Massamba Gueye : « Il nous faut une commission vérité et réconciliation sur les restitutions entre l’Afrique et l’Europe »

Les débats autour des réparations sont remis à l’ordre du jour concernant Haïti suite aux articles du New York Times sur la rançon imposée par la France à son ancienne colonie. Mais aussi entre la Belgique et la République Démocratique du Congo et la visite royale qui a eu lieu ces derniers jours. Nous publions une interview de Massamba Gueye, intellectuel sénégalais dont la parole compte dans la réflexion sur les réparations et les restitutions (IGA).

« Je n’ai pas de maître », revendique Massamba Gueye. Conteur et enseignant, il est fier d’appartenir à une génération sortie des universités du Sénégal qui n’a pas été éduquée en Occident. Tout comme le président Macky Sall, qu’il conseille sur les questions de culture et de patrimoine. « Il faut tout restituer, martèle Gueye, sans négocier ». Et pour réaliser ce rêve d’un continent apaisé, une Commission vérité s’impose, dit-il, entre l’Afrique et l’Europe.


JUSTICE INFO : Une première restitution symbolique a été faite au Sénégal par la France, avec le sabre d’El Hadj Omar, fin 2019. Comment a-t-elle été perçue par les Sénégalais, selon vous ?

MASSAMBA GUEYE : Sur le plan moral et du respect des droits humains, les faits coloniaux sont des faits de violence. Partant de ce principe, il n’y a rien de plus injuste que de prendre les objets culturels d’un espace pour en faire des objets à fonction uniquement narrative. Lorsque l’on arrache des instruments spirituels à un espace pour les transposer dans des musées en Europe, on tue en eux ce que j’appelle la fonction de socialisation, pour en faire des porteurs de discours. Mais ce ne sont pas des discours authentiques ; ce sont les discours de leur voyage. Arracher un masque ntomo bambara pour aller l’exposer au Musée d’ethnographie de Genève, c’est tuer toute une fonction sociale d’une certaine communauté et rendre une société orpheline de sa spiritualité. Donc, au-delà de ramener des objets physiques que l’on peut toucher, c’est la réparation du préjudice moral culturel et cultuel dont il s’agit. Pour moi, c’est sous cet angle-là qu’il faut aborder la question.

Retourner le sabre d’El Hadj Omar, oui pourquoi pas. C’est un objet qui rentre chez soi. Mais il faut que l’on nous dise d’abord comment il est parti, parce que sinon cela veut dire que l’on nous ramène le symbole de la défaite de notre ancêtre qui, dans notre imaginaire, n’a jamais été battu mais qui, dans toutes les leçons que nous avons apprises depuis les années 1960, a disparu mystérieusement dans les falaises de Bandiagara [Mali actuel]. Rien que le retour de ce sabre-là peut déconstruire tout un imaginaire d’une population qui avait construit une fierté. Et c’est ça, l’épée de Damoclès : on va faire revenir des objets mais ces objets-là reviennent pour polluer une certaine représentation, et une fierté pour certains.

On sait que ce sont des objets soit volés, soit capturés lors de razzias, soit vendus par certaines personnes cupides vivant en Afrique. Pour moi, c’est ce discours autour du retour des objets qu’il faut construire pour que ce ne soit pas plus vexant que le départ des objets.

Quand vous volez et que vous êtes pris, vous rendez. Si le propriétaire veut brûler, il brûle, s’il veut jeter, il jette, s’il veut désacraliser, il désacralise, s’il veut resacraliser, il resacralise.

Restituer, dans certains cas, c’est rappeler l’humiliation ?

Oui parce que, pour moi, ramener l’épée sans qu’il y ait de discours valorisant, c’est nous dire qu’El Hadj Omar avait perdu son épée sur un champ de bataille. Le discours n’est pas construit. Avant de ramener les objets, est-ce qu’il y a quelque part un mea culpa ? Est-ce que les voleurs ont reconnu qu’ils ont volé ces objets, et qu’en volant ces objets ils ont tué des communautés, ils ont tué des pratiques qui donnaient naissance à la vie. C’est là où il y a un crime. Il y a un crime du fait de la perte spirituelle, de la rupture d’une évolution et de l’impossibilité d’une transmission d’un savoir. Et ce savoir immatériel là, on ne peut pas le réinventer. C’est un crime très grave et, pour moi, collecter des milliers d’objets pour nous en ramener deux ou trois, non. Et nous poser la question : est-ce que nous avons des musées pour les garder, non. Où est-ce que l’on a vu un voleur demander au propriétaire de créer les conditions de la sauvegarde de ses biens pour les lui ramener ? Quand vous volez et que vous êtes pris, vous rendez. Si le propriétaire veut brûler, il brûle, s’il veut jeter, il jette, s’il veut désacraliser, il désacralise, s’il veut resacraliser, il resacralise.

