Ni féminin ni masculin, mais humain

Le harcèlement sexuel dont sont victimes les femmes est à replacer dans un contexte beaucoup plus large de violence due au genre. Le harcèlement sexuel, aujourd’hui visible par la libération de la parole des femmes, est la partie émergée d’une violence souterraine, intériorisée ; violence ordinaire de la domination du monde masculin.

 

On ne pourra faire cesser la domination sexuelle masculine (harcèlement, viol, abus, contrainte…) sans résoudre le problème de la place accordée aux femmes, non seulement dans notre société, mais aussi dans l’ensemble de la planète. Car la domination est bien planétaire, ce qui donne à penser qu’il y a des facteurs communs à ce phénomène. Il faut donc réfléchir sur ce qui fait que les sociétés humaines s’accordent implicitement sur le pouvoir masculin en général et sexuel en particulier, même lorsque les lois stipulent l’égalité Homme/Femme et font du viol un crime.

L’inégalité se fonde sur des mythes fondateurs. Je ne m’intéresserai ici qu’aux mythes fondateurs judéo-chrétiens pour la raison fondamentale que les pays européens ont été les pays colonisateurs et donc exportateurs de leur modèle de société et de pensée, mais aussi pour participer au débat aujourd’hui ouvert dans nos sociétés occidentales.

Dans les mythes judéo-chrétiens celui de la création de l’homme et de la femme fonde l’inégalité entre les genres. Nous remarquons d’ailleurs que jamais il n’est question de la création de l’espèce humaine mais que l’ancien testament introduit dès l’abord une différence sexuée – Homme, femme – puis une hiérarchie entre eux, d’abord dans le temps – l’Homme est créé en premier – et dans l’essence – la Femme n’est qu’un sous produit de l’Homme -. Au paradis, c’est Eve qui incite Adam à enfreindre l’interdit de manger le fruit de l’arbre de la connaissance et provoque la colère de Dieu qui les expulse du Paradis avec la double malédiction du travail et de l’enfantement dans la douleur.

On remarque la répartition des tâches: travail pour l’un, maternité pour l’autre. Le travail de la femme ne correspond donc pas au rôle assigné par dieu (ou par la tradition); il est donc tout à fait logique qu’il soit accessoire et moins rétribué. Dans la tradition grecque le corps de la femme est un simple réceptacle passif pour la semence masculine porteuse du destin de l’enfant à venir. Aristote comme Platon énoncent comme un fait de nature l’infériorité des femmes. Seuls les hommes ont été créés directement par les Dieux.

La question de l’infériorité de la femme va être largement débattue à partir de ces mythes de la création. En 585 au Concile de Macon, les théologiens débattent de la traduction de la Vulgate “Et creavit Deus hominem ad imaginem suam” pour savoir si Hominem traduit genre humain ou seulement sexe masculin; le débat est d’importance car alors la femme n’aurait pas été créée à l’image de dieu, et donc quid de son âme? Le débat a vite était clos sur le fait qu’elle a bien une âme, sans pour autant leur concéder l’égalité.

La place de la femme dans la société fera l’objet d’une littérature philosophique (Poullin de La Barre, De l’Égalité des deux sexes (1673), 1691 ; Abbé Joseph Dinouart, Le Triomphe du sexe, ouvrage dans lequel on démontre que les femmes sont en tout égales aux hommes, Paris, 1769), en particulier au XVIIIème siècle en relation avec Les Lumières. Le siècle suivant, qui est celui de la bourgeoisie triomphante, remettra les femmes à leur place, c’est à dire sous la domination masculine que légitimise le Code Civil sous Napoléon I.

La domination sexuelle est toujours fortement liée au pouvoir économique détenu par les hommes. Dans les usines, l’ouvrière, sous-payée, était aussi victime de harcèlement sexuel du contre-maître, toujours un homme, ou du Directeur. De même la « bonne à tout faire », était souvent l’objet sexuel du père de famille puis du fils. Aujourd’hui encore les femmes sont en majorité à un niveau hiérarchique inférieur, avec un salaire lui aussi inférieur, et donc elles sont sous le pouvoir économique des hommes et potentiellement objet de harcèlement sexuel.

La société contrôle le corps des femmes au moyen de la religion puis/et de la médecine ; deux pouvoirs masculins (Les études médicales seront longtemps interdites aux femmes). Les droits à l’avortement et à la contraception ne sont pas acquis dans tous les pays, même occidentaux, et sont souvent remis en cause dans les pays où ils existent, en particulier par le biais médical : L’avortement serait un traumatisme insurmontable ; la contraception chimique (la plus sûre) un danger. La natalité est encouragée.

Les femmes sont considérées sous l’angle du corps. Les magazines, féminins et masculins, les publicités, la mode, utilisent le corps féminin comme appât. Le désir est masculin.

Une fois ce constat établi, il me paraît important de trouver des pistes de remédiation. De mon point de vue il faut penser l’humanité comme étant une, c’est-à-dire sans tenir compte du sexe. Nous sommes des êtres humains avant d’être une femme ou un homme. Pourquoi existe-t-il une case sexe à cocher dans la plupart des documents? Ni féminin, ni masculin, mais humain. Ce n’est pas facile ; je me heurte souvent à l’incompréhension de mes proches ou de mes interlocuteurs lorsque je dis n’être ni une femme et ni une mère mais un être humain. Je refuse la différenciation car la différence est toujours hiérarchique; au concept de différence on peut substituer celui de diversité qui inclut en plus de la différence le respect de l’altérité, car dans la diversité tous les éléments sont nécessaires au même degré.

Cette conception ouvre le débat plus large des droits universels car à partir du moment où on considère que l’Autre, quel que soit sa couleur, son sexe et sa culture est semblable dans son essence tout en étant autre, la question de l’inégalité – et donc celle de la définition des droits universels – est résolue car alors cet autre moi-même a forcément les mêmes besoins essentiels pour vivre dignement dans son humanité. Il est alors impossible de lui nier les droits auxquels tout être humain aspire, des droits que l’on peut qualifier d’universels pour une humanité une et diverse.

 

Source : Investig’Action

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