénéfices en 2022, l’augmentation de leurs bénéfices semble due à l’inflation, une inflation présentée comme causée par la guerre en Ukraine, êtes-vous d’accord avec ce présupposé?

Omar Aktouf : Oui et non. Car, avant la guerre en Ukraine, il y avait déjà la mise en place des conditions inflationnistes dont je parle ci-haut. Conditions auxquelles il faut ajouter les colossaux recours aux indemnisations et subventions, tellement généreusement distribués à tous vents, mais surtout patronats et entreprises, par les États devenus obèses débiteurs des banques et autres institutions financières. Cela a été une lame à double tranchant : d’un côté des entreprises grassement subventionnées pour ne pratiquement rien produire, et de l’autre des employés payés à ne pas travailler, donc rien produire non plus… et de surcroit très souvent mieux servis par ces indemnisations que par leurs salaires d’avant covid ! Tout cela sans contrepartie aucune – ou presque – en produits et services équivalents. Si on y ajoute la crise des transports internationaux, des containers, la flambée presque immédiate des coûts logistiques… on a tout un cocktail inflationniste qui fait son effet bien avant la guerre d’Ukraine. Bien entendu celle-ci y a ajouté la « peur du manque » (donc des « sur-achats » de tout par tout le monde) qui engendre pénuries, donc hauses des prix, et bien sûr autre inflation. Inflation dont les producteurs de tous acabits ne se gêneront pas d’aggraver les effets en haussant toujours plus leurs prix… Puis s’ajouta la survenance de la crise de l’énergie (gaz essentiellement) qui, évidemment, non seulement influera gravement sur la hausse de l’inflation par sa propre flambée de prix, mais aussi sur les prix de tout le reste des produits et services, puisque tout nécessite inexorablement de l’énergie pour parvenir au consommateur.

 

Oxfam parle de risques pour la démocratie mais peut-on encore parler de démocratie dans un monde où les inégalités sont si importantes, les médias se font le plus souvent les porte-parole des pouvoirs économiques et politiques dominants et où les mouvements de contestations sont réprimés sans respects des droits fondamentaux?

 

Omar Aktouf : Il convient de se demander d’abord ce que « démocratie » signifie réellement : étymologiquement c’est « donner le pouvoir au peuple », or le pouvoir c’est contrôler l’argent… donc la démocratie c’est la plus large, ou quasi-totale redistribution de l’argent au peuple ! Quel pays dit démocratique peut-on citer qui répondrait à cette définition !? Il convient aussi de se demander à qui appartiennent et qui contrôle les médias, le second grand pouvoir antidémocratique par sa capacité à formater les consciences et les opinions ? Personnellement je craindrais pour la démocratie s’il y en avait une « vraie » quelque part ! Même en admettant ce que dit OXFAM, oui bien évidemment, on pourrait dire que toute velléité de vraie démocratie en est menacée, du simple fait que « toute économie est politique et inversement ». Dès lors que l’on se met, à travers les divers pouvoirs et leurs instruments, dont particulièrement les médias, où que ce soit (je ne vois aucune différence entre des médias contrôlés par des États et des médias contrôlés par l’argent privé : quelle différence entre dictature idéologique et dictature du fric ?) à s’acharner à montrer au bon peuple comment porter un col roulé, comment aménager sa chambre à coucher, comment faire cuire plus vite ses spaghettis… qui peut me dire où se niche la démocratie ? Et on ajoute, sans rire ni pleurer : « pour s’adapter ! ». Mais on se garde bien d’expliquer à quoi exactement faut-il s’adapter et à cause de qui !? Un vague « changement climatique » suffit ! Las ! sachant que ce sont ces super-riches-sujet-tabou qui en sont précisément LA cause, nous sommes, à ce niveau de manipulation des populations, bien au-delà du pire de ce que craignait un G. Orwell avec son 1984 !!! Alors que la solution à tout cela c’est surtout… le contraire de ce qu’on martèle : surtout « ne pas s’adapter ! » ; mais « s’indigner et se révolter » ! Que cesse cette folie furieuse de culte de la croissance infinie, et celui des super indécents enrichissements des riches ! Tout de suite ! Voilà où réside notre problème aujourd’hui planétaire, pas dans le nombre de couvertures sur les lits, ou le col roulé, ou le calfeutrage des portes de salles de bains !

