L’Union européenne et la paix

En 2021, la nouvelle guerre froide voulue par les Etats-Unis commençant à raviver les tensions internationales, l’Union européenne mettait la main au portefeuille pour créer un fonds spécial baptisé « Facilité européenne pour la paix ». Pour la paix, vraiment ? Depuis que le déclenchement du conflit russo-ukrainien, l’Europe dépenses sans compter pour ravitailler Kiev. Mais à travers une chronologie factuelle des récents événements et prises de position de l’UE, Vladimir Caller démontre que Bruxelles n’œuvre pas pour la paix, bien au contraire. (IGA)


 

« Pour le dire sans détour, l’Europe de l’Ouest reste dans une large mesure un protectorat américain et ses États rappellent ce qu’étaient jadis les vassaux et les tributaires des anciens empires. »

Zbigniew Brzeziński [[1]]

Lors de sa réunion du 22 mars 2021, prenant conscience que les tensions autour du dossier ukrainien donnaient des signes d’une claire aggravation, le Conseil européen décida non pas de mettre en œuvre des mécanismes de négociation ou de médiation entre les parties en conflit mais de se doter d’un fonds spécial d’un peu plus de cinq milliards d’euros qu’il nomma, avec un certain sens de l’humour, « Facilité européenne pour la paix ». Ce fonds, financé par les États membres, serait destiné, selon l’UE, « à prévenir les conflits, à préserver la paix et à renforcer la stabilité et la sécurité internationales. » Augusto Santos Silva, ministre des Affaires étrangères du Portugal, se félicitait de cette décision en ces termes « […] Il n’est possible de parvenir à une paix durable qu’en investissant dans la stabilité et la sécurité internationales. L’UE est déterminée à agir en ce sens et, à compter d’aujourd’hui, dispose des instruments financiers appropriés pour ce faire [[2]]. »

En effet, elle avait des « instruments financiers », elle en disposait avant même la création de cette « facilité » si mal nommée, non pas pour « parvenir à une paix durable » en Ukraine comme le dit le ministre socialiste portugais mais, bien au contraire, pour tout faire pour que la paix n’arrive pas, que la guerre continue et qu’elle s’aggrave. C’est ainsi que l’UE devint l’intermédiaire commercial indispensable de l’industrie d’armement, notamment, étatsunienne.

Une chronologie fort instructive

La chronologie de ce mécanisme, destiné à contrer toute possibilité d’apaisement du conflit, illustre bien l’esprit guerrier qui a animé, sans faille, les institutions européennes.

25-02-2022 (un jour après l’entrée des troupes russes en Ukraine). Le président Zelensky garde encore une certaine autonomie par rapport au cercle des ultras proches du pouvoir et songe à discuter, voire négocier avec Moscou. The Kyiv Independent, le journal « de référence en Ukraine », très proche de Zelensky, titre à sa une : « L’Ukraine prête à négocier avec la Russie ». Dans un article écrit par sa rédactrice en chef Olga Roudenko, le journal rapporte que « Selon Serhiy Nykyforov, porte-parole du président Volodymyr Zelensky, l’Ukraine est ouverte aux négociations avec la Russie et les parties discutent actuellement du format de ces discussions. »

27-02-2022 (quarante-huit heures après cette déclaration). Le commissaire Josep Borrell, socialiste espagnol responsable de la politique étrangère de l’Union européenne, annonce fièrement : « L’UE brise un “tabou” en finançant l’achat et la livraison d’armes, pour un montant de 500 millions de dollars, à l’Ukraine ».

28-02-2022. Pourtant, le New York Times a l’air plutôt optimiste en recensant les attentes des négociateurs : « Kiev souhaite un cessez-le-feu en Ukraine et la fin des hostilités, selon Mihailo Podolyak, chef de la délégation ukrainienne […] “Les parties ont identifié un certain nombre de sujets prioritaires dans lesquels certaines solutions ont été esquissées”, a-t-il déclaré après la fin des discussions […] Vladimir Medinski, ancien ministre de la Culture qui dirigeait la délégation russe, a déclaré que les parties avaient “trouvé certains points sur lesquels nous pouvons prévoir des positions communes”. »

03-03-2022. Les premières négociations en temps de guerre commencent à Gomel et puis à Belovejskaïa, en Biélorussie, entre les délégations russes et ukrainiennes. Elles s’annoncent difficiles mais relativement prometteuses. L’UE ne tarde pas à réagir.

11-03-2022. « L’UE propose 500 millions d’euros supplémentaires pour financer des armes pour l’Ukraine ». « Nous allons être beaucoup plus discrets sur ce que nous faisons », ajoute le haut représentant Borrell

16-03-2022 Le Financial Times commente les négociations. Elles sont compliquées « notamment par la rigidité des conditions russes » MAIS « globalement positives » :

« L’Ukraine et la Russie ont fait des progrès significatifs sur un plan de paix provisoire comprenant un cessez-le-feu et le retrait de la Russie si Kiev déclare la neutralité […] Une source russe a déclaré que le règlement proposé, “pourrait donner aux deux parties un moyen crédible de déclarer la victoire. Chaque partie a besoin d’une victoire” a-t-elle déclaré […] Le secrétaire de Poutine, Dmitri Peskov, a déclaré que la neutralité de l’Ukraine, basée sur le statut de l’Autriche ou de la Suède, était une possibilité. “Cette option est discutée actuellement, et c’est une option qui peut être considérée comme neutre” […] Sergueï Lavrov, a déclaré que des “formulations spécifiques étaient proches d’être convenues” dans les négociations. […] L’accord putatif comprenait également des dispositions relatives aux droits de la langue russe en Ukraine […] Le principal point d’achoppement reste la demande de la Russie que l’Ukraine reconnaisse son annexion de la Crimée en 2014 et les deux petits Etats séparatistes du Donbass […] L’Ukraine a refusé mais est prête à compartimenter la question”, a déclaré M. Podolyak. » Ce dernier, chef de la délégation ukrainienne, est le conseiller principal du président Zelensky.

