Mobutu : comment la Belgique et les USA ont installé une dictature

Ludo De Witte a écrit un livre sur L’Assassinat de Lumumba en 2000. Sur base d’un travail d’archives acharné et sur base de certains interviews avec des gens qui étaient impliqués, il put prouver qu’effectivement le rôle principal de l’assassinat de Lumumba était belge. Ce livre a provoqué l’instauration d’une commission parlementaire…et aujourd’hui, la suite avec un nouveau livre : L’Ascension de Mobutu.

 

 

Dès le début, on savait que les Belges avaient un rôle important dans cette affaire. Il ne faut pas oublier qu’après l’annonce de la mort de Lumumba, un peu partout dans le monde, il y a eu de grandes manifestations anti-belges. Il y a eu notamment en Yougoslavie et en Égypte des manifestations qui ont presque complètement saccagé les ambassades de là-bas. Donc, on savait.

Avant la publication du livre de L’ASSASSINAT DE LUMUMBA, trois années avant, j’avais écrit un livre sur le Congo (CRISIS IS KONGO – 1996) où je donnais déjà quelques petites indications, mais qui était quand même très convaincantes sur le rôle joué de la Belgique dans cette affaire. Mais en 1996, il n’y a pas eu de réaction dans les médias, mais trois années après : oui ! En 1996, des personnes très importantes qui avaient un rôle avec des attaches dans cette affaire étaient encore en vie. Par exemple : Mobutu. Le dictateur Mobutu était toujours en place bien qu’il était en train d’être renversé par Kabila.

Ce que j’ai fait, c’est un travail de fourmis, parce que j’ai vraiment demandé tous les documents. J’en ai vu des dizaines et des dizaines de milliers. Pas seulement dans les archives de l’État en Belgique, mais aussi en Angleterre, au Congo. Des archives privées aussi. Et bien, qu’il y ait certainement des documents qui ont été enlevés par des diplomates, si on met ensemble des documents qui sont dans une archive avec des documents d’une autre archive, tu peux voir l’interconnexion des éléments et tu peux déduire, prouver, analyser. Je vous donne seulement un exemple. Il y a dans une archive belge un document dans lequel un collaborateur du ministre des Affaires étrangères – c’était au moment où l’on était en train d’organiser la lutte contre Lumumba – dit : On va envoyer les deux enfants. C’est dans un document ça. Cela ne veut rien dire. On ne peut rien en déduire. Ce sont des codes probablement (?) Pourquoi, ne pas donner les noms des enfants ? Et bien, dans un autre document, dans une autre archive, j’ai trouvé un échange entre un agent des services secrets et ce même collaborateur du ministre qui parlait de la nécessité d’envoyer des tueurs à gages au Congo. C’est ça, les deux enfants. Parfois, les diplomates font un document qui n’est pas chaud, qui ne relève rien du tout, mais en fait si tu mets tous les éléments ensemble, tu arrives à des conclusions comme celles-là. L’archiviste principal des archives du ministère des Affaires étrangères en Belgique m’a raconté que Louis Michel en personne est venu dans les archives de l’État et a engueulé le personnel pour tout fermer et empêcher les recherches sur le Congo, le Rwanda, le Burundi, les anciennes colonies de la Belgique. Au même moment, on organisait cette commission pour soi-disant trouver la vérité. Tu vois bien que c’est une opération pour la galerie en fait, et fondamentalement, on ne voulait pas que cette vérité saute aux yeux.

L’élite dominante est organisée pour éviter la reconnaissance de cette responsabilité. Pourquoi ? Parce que l’élite dominante veut garder ses mains libres (encore) aujourd’hui pour intervenir dans le monde. Pour jouer son rôle diplomatique, économique, financier, militaire. Si elle est responsable des crimes de guerre pour des assassinats politiques, ça limite la possibilité d’intervenir. Et même après mon livre, même aujourd’hui, il y a une lutte de la part de l’élite et des académiciens et des journalistes qui sont liés pour minimiser toutes les responsabilités dans toutes ces pages de l’histoire de la Belgique.

Ce que je décris dans mon nouveau livre, c’est exactement ça. Avec ce qui s’est passé en 1961 avec l’instauration d’un gouvernement pro-occidental, après l’assassinat de Lumumba, l’Occident pensait que le problème était réglé pour eux. Mais ce n’est pas vrai. Et, on a vu dans les années 1963 à 1967 des rébellions au Congo qui éclataient de la population contre ce régime pro-occidental dans la capitale…Une armée corrompue dès le début par l’Occident, la CIA, par la Belgique, par des militaires qui ne recevaient pas beaucoup de soldes et qui arnaquaient la population, violaientt les femmes systématiquement…Donc, c’était la révolution anticoloniale, la révolution nationaliste…

Je pense à cette expression de Henry Kissinger qui est un grand diplomate américain de la Deuxième Guerre mondiale et qui a dit : Le pétrole est un produit stratégique qui est trop important pour le laisser aux mains des Arabes. Et, c’est tellement ça. Cette richesse, on ne peut la laisser au Congolais. Non. C’est ça l’impérialisme qui produit le sous-développement et des gens comme Mobutu ont eu un rôle clef important. Ce sont des sous-traitants qui doivent garantir cette exploitation.

En période de paix, la classe dominante est invisible. Elle n’a pas besoin de sortir. Ce sont ses politiciens qui gèrent ses affaires au calme. Mais dans des périodes de crise, dans des périodes charnières, dans des périodes où elle croit que ses enjeux sont en danger alors, on voit sa vraie nature. C’est aussi avec un but éducatif de démontrer la nature exacte de cette élite qui est assise sur des richesses énormes qui en grandes parties sont volées aux peuples du sud et qui n’a qu’un seul but, c’est de continuer.

 

Source : Radio Campus 

 

 

1/3, Bruxelles : Présentation du livre
de Ludo De Witte, L’ascension de Mobutu

 

 

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