« Nous sommes des témoins directs de l’attentat contre le président Maduro »

Le 4 août 2018, un attentat a été déjoué à Caracas lors d’un défilé militaire. L’objectif des terroristes était d’assassiner les représentants  des pouvoirs publics dont le propre président vénézuélien Nicolas Maduro. Ce jour là, les services de sécurité de la République Bolivarienne du Venezuela ont abattu  deux drones chargés d’explosifs, avant que ceux-ci n’atteignent leur cible. 

 

Cette tentative de magnicide aurait du soulevé un tollé et une réprobation internationale. Cependant, le système médiatique a immédiatement jeté le doute sur la véracité des faits, qui se sont déroulés ce jour là sur l’avenue Bolivar de Caracas. 

Pour parler de l’attentat, la plupart des médias et agences de presses internationales utilisèrent le conditionnel, comme si cela relevait d´une invention du gouvernement bolivarien. Il mirent le mot « attentat » entre guillemets afin de tourner en dérision un fait pourtant gravissime. Les médias les plus radicaux et les plus militants parlèrent même d’un « auto attentat », rejetant l’organisation de l’acte terroriste sur les victimes elles-mêmes. Huit mois après ce sinistre évènement, le 14 mars 2019, la chaine CÑN a dévoilé de nouvelles preuves irréfutables sur la planification de la tentative de magnicide. Une révélation qui est plus un produit d’une bataille politique interne aux Etats-Unis qu’un soucis éclair de la vérité. Curieux scoop qui s’annonce avec tant de retard sur la date de l’événement. Imagine-t-on un journaliste sportif annoncer avec 8 mois de retard la victoire de l’équipe de France à la coupe du monde de football ?

Pourtant des témoins, il y en avait. Pourtant des images il y en avait. Nous sommes allés rencontrés Mariela Lopez et Marcos Salgado. La première est caméraman, le second est photographe. Ils étaient les seuls journalistes internationaux présents sur les lieux à avoir capter des images de l’attentat. Les photos et vidéos que vous avez pu voir les jours suivants, ce sont eux qui les ont réalisés. 

Ces deux témoins capitaux nous livrent en exclusivité la chronologie des évènements du 4 août 2018, mais aussi leur vision du journalisme, et analysent notre rapport à l’information. 

 

 Marcos Salgado et Mariela López 

 

On va commencer par les présentations. Qui êtes vous? Quelle est votre trajectoire professionnelle? 

 

Mariela López: Je m’appelle Mariela Lopéz. Je suis caméraman freelance. Je travaille pour plusieurs médias et agences de presse. Notamment pour la chaine iranienne HispanTV et l’agence chinoise Xinhua. Je couvre les thèmes politiques et la situation au Venezuela. 

Marcos Salgado: Je m’appelle Marcos Salgado, je suis le correspondant de la chaine HispanTV depuis 7 ans. Au Venezuela, j’ai travaillé pour Telesur, pour VTV, et pour la Radio del Sur. Mon expérience professionnel a commencé il y a 30 ans, lorsque j’ai rejoint l’équipe de la Radio Nationale d’Argentine. Je suis aussi le photographe pour l’agence de presse Xinhua et d’autres médias.

 

Vous êtes iraniens?

Mariela López: Non. Je suis vénézuélienne (rires)

Marcos Salgado: Je suis argentin. 

 

Vous êtes musulmans?

(Ensemble) Non

 

Vous êtes déjà allés en Iran? 

(Ensemble) Non

 

Je vous demande cela parce que la majorité des citoyens en Europe pensent que les journalistes de HispanTV sont des mollahs avec le Coran dans une main et la caméra dans l’autre. Et du coup, les stéréotypes qu’ils ont sur l’Iran décrédibilisent l’information offerte par cette chaîne. 

 

Marcos Salgado: HispanTV a le mérite d’avoir une ligne éditoriale claire. Cette clarté éditoriale me donne une grande tranquillité au moment de faire mon travail. La plupart des médias occidentaux masquent leurs lignes éditoriales derrière une prétendue objectivité ou une impartialité. Ce n’est pas vrai. Les médias occidentaux hégémoniques ont aussi une ligne éditoriale très concrète mais ils la cachent. Au contraire, HispanTV ne cachent pas sa ligne éditoriale. Ils veulent briser le vague de désinformation sur ce qui ce passe en Iran et veulent offrir la vision iranienne des évènements dans le monde. Celui qui regarde HispanTV sait le type d’information qu’il va y trouver. Entre autre, une information qu’il ne verra jamais dans les médias occidentaux. Nous, les journalistes, nous savons que tous les médias possèdent une ligne éditoriale, même si certaines médias ne sont pas clairs avec leur journalistes. HispanTV s’attache à expliquer le processus politique au Venezuela. Par exemple, nous couvrons aussi les activités de l’opposition. La chaine ne va jamais ignorer ce que fait l’opposition mais elle le remplace dans un certain contexte. 