Il y a un fait très bizarre auquel on ne fait pas attention : ils [les Européens] appellent ces objets des ‘biens’ culturels – dans ‘biens’, il y a une notion financière – mais ce ne sont pas des biens, ce sont des symboles et des fonctions. Imaginez que l’on ramène au Sénégal en 2022 une statuette qui avait une fonction religieuse dans une communauté aujourd’hui évangélisée ou islamisée et qui considère que ces objets sont des objets animistes. Cette famille, anciennement porteuse de cette valeur-là, est-elle prête à ce qu’on lui rappelle son animisme ? Il y a des contentieux qui peuvent naître. Des objets mandingues partis à un moment où certaines frontières n’existaient pas, reviennent dans une Afrique de l’Ouest, par exemple, partagée entre les Mandingues du Sénégal, les Mandingues de Guinée, les Mandingues du Burkina, les Mandingues d’Abidjan… A quel pays va-t-on remettre ces objets qui appartiennent à toute une communauté culturelle ? Parce que nos communautés culturelles ne répondent pas à nos frontières administratives.

Je vous donne un exemple. Il y a des objets cultuels qui sont partis et qui renvoyaient à la thérapie que l’on appelle le N’Döep, une thérapie chez les Lébous dans certains villages comme dans le mien, qui permettaient de soigner les fous. Mais les objets cultuels, les pilons, quand on les arrache de cet espace-là ils deviennent des objets de cuisine. Or, chaque pilon correspond à une divinité, à une personne, c’est son psy, c’est à lui qu’il va parler. Mais aujourd’hui, le village de Koki est devenu un foyer de l’islam avec un institut islamique qui a 5.000 inscrits – qui va leur dire : reprenez vos foyers animistes ?

Ce sont ces problématiques-là que l’on ne veut pas poser. La France a l’ambition de faire ce qu’elle veut faire pour sa conscience et pour son bien national, pour ses rapports avec l’Afrique, et cela peut être salutaire. La France délègue qui elle veut pour lui faire un rapport. Mais ce rapport [de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, commandé par le président français Emmanuel Macron et publié en novembre 2018], réalisé sur le budget de la France et avec les termes de référence de la France, ne m’engage pas moi en tant qu’Africain. Même si ce rapport est fait par des personnes respectables, il n’engage pas le Sénégal et n’engage pas l’Afrique.

Jusqu’à présent, l’Afrique n’a pas construit un discours cohérent. Ce sont des intellectuels qui se lèvent et portent un discours, mais ces intellectuels ne représentent PAS les communautés. Il n’y a pas une seule action posée vers les communautés détentrices.

Du coup, quelle est la demande des États africains face à cette situation, et pourquoi l’entend-on si peu ?

Cette question doit être portée par l’Union africaine. Parce que ça touche la mémoire du continent. Tout ce qui touche la colonisation, tout ce qui touche l’esclavage, doit être porté par l’Union africaine parce que, quand la colonisation et l’esclavage ont commencé, les pays n’existaient pas. L’Union africaine doit se prononcer de manière systématique.

Il y a une commission de l’Union africaine qui essaie aujourd’hui avec certaines institutions de poser les bases. Mais notre demande doit encore être formulée. Nous devons dire très clairement ce que nous voulons et comment nous le voulons mais nous ne devons pas être l’écho de la volonté de l’Occident qui obéit à une philosophie et à une évolution de son histoire, qui répond à un discours interne sur les droits de l’homme et aussi à des valeurs que portent ses nouvelles générations qui, elles, ne sont pas responsables de certaines choses mais sont gardiennes d’une mémoire. Jusqu’à présent, je constate que c’est une faiblesse pour l’Afrique, parce que l’Afrique n’a pas construit un discours cohérent. Ce sont des intellectuels qui se lèvent et portent un discours, mais ces intellectuels ne représentent PAS les communautés. Il n’y a pas une seule action posée vers les communautés détentrices.