27-03-2022. La BBC de Londres rapporte que l’Ukraine est disposée à discuter à propos d’un statut de neutralité dans le cadre d’un accord avec la Russie. Le commentaire de la BBC précise que « jamais cette perspective n’a été évoquée d’une manière si claire et soulignée. »

28-03-2022. Le Financial Times affirme que « […] la Russie n’exige plus désormais que l’Ukraine soit dénazifiée comme sujet des discussions sur le cessez-le-feu. Les négociations incluent l’abandon par Kiev de la demande d’adhésion à l’OTAN en échange de garanties de sécurité et de l’adhésion à l’UE ».

28-03-2022. EUagenda, un media spécialisé dans les questions européennes, s’enthousiasme : « Scoop ! – La Russie n’exige plus que l’Ukraine soit “dénazifiée” dans les pourparlers de cessez-le-feu et permettra à Kiev d’adhérer à l’UE si elle abandonne ses aspirations à l’égard de l’OTAN. »

Comment réagit l’UE ? Soutient-elle « les progrès significatifs sur un plan de paix » dont parlent The Financial Times, The New York Times et la BBC ??

08-04-2022. « 500 millions d’euros d’aide supplémentaire de l’UE sont en train d’être débloqués. Les livraisons d’armes seront adaptées aux besoins de l’Ukraine. Cette guerre doit être gagnée sur le champ de bataille », souligne le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell.

« Après sa visite en Ukraine, M. Borrell souhaite que le conflit prenne fin militairement » rapporte un quotidien économique russe.

Informés que le gouvernement ukrainien explore une dernière tentative visant à relancer des négociations, Ursula von der Leyen et Boris Johnson partent à Kiev les 8 et 9 avril pour faire pression sur Zelensky. Le 2 avril, Johnson avait téléphoné à Zelensky pour lui conseiller de cesser ses tentatives de négociation et l’informer que « s’il continue comme, ça il ne recevra plus d’aide de Londres [[3]]. » Kiev résiste et ose une dernière tentative.

23-04-2022. Le site officiel du gouvernement ukrainien annonce à la une de son site web :

« L’Ukraine est prête à négocier avec la Fédération de Russie pour sauver des millions de vies humaines »

Vous comprendrez alors peut-être pourquoi l’auteur estime que le rôle de cette institution a été – si cela peut se concevoir – plus guerrier que celui de l’OTAN dans le dossier ukrainien. Et Ursula, plus martiale que Jens Stoltenberg, le patron de l’Alliance [[4].

Dans son discours, le 13 septembre 2022, devant le Parlement européen sur l’état de l’UE, Ursula Von der Leyen, cohérente avec elle-même et avec l’esprit de l’OTAN, a déclaré à propos de la guerre en Ukraine que : « L’heure est à la détermination et non pas à l’apaisement [[5]]», pour ajouter dans une phrase qui en dit long sur les véritables intentions géopolitiques de sa gestion de ce dossier : « Il y a beaucoup en jeu, pas seulement pour l’Ukraine ». En effet, ce pays n’est que le prétexte, n’a que la malchance de sa géographie qui lui fait occuper « la place du mort » dans le sinistre projet des faiseurs de guerres.

 

Source: Le Drapeau Rouge

 

Notes:

[1]        Le grand échiquier, Fayard/Pluriel, 2010, p. 140.

[2]        https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2021/03/22/eu-sets-up-the-european-peace-facility/. Le 8 décembre 2022, l’Union européenne décidait d’accroître de 2 milliards d’euros le montant de la Facilité européenne pour la paix (FEP, un fonds de 5,7 milliards d’euros, pour la période budgétaire 2021-2027, créé en mars 2021 pour « prévenir les conflits, consolider la paix »). Au total, le plafond de la FEP pourrait être relevé de 5,5 milliards d’euros en 2027. Selon Josep Borrell, le vice-président de l’UE, responsable des questions internationales, « […] cette décision nous permettra d’apporter un soutien militaire concret aux forces armées de nos partenaires. » Voir : https://www.lecho.be/dossiers/conflit-ukraine-russie/l-europe-accroit-son-aide-militaire-a-l-ukraine-et-sanctionne-l-iran/10434116.html

[3]        « Possibility of talks between Zelensky and Putin came to a halt after Johnson’s visit », Ukraïnska Pravda, https://www.pravda.com.ua/eng/news/2022/04/16/7340072/.Boris Johnson retournera à Kiev le 24 août, avec apparemment toujours la même mission.

[4]        Dans ce contexte, rompant avec des décennies de sous-investissement, l’Europe est la zone du monde qui a connu la plus forte progression dans l’importation d’armements en 2022. Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), ses importations ont progressé de 93 % en 2022 par rapport à 2021. A leur tour, les vingt-sept États membres de l’UE ont approuvé, en mars 2023, un budget de deux milliards d’euros pour financer l’achat d’un million d’obus d’artillerie de 155 mm pour l’Ukraine et signé des contrats communs de fabrication afin de reconstituer en permanence les stocks de munitions.

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2023/03/09/un-million-d-obus-pour-l-ukraine-a-4000-euros-piece-23725.html

[5]        https://france.representation.ec.europa.eu/informations/discours-sur-letat-de-lunion-2022-de-la-presidente-von-der-leyen-2022-09-14_fr

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