 

Quel regard et quel avis portez-vous sur les analyses et propositions contenues dans le récent Rapport d’OXFAM. Est-il réaliste de penser que les plus nantis de ce monde songeraient un seul instant à « sacrifier » quoi que ce soit de leurs immenses privilèges comme le demande OXFAM ?

 

Omar Aktouf : Bien entendu les rapports d’OXFAM sont toujours, à mon avis fort bien informés et documentés, et argumentés. J’aimerais tout d’abord signaler un fait en rapport avec ce sujet, et qui, à ma connaissance, n’a pas du tout été repris ou répercuté – surtout pas par les médias « établis » : c’est la nouvelle annonçant que soixante super milliardaires y ont envoyé une surprenante et étonnante lettre – ils étaient quarante à l’avoir fait du temps de Bush II –, lettre… réclamant, à l’occasion de cette tenue du forum de Davos d’être taxés immédiatement D’ÊTRE IMMÉDIATEMENT TAXÉS ET AUX TAUX LES PLUS ÉLEVÉS DES NIVEAUX DE TAXATION DU COMMUN DES VULGUM DES PEUPLES. Pourquoi ce silence assourdissant sur ce sujet !? Il faut bien le dire une bonne fois, la collusion et la super complicité (voir les invités de ce fameux forum) entre milieux d’argent, milieux de hautes finances et milieux politiques ne se cache même plus. Et le sujet touchant à la question de l’enrichissement des riches et infiniment riches (bien évidemment sur le dos de la nature et des humains partout surexploités) est devenu, hormis quelques milieux indignés de médias quasi clandestins et des organisations comme OXFAM,  un sujet totalement tabou ! Nos populations occidentales – en particulier – sont à ce point réduites à l’état de « non capacité de pensée personnelle » (les constats et rapports sur la dégringolade vertigineuse des niveaux de culture générale, de « vraies » connaissances, voire tout simplement de littératie des peuples – même fort « diplômés » – sont légions, ainsi que ceux montrant que ce niveau de connaissances frise la « zombification » des masses qui ânonnent allègrement ce qu’on leur dit d’ânonner – via la kyrielle d’écrans qui les assaille-, sans aucune capacité de discernement personnelle ! Ces masses, donc, justifient et appuient sans le savoir, la nécessité absolue – représentée comme aussi inéluctable que bienfaisante – d’avoir toujours plus de riches et de super riches. Vu que leurs richesses et enrichissement continu créent, ipso facto emplois, bien-être universel, et « ruissellements » salvateurs pour tous… Il ne faut ni citer à comparaître, ni mettre au banc des accusés nos si bons et polymorphes bienfaiteurs riches de notre monde, point ! C’est que je dénomme personnellement, après un grand humoriste du siècle passé, la transformation des humains, par l’armada infinie des moyens de propagande du néolibéralisme, en « Gnous décérébrés », qui se suivent en rangs serrés sans penser le moins du monde par eux-mêmes. Or le rapport d’OXFAM révèle en quelque sorte les résultats de cet état de fait. Lorsque les 1% (environ 1000 PERSONNES !) Les plus riches de notre monde (qui accaparent, Dieu sait combien de dizaines ou centaines de milliers de milliards de dollars et parfois chacun !) voient leurs richesses augmenter de 63% sur les 2 dernières années ; multipliées par deux depuis 2020 ; se hausser de près de trois milliards par an, ce qui est l’équivalent des salaires de 2 milliards de travailleurs qui n’arrivent même pas à suivre l’inflation ! On ne peut qu’être mille fois d’accord avec au moins les mesures suivantes proposées : taxer de 2 % les millionnaires et de 5% les milliardaires, ce qui rapporterait plus que 5 500 milliards d’euros ! De quoi sortir près de deux milliards et demie de personnes de la pauvreté ! Éradiquer totalement les milliardaires de cette planète d’ici à 2030, taxer décemment les gains des riches d’où qu’ils viennent et les grandes fortunes d’au moins 30 à 50% ou plus (Musk paye 3% !!!!), ainsi que TOUTES les grandes entreprises et multinationales etc., etc.,

Oui et mille fois oui, et c’est un strict minimum!

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