Malgré la répression, les luttes populaires continuent au Soudan

Le Soudan, au bord de la mer Rouge, est le plus grand pays d’Afrique en superficie, après l’Algérie en partie saharienne, et la République démocratique du Congo. Il est fortement peuplé (46 millions d’habitants) ; c’est moins que les géants Nigeria (220 millions), Égypte (106) ou Éthiopie (111), mais plus que les influents Côte d’Ivoire (26) ou Sénégal (16). Il fait cependant rarement la première page de nos journaux. Il a fallu, pour cela, les manifestations nombreuses contre le récent coup d’État militaire, et leur brutale répression par l’armée tirant à balles réelles, entraînant de nombreux morts.

Ce pays a pourtant vécu une histoire particulièrement agitée depuis la fin de la tutelle britannique en 1956, et présente des caractéristiques bien spécifiques. Je pointerai tout d’abord la fréquence des putschs militaires, qui instaurent chaque fois de féroces dictatures. Notamment celle instaurée par Gaafar Nimeiry de 1969 à 1985, puis celle d’Omar Al-Bachir, de 1989 à 2019, et la plus récente, en octobre 2021.

Ensuite, ces ingérences politiques répétées des chefs de l’armée ont une cause essentielle : le pays n’a jamais vraiment réussi, depuis l’indépendance, à construire un État national représentatif et solide. Il n’a guère connu de développement économique, et est fort divisé sur le plan culturel et religieux, entre le Nord, en majorité musulman le long du Nil et de la mer Rouge, les populations noires proches des Tchadiens dans le Darfour à l’ouest, et les sudistes chrétiens et animistes. Ces oppositions ont explosé en une guerre féroce menée au Darfour par les milices islamistes Janjawid (2003-2007). Elles ont abouti, en 2011, à la sécession du Soudan du Sud, dont le sous-sol possède l’essentiel des ressources pétrolières du pays, ce qui a causé vingt ans de combats meurtriers, suscités souvent par des appétits extérieurs pour les ressources du sous-sol.

Une forte tradition de gauche..

La troisième spécificité de cette histoire soudanaise est la force des mouvements populaires, syndicaux et politiques, et notamment le rôle du Parti communiste soudanais, l’un des plus importants du continent africain. Ils ont animé des grèves et des manifestations, qui ont chaque fois permis de renverser les dictateurs et enclenché de courts épisodes de réformes démocratiques. En 1985, avec la chute de Nimeiry, en 2019 après celle d’Al-Bachir. Mais ces victoires fugaces succédaient à de sanglantes répressions, et notamment l’écrasement dans le sang, la prison, les tortures et l’exil forcé des communistes soudanais, sous l’égide de Nimeiry et d’Al-Bachir, avec l’assentiment des islamistes les plus réactionnaires, et l’approbation des dirigeants pro-occidentaux de la région, Saoudiens, Émiratis et Égyptiens.

Il est évident que ces répressions successives ont affaibli le PC soudanais, mais son influence était encore réelle dans la « Révolution » qui a contraint Al-Bachir à laisser la place à une transition parlementaire qui devait déboucher sur des élections en 2021. Jusqu’à ce que le général al-Burhan ne l’interrompe en monopolisant le pouvoir au profit de la caste militaire, en interdisant les syndicats, en bloquant le téléphone et les liens Internet qui permettaient les mobilisations. Tout cela, pour assurer l’obéissance aux mesures dictées par le Fonds monétaire international, flambée des taxes et des prix, privatisations, etc. Et les fidèles d’al-Burhan renforcent leurs liens avec les alliés pro-occidentaux, y compris grâce à des contacts discrets avec l’État d’Israël.

Malgré la répression, les luttes populaires, grèves et manifestations de rue, continuent aujourd’hui. Déboucheront-elles sur une victoire et le retour à un processus de transition par le suffrage universel ? Il est trop tôt pour le prévoir, car ce mouvement populaire de résistance est à la fois affaibli et socialement disparate. Si ouvriers (peu nombreux dans ce pays rural) et jeunes étudiants de Khartoum en sont l’aile marchante, l’une des organisations les plus influentes en son sein est un regroupement d’entrepreneurs, commerçants, artisans et professions libérales. Le refus de la dictature militaire est essentiellement urbain, dans un pays majoritairement peuplé d’agriculteurs et d’éleveurs. Et ses objectifs politiques sont parfois confus, leur seul point d’accord étant le « dégagisme ».

Le PC soudanais, dans un communiqué publié en novembre, esquisse un projet de réformes drastiques, qui constitueraient l’aboutissement de la révolution populaire de 2019, tout en prônant l’unité des opposants au coup d’État. Ce projet inclut : (i) l’arrêt des réformes réactionnaires, austéritaires et liberticides suscitées par le FMI ; (ii) la sortie des alliances contre l’Iran sous l’égide de l’Occident et (iii) le transfert des entreprises contrôlées par le ministère de la Défense à un ministère civil.

Un programme bien modeste, mais qui pourrait ouvrir la voie à une « transition démocratique », un gouvernement indépendant né du suffrage universel, un développement industriel et agricole contrôlé par la nation, et un progrès social favorisant notamment l’égalité entre hommes et femmes (le PCS a longtemps été le seul parti à les admettre en son sein). Sera-t-il assez influent pour en convaincre la majorité de la population ?

Seul le peuple du Soudan décidera de son avenir, nous ne pouvons qu’être solidaires de ses luttes, qui sont aussi les nôtres.

 

Source Le Drapeau Rouge

Image: Ola A .Alsheikh (CC)

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