Nulle part ?

Nulle part. Au Sénégal il n’y a pas ça. Je travaille beaucoup sur l’Afrique de l’Ouest, je voyage beaucoup, j’organise beaucoup d’événements culturels et je ne suis pas au courant que cela existe au Bénin, en Côte d’Ivoire… nulle part on est allé voir les communautés pour leur dire : voilà ce qu’on vous a pris, voilà ce que c’est devenu, qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? Il n’y a pas eu ce référendum-là. Aujourd’hui, nous avons un mouvement intellectuel mais nous n’avons pas un mouvement social de base pour la revendication de ces biens.

Au Sénégal, la seule demande officielle vient de la très influente famille omarienne…

Exactement. El Hadj Omar porte l’étiquette d’un conquérant mais d’un conquérant islamisant, qui est ce que j’appelle la colonne vertébrale du Sénégal musulman aujourd’hui. Mais ce qui a été confisqué à Serigne Touba [fondateur de la confrérie des Mourides] est revendiqué par sa famille. Ce qui a été confisqué à El Hadj Malick [fondateur de la confrérie des Tidjanes] est aussi revendiqué par sa famille.

On parle des biens culturels mais on ne parle pas de la production juridique de ces hommes-là. Beaucoup d’écrits ont été pris. Tout cela doit être rapatrié au Sénégal. Aujourd’hui, il faut bien comprendre que le Sénégal ne se focalise pas sur El Hadj Omar. Le Sénégal se focalise sur l’ensemble des objets qui ont enrichi Nantes, qui ont enrichi les grands collectionneurs, jusqu’à la collection de Léopold Sédar Senghor qui est détenue par un Français et que l’on ne peut même pas avoir.

On parle de retour des biens culturels en français, mais on n’en parle pas en wolof, on n’en parle pas en joola, on n’en parle pas en sérère. Ce qui fait que, pour la majorité des gens qui parlent ces langues-là, c’est un discours porté par les grands intellectuels. On ne leur a même pas demandé s’ils veulent que ça revienne. Mais ça doit revenir.

Pourquoi ne le fait-on pas ?

Parce que depuis l’installation de l’école française, l’élite occidentalisée a toujours considérée qu’elle était plus intelligente et plus au fait des choses et que les autres devaient écouter l’écho de leur discours. On a ce complexe-là. Les universitaires, ceux qui ont fait les grandes écoles, considèrent que les autres n’ont pas leur mot à dire sur ce débat-là. C’est pourquoi les conférences, les colloques, tout est fait en français ou en anglais, rien en langue nationale. Les grands intellectuels africains aujourd’hui sont incultes dans leur propre langue maternelle. Et comme ils sont incultes, ils ne veulent pas ramener le discours à ce niveau-là. Ils veulent garder le privilège de ce que j’appelle l’exotisme d’un discours à l’occidentale pour continuer à noyer les masses dans la pauvreté et l’ignorance.

La rupture profonde, ce n’est pas un changement de régime, c’est une rupture profonde dans les rapports avec les populations. On gère le pays dans les langues occidentales, mais le véritable savoir est dans les langues locales.

Vous le dites au président du Sénégal, lorsque vous le conseillez ?

C’est mon discours public. Je le dis partout. Je le dis au président, à l’opposition, je le dis aux intellectuels. Même si j’ai un doctorat en lettres, je pense que l’on doit travailler à écouter les populations, à faire remonter ce qu’elles veulent.

Nous avons reproduit tout le schéma de l’héritage culturel administratif colonial. Le politique continue un système qui lui permet de se perpétuer. La rupture profonde, ce n’est pas un changement de régime, c’est une rupture profonde dans les rapports avec les populations, par rapport à l’imaginaire des populations. On gère le pays dans les langues occidentales, mais le véritable savoir est dans les langues locales.

Pour revenir aux restitutions, que peuvent-elles apporter ?

Pour moi, c’est une question de justice. Il faut restituer parce que cela nous appartient. Une fois que l’on a identifié que cela a été volé ou vendu illégalement, il faut tout restituer. Et que l’on ne nous demande pas si on a où les garder ou pas. Ça n’intéresse pas l’Occident, ce n’est pas son problème.

