Liens militaires US avec le Sri Lanka: l’île stratégiquement située de l’Océan indien se fait-elle avoir pour des clopinettes?

Au moment de boucler son budget, le gouvernement des Etats-Unis prévoit une enveloppe pour le Sri Lanka. Une aide désintéressée pour promouvoir la démocratie et les droits de l’homme ? On connait la chanson… Les rapports du Sénat et du Congrès indiquent très clairement que le Sri Lanka occupe pour les Etats-Unis une position stratégique dans la bataille pour la domination de l’Océan indien. Le comble? L’enveloppe US apparaît bien maigre au regard des investissements chinois. (IGA)


 

Alors que le gouvernement US est occupé à boucler son budget pour l’année 2018 — exercice toujours périlleux —, il nous revient que l’administration Trump a demandé une enveloppe de 3,4 millions de dollars d’aide extérieure pour le Sri Lanka. On aurait pu penser à une faute de frappe. Mais la nouvelle a été confirmée par une déclaration d’Alice Wells, adjointe au Secrétaire d’État, lors de la sous-commission de la Chambre du 7 septembre sur l’Asie et le Pacifique.

 

Les sous-commissions, tant de la Chambre que du Sénat, sont opposées à une réduction de 90 % du financement, alors que, selon les rapports, la sous-commission du Sénat sur les crédits de l’État et des opérations à l’étranger a récemment approuvé un montant raboté de 35 millions de dollars dans le cadre du « Fonds de soutien économique ». Mais ce montant, aussi modeste soit-il, est accompagné de lourdes conditions qui auraient des implications sur la souveraineté et l’indépendance du Sri Lanka. L’aide est en effet subordonnée à l’abrogation ou à la modification de lois, porte des exigences sur la manière dont l’armée sri-lankaise devrait être déployée, implique des décisions sur la restructuration et la taille de cette armée, etc. De plus, l’assistance est associée au « soutien à un mécanisme crédible de justice, en accord avec la résolution de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés d’octobre 2015 (A/HCR/30/ L.29) » (qui inclut tout ce qui a été cité précédemment et même plus).

 

Cette dernière condition était également au cœur du discours qu’a prononcé Wells devant la sous-commission des Affaires étrangères : « Nous [entendu pour les gouvernements US et sri-lankais] œuvrons ensemble pour remplir les conditions qui mettront nos pays d’accord sur la résolution 30/1 du Conseil des droits de l’homme des Nations unies de 2015. » Wells conditionne l’assistance à une réforme constitutionnelle, à la dévolution du pouvoir, à l’abrogation de la Loi sur la prévention du terrorisme et à d’autres détails de la résolution 30/1 comme l’établissement d’un bureau des personnes disparues, la création d’une commission Vérité et Réconciliation et des poursuites pour les crimes de guerre présumés. Voilà le défi de taille qui, semble-t-il, est attendu pour bénéficier des 3,4 millions de dollars d’aide en 2018.

 

Le Sri Lanka avait coparrainé une résolution de 2015 du HRC menée par les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Le texte demandait notamment une enquête sur les crimes de guerre présumés avec la participation de juges, d’enquêteurs ou bien encore de procureurs étrangers. Depuis, le président Maithripala Sirisena a déclaré que la participation étrangère était inacceptable.

 

Pour mettre ces chiffres en perspective, il est utile de rappeler que lorsque le Premier ministre Ranil Wickremesinghe a visité Pékin au début de cette année, la Chine a promis plus de 300 millions de dollars US d’aide au développement au Sri Lanka pour les années 2018 à 2020. Ce montant s’ajoute aux 60 millions de dollars de l’année en cours, selon les rapports. La salle de spectacle « Nelum Pokuna » (l’étang du lotus) offerte par la Chine en 2011 représente à elle seule 19 millions de dollars. Il est vrai que le Sri Lanka est entré dans un piège à l’endettement avec les projets d’infrastructures chinois basés sur des prêts. Mais il est vrai aussi que la Chine ne conditionne pas son argent aux changements de politique et de système internes. On peut en outre ajouter que si le Sri Lanka n’est pas parvenu à sécuriser habilement les prêts chinois (qu’il avait le droit de contracter en tant que pays souverain) et que si ses bureaucrates et ses politiciens sont impliqués dans des affaires de corruption, il ne peut blâmer que lui-même pour ces écarts.