 

Le 23 février 2019, lors des évènements liés à la fameuse « aide humanitaire », HispanTV, Ruptly et Xinhua avaient des correspondants des deux cotés de la frontière colombo-vénézuélienne. Ce qui marque une grande différence avec tous les autres médias internationaux qui se sont bornés à accompagner l’opposition vénézuélienne du côté colombien. Autrement dit, seuls les russes, les chinois et les iraniens ainsi que Telesur ont fait un travail honnête en couvrant le point de vue des deux parties. C’est assez révélateur non ?

 

Marcos Salgado: Les médias occidentaux ignorent systématiquement les sources gouvernementales vénézuéliennes. Ils commettent, selon moi, une grave erreur car ils ne comprennent pas ce qui se passe au Venezuela. Ils ignorent et méprisent le Peuple vénézuélien. Du coup, ils n’ont pas vu ce que nous avons pu voir ce jour là sur le pont Simon Bolivar. Le Peuple et la Garde nationale ont défendu, ensemble, ce pont afin d’empêcher une agression externe. Ils ne veulent pas montrer ça. Il ne s’agit pas d’être impartial, tous les média ont leur ligne éditoriale, mais il s’agit de montrer vraiment ce qui est en train de se passer.  

 

Mariela, tu es caméraman pour plusieurs agences de presse et pour divers médias. Existe-t-il aussi une différence dans le traitement de l’image ?

 

Mariela López: Absolument. Le traitement de l’image est différent. Il y a plusieurs styles et différentes manières de présenter l’information. Lorsque je filme un événement, je dois faire des vidéos différentes pour chaque agence de presse et pour chaque média car ils ont tous une manière propre de présenter l’information. 

 

Vous avez, tous les deux, été des témoins privilégiés de la tentative d’attentat contre les pouvoirs publics vénézuéliens le 4 août 2018. Mariela, racontes nous ce qui s’est passé ce jour là. 

 

Mariela López: C’était un samedi. Le matin, nous avons reçu une invitation pour assister au 81èmeanniversaire de la Garde Nationale Bolivarienne. Ça avait lieu sur l’avenue Bolivar, dans le centre de Caracas. Le président Nicolas Maduro allait être présent. Nous sommes donc allés travailler comme n’importe quel autre jour. Nous nous sommes accrédités auprès des autorités, comme tous les autres médias internationaux et nationaux. La cérémonie a commencé par un joli défilé militaire. Du point de vue de l’image, c’était très réussi. Lorsque la commémoration prenait fin, il a commencé à pleuvoir. Du coup, la plupart des médias ont commencé à s’en aller, surtout ceux qui avaient des appareils comme les caméramans et les photographes. A ce moment là, ils avaient déjà suffisamment d’images en stock. Ils n’avaient pas à prendre le risque de mouiller leurs appareils. 

Marcos Salgado: Dans le protocole lié aux défilés militaires, le président inaugure l’événement, ensuite vient le défilé, et enfin le président reprend la parole. Rappelles toi que la grande majorité des médias étaient présents pour capter la réflexion du président sur l’installation de l’Assemblée Nationale Constituante qui avait eu lieu un an auparavant. Le président Maduro a évoqué ce thème au début de son discours. Quand il a commencé à pleuvoir, les photographes avaient déjà leurs photos, les agences de presse avaient leurs vidéos du président parlant de la Constituante, et ils ont commencé à partir. 

 

Et donc, vous êtes restés seuls ?

 

Mariela López: Oui. Sur la scène réservée à la presse qui faisait face à l’estrade présidentielle, j’étais toute seule car Marcos en était descendu pour aller faire des photos des militaires. J’étais toute seule et j’ai continué à filmer. 

Marcos Salgado: À ce moment précis, il n’y avait plus aucun média international. 

Mariela López: Et c’est là qu’il a commencé à se passer des choses bizarres. J’étais seule et j’ai entendu un bruit au dessus de moi. J’ai levé les yeux et j’ai vu un drone, à 10 mètres au dessus de ma tête. Je me suis dit : « ça doit faire partie de la cérémonie ». J’ai pensé que c’était un drone avec une caméra. C’était un très grand drone blanc, avec des lumières rouges qui clignotaient. Cinq minutes après, j’ai entendu la première détonation. Ça a été un moment de grande confusion. J’ai regardé Marcos qui était en contrebas comme pour lui demander « qu’est-ce qu’il se passe ? ». A ce moment, les services de sécurité sont passés à l’action. Et ma caméra était face à eux et a tout filmé.

Quand enfin, on prend conscience de la situation, les gardes du président sont en train de le protéger et de le faire sortir. C’est à ce moment là que nous avons entendu une seconde détonation. Depuis l’estrade où je me trouvais, j’ai vu que l’on donnait l’ordre aux aspirants militaires de rompre les rangs. J’ai donc décidé de descendre avec ma caméra. Ça a été un moment de confusion totale. Je n’ai pas eu peur. La peur, elle vient après. J’ai commencé à avoir peur après coup, lorsque je suis rentrée chez moi et que j’ai revisionné les vidéos que j’avais réalisé. On savait alors qu’il s’agissait d’un attentat avec des drones chargés d’explosifs. J’ai pensé : « ce drone bourré de C4 est passé juste au dessus de moi même pas cinq minutes avant ». C’est dans un moment comme ça que tu te dis que si tu es encore vivante, c’est parce que la mort n’avait pas décidé de t’emporter à ce moment là.