Aujourd’hui, les musées ethnographiques ne peuvent pas continuer à exister dans leur configuration montrant une Afrique ésotérique à des Africains. Les musées ethnographiques montés pendant la période coloniale doivent disparaître.

Et après ?

Après, ce que l’on va en faire, cela nous concerne nous. On est suffisamment adultes pour en faire ce que l’on veut. Si on veut brûler, on va brûler ; si on veut exposer dans des écoles ou dans des musées, on va exposer. Mais qu’on nous ramène nos choses d’abord. C’est ce paternalisme-là qui me pose problème.

Le musée dans sa forme actuelle, il dit quoi à l’Africain ? C’est une forme aussi de continuation d’un élitisme. Par exemple, l’IFAN [Institut fondamental d’Afrique noire], à Dakar, est une invention coloniale qui continue à véhiculer cette même philosophie, ce que j’appelle l’exotisme africain. Et si on va plus loin, l’IFAN lui-même regroupe des éléments qui n’appartiennent pas au Sénégal. Très majoritairement. Il y a donc aussi cette question de restitution du Sénégal vers ces pays-là. Il faut être réaliste : autant le Sénégal a le droit de venir demander ses biens à la France, autant le Mali à le droit de venir demander ses choses au musée Théodore Monod [IFAN].

Aujourd’hui, les musées ethnographiques ne peuvent pas continuer à exister dans leur configuration montrant une Afrique ésotérique à des Africains. C’est là où je suis en désaccord avec beaucoup d’intellectuels. Les musées ethnographiques montés pendant la période coloniale doivent disparaître. Nous devons réinventer.

On va reprendre. Nous ne sommes pas dans une posture de négociation. C’est im-pé-ra-tif.

Aujourd’hui, cette réinvention est portée à Dakar par le nouveau Musée des civilisations noires. Mais n’a-t-il pas affiché son ambition de tout prendre des collections dites ethnographiques se trouvant en Europe… si l’on peut tout prendre ?

Moi, c’est le si que j’enlève. On va reprendre. Nous ne sommes pas dans une posture de négociation. C’est im-pé-ra-tif. La position d’Israël sur les biens des Juifs, c’est la position de l’Afrique sur ces biens-là. C’est exactement ça.

Mais aujourd’hui, la volonté du Musée des civilisations noires c’est aussi et d’abord de sauver ce qui est encore en Afrique et qui n’a pas été collecté. On parle de ce qui est parti mais il y a ce qui reste et qui est en train de périr. C’est un musée qui n’est pas dans l’altérité. Il est dans l’affirmation. Je fais partie de son conseil d’administration ; ce musée n’a pas pour ambition d’affirmer juste l’identité sénégalaise mais de repenser le discours que l’on porte sur l’Afrique. Pour moi, il est très utile. C’est un musée qui va montrer l’humain. Picasso a sa place dans ce musée, et il y sera bientôt exposé. Il ne faut pas des musées qui montrent les caractéristiques d’un peuple mais qui montrent que l’humain est unique.

Il faut faire deux choses. Ramener les objets symboliquement avec des excuses du monde et un travail d’enquête pour que quand ces objets vont arriver on puisse les confronter avec les savoirs que nous avons.

Le retour des biens culturels c’est dire au monde : vous n’avez pas le droit de prendre les objets d’un peuple pour en faire un jeu pour vos enfants. Pour qu’ils fassent des sorties pédagogiques et viennent prendre des photos et dire : les Nègres, ils sont bizarres. Comme nous, nous n’avons pas le droit de prendre des poupées blanches pour mettre dans nos musées. On n’a pas le droit. L’humain est humain. C’est la richesse des humains qu’il faut montrer dans les espaces des musées, pas leurs différences.

Je pense qu’il faut faire deux choses. Ramener les objets symboliquement avec des excuses du monde, c’est une question de fierté. Mais l’autre pied, concomitamment, c’est un travail de fouille sur le terrain, de conservation, d’enquête pour que quand ces objets vont arriver on puisse les confronter avec les savoirs que nous avons. Cela ne servira à rien de ramener des objets que l’on ne pourra pas interpréter parce que ceux qui possèdent le savoir initial ont disparu.