 

Les images que tu as filmé, ce sont celles que nous avons pu voir dans le monde entier ? 

 

Mariela López: Ce sont les seules images disponibles, et en quelques heures elles ont fait le tour du monde. 

 

Waouh, je me sens très honoré d’être à tes cotés. 

 

Mariela López: (Rires)

 

 Le premier drone explose

 

Qu’est ce qu’il se passait en contrebas ? Qu’est ce que tu as vu Marcos ?

 

Marcos Salgado: Il faut d’abord souligner que le départ de nos collègues est quelque chose d’habituel. Si je ne le fais pas, cela va générer de la suspicion sur notre présence à ce moment précis. C’était normal qu’à ce moment là, les agences de presse et surtout les photographes soient partis. Ils avaient l’information qu’ils étaient venus chercher, ainsi que les images du président. Il fallait qu’ils rentrent pour envoyer les images et transmettre rapidement l’information. Nous, nous sommes restés parce que nous voulions une information supplémentaire. Le président avait déjà parlé de la Constituante mais il n’avait pas encore parlé d’économie. Or, nous étions à quelques jours du lancement d’un nouveau plan de relance de l’économie. Le président avait esquissé le thème lors de sa première intervention avant que ne commence le défilé militaire. Nous sommes restés pour obtenir plus de déclarations du président sur les thèmes économiques. Donc, Mariela s’est mis un poncho et a couvert sa caméra avec un plastique. Moi j’ai fait de même avec mon appareil photo. Quand la pluie a été moins forte, je suis descendu pour faire des plans serrés sur les visages des aspirants militaires présents sur le devant du défilé. C’est à ce moment là qu’a explosé le premier appareil. Ça a été une sensation très forte, mes jambes en ont tremblé. On s’est regardé avec Mariela. Et là, les gardes ont protégé le président. J’ai levé mon appareil photo et j’ai fait une rafale de photos. J’ai du prendre plus de vingt photos de cet instant. 

 

Les photos que l’on a pu voir dans tous les médias, c’étaient les tiennes ? 

 

Marcos Salgado: Oui, c’est moi qui les ai prises. 

 

Je suis une fois de plus très honoré d’être à vos cotés. 

(Rires)

 

Blague à part, j’insiste sur ce point parce que vous avez été des témoins privilégiés. Cet attentat a été l’objet de railleries dans les médias internationaux. Le mot attentat était systématiquement mis entre guillemets dans la presse pour jeter un doute sur ce qui s’est réellement passé. Les médias les plus radicaux ont même évoqué un « auto-attentat ». Le public occidental a dû attendre plusieurs mois qu’un reportage de CÑN valide la thèse de l’attentat pour commencer à y croire. Pourquoi on ne vous a pas cru tout de suite ? Pourquoi le public occidental n’a pas cru les informations diffusées ce jour là par HispanTV et Xinhua ? 

 

Mariela López: Après un bref moment de confusion, nous savions qu’il s’agissait d’un attentat. Il y a eu beaucoup de spéculations sur les réseaux sociaux mais nous insistions pour dire qu’il s’agissait d’une tentative de magnicide. Nous l’avons vu, entendu, nous l’avons senti dans notre propre chair, et nous avons été témoins de l’activation du dispositif de sécurité. La thèse de l’auto-attentat est impossible et mensongère. Les images que j’ai filmé du président parlent par elle-même. Ça se voit qu’il ne comprend pas ce qu’il se passe. Et pas seulement Nicolas Maduro, toutes les autorités ainsi que les civils qui étaient sur l’estrade présidentielle ont réagi de la même façon.    

Marcos Salgado: Il y a une phrase qui dit que le journalisme, ce n’est pas donner la parole à celui qui soutient qu’il pleut et à celui qui dit qu’il ne pleut pas. Le journalisme consiste à ouvrir la fenêtre et regarder s’il pleut. Ça s’applique aussi aux audiences et aux publics. Après cet attentat, il y a eu une campagne de stigmatisation pour dire « pourquoi ces deux là étaient-ils encore présents ? » « Savaient-ils quelque chose ?»

Cette campagne avait pour but de jeter le doute sur la véracité de ce qui s’était déroulé. Ce jour là, tout le monde a fait son travail. La sécurité du président l’a protégé, ceux qui se trouvaient dans le deuxième cercle ont sécurisé le périmètre. Et nous, nous avons filmé et photographié. Parfois, je me demande : « Qu’est-ce qu’il se serait passé si l’attentat avait eu lieu quelque instant plus tôt lorsque toute la presse internationale était encore présente ? » Ils auraient douté ? Probablement. Mais là, ils ont eu la possibilité de dire « si les seules images viennent de Xinhua et HispanTV, c’est louche ». Spéculer, c’est gratuit. Les gens le font avec beaucoup de facilité et en toute impunité. Nous, nous avons offert un témoignage audiovisuel. Nous avons fait notre travail. 

Extrait de notre rencontre avec Mariela López y Marcos Salgado

 

Source : Le blog de R. Migus

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