Je pense que ce qu’il nous faut avec l’Occident pour ces objets c’est une commission vérité et réconciliation comme en Afrique du Sud.

Peut-on parler de réparation du préjudice colonial ou s’agit-il d’autre chose ?

C’est plus fort qu’une réparation. Aujourd’hui, personne ne peut quantifier le coût financier et les rentrées d’argent de ce que ces objets-là ont généré dans les musées en Occident. Je pense que ce qu’il nous faut avec l’Occident pour ces objets c’est une commission vérité et réconciliation comme en Afrique du Sud. Il y a un moment où il faut arrêter la saignée, se poser, reconnaître les torts, et dire on arrête ce processus-là et on reprend de A à Z. Mais le préjudice culturel et moral, on ne peut pas le quantifier, on ne peut pas le monnayer.

Qui pourrait porter cela ?

C’est l’Afrique. C’est l’Union africaine et l’Union européenne qui doivent se poser. On ne doit pas le porter au niveau des volontés fluctuantes des États. C’est au niveau des institutions. Et l’Onu doit être là pour arbitrer. C’est mon rêve et je vais continuer à parler et à former des jeunes pour qu’ils portent ce discours et qu’ils me relayent.

Il y a un frémissement au niveau de l’Union africaine. Il y a quelques semaines, l’Union européenne a organisé une session au niveau du Musée des civilisation noires de Dakar pour harmoniser la demande. Mais… pff…, c’est compliqué avec les politiques. Un changement de gouvernement, un coup d’État dans un pays et tout tombe à l’eau.

Je pense que le monde a raté une belle occasion, avec la restitution de ces biens-là, de panser ses relations. De panser les blessures nées de la colonisation. Je pense que l’on a raté une belle occasion de faire la paix pour le monde.

Y a-t-il des leaders politiques en Afrique pour porter aujourd’hui ce projet, comme cela avait été le cas au début des indépendances ?

Malheureusement, je ne vois pas aujourd’hui au niveau de l’Afrique un grand leader de la trempe de Senghor, de la trempe de Kadhafi, qui porte cette grande vision de se reposer sur un patrimoine pour essayer d’exister. On n’a pas cela. Je pense que les leaders politiques sont plus préoccupés par leur réélection que par le patrimoine. Même les restitutions, depuis le temps que l’on en parle, si l’Union africaine prenait sérieusement ces affaires-là en main on aurait eu sur la table de l’Onu la demande de l’Afrique, écrite et signée, avec des délais et des termes de référence bien clairs.

Oui, il manque un leadership politique pour un portage politique de ces questions-là. Et c’est pourquoi la France, l’Espagne, le Portugal peuvent choisir ce qu’ils veulent restituer. Ils peuvent se permettre de choisir l’intellectuel africain qui doit travailler sur ce sujet. L’Afrique, elle, n’a pas encore désigné ces gens. Dès que la France a ouvert la brèche avec le discours de Ouagadougou [par le président Macron, en 2017], il fallait d’abord exiger que la France et les autres pays reconnaissent la colonisation comme un crime contre l’humanité de manière très claire. Chaque pays africain devait dresser la liste de ses biens et exiger dans un mémorandum un délai de restitution. Mais nous ne l’avons pas fait.

Je pense que le monde a raté une belle occasion, avec la restitution de ces biens-là, de panser ses relations. De panser les blessures nées de la colonisation et de permettre à une nouvelle génération d’avoir un autre type de rapport. Mais on va insulter la France ici, on va renvoyer des ambassadeurs, cela va renforcer la haine ici et là-bas. Je pense que l’on a raté une belle occasion de faire la paix pour le monde.

Est-il trop tard ?

Ce n’est pas trop tard. Mais le soleil est en train de se coucher. Si on ne fait rien de concret d’ici deux ans je pense que cette page va être tournée et d’autres actualités vont suivre.

Propos recueillis par Franck Petit

Massamba Gueye devant un micro en studioMASSAMBA GUEYE

Massamba Gueye est enseignant chercheur et fondateur de la Maison de l’oralité et du patrimoine Kër Leyti, au Sénégal. Ecrivain, conteur et dramaturge, il est conseiller technique à la présidence de la République sur la culture et le patrimoine, et expert-référent au Sénégal pour l’application de la Convention 2003 de l’Unesco pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.

Source : justiceinfo.net

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