 

Alors, quelles considérations ont mené le Sénat US et la Chambre des Représentants — qui procèdent à l’approbation des fonds — à trancher sur les montants révisés ? Dans le rapport sur le projet de loi annuel sur les crédits d’États de l’année fiscale 2018 débutant le 1er octobre, la commission des crédits du Sénat indique : « Compte tenu de l’importance géostratégique du pays, la Commission ne soutient pas la demande budgétaire du Président pour le Sri Lanka, visant à réduire de 92 % l’assistance de l’exercice précédent ». Le rapport avait mentionné que le Sri Lanka était « stratégiquement positionné le long de voies de navigation capitales et émergeait de décennies de conflits. »

 

La Commission des crédits de la Chambre a également adopté son projet de loi sur les crédits à l’étranger. Selon le député Ted Yoho, président de la sous-commission des Affaires étrangères pour l’Asie et le Pacifique de la Chambre : « Même à leur maximum en 2016, les engagements d’assistance des Etats-Unis envers le Sri Lanka tournaient autour de 42,5 millions ; c’est un peu moins que la moitié du prix d’un seul avion de combat F-35. Cela semble donc être un investissement raisonnable pour gagner un ami sur l’une des voies maritimes les plus critiques du monde… »

 

Ainsi, les législateurs étasuniens reconnaissent ouvertement que le soutien économique n’est qu’un outil de politique étrangère. Dans le cas du Sri Lanka, il serait utilisé pour obtenir un avantage géostratégique, particulièrement pour la question cruciale de la domination maritime. La sénatrice Lindsay Graham, présidente de la sous-commission des crédits du Sénat et des Affaires étrangères, est très claire : « … l’Amérique doit rester la première puissance du monde ».

 

Cela nous ramène aux déclarations d’Alice Wells sur l’intérêt croissant que portent les Etats-Unis à établir des liens militaires avec le Sri Lanka. À la sous-commission du Congrès, elle déclarait : « Les engagements de l’actuel gouvernement sur un agenda de réformes a suscité un intérêt croissant pour élargir la collaboration avec les Etats-Unis, y compris les relations de militaires à militaires. » La terminologie suggère que l’intérêt des Etats-Unis à établir des liens militaires avec le Sri Lanka est une sorte de rendement sur les engagements du gouvernement dans un agenda de réformes. Mais il est évident que l’empressement à établir ces liens militaires ne sert que les objectifs stratégiques des Etats-Unis.

 

Les États-Unis cherchent principalement à approfondir les liens avec la marine du Sri Lanka (SLN), comme le montrent les fréquentes visites de navires de guerre US et les exercices d’entraînement avec la SLN. Le « tout premier exercice naval americano-sri-lankais » doit maintenant avoir lieu au large de la ville orientale de Trincomalee. On y trouve un port en eaux profondes naturelles. Convoité depuis longtemps, il est stratégiquement situé et placé sous la tutelle de la septième flotte US. Les efforts portent principalement sur des opérations amphibies et de multiples missions destinées à former le personnel sri-lankais dans des domaines qui pourraient s’avérer utiles pour les Etats-Unis dans le cadre d’un scénario prévu de conflit dans l’Océan indien ou au-delà.

 

Plus tôt cette année, les Américains ont mis en place et formé un bataillon de marines d’élite au sein de la SLN. Il est décrit comme « un maître des opérations amphibies » et « pleinement engagées dans toute menace venant des mers… » Alors que le Sri Lanka n’a pas d’ennemis susceptibles d’envahir l’île, quel sens donner à ces « menaces venant des mers » ? Cela ne peut signifier qu’une chose : menace pour les partenaires sri-lankais dans ces exercices — à savoir les Etats-Unis. Il est donc clair qu’en engageant son personnel, ses navires, ses équipements et ses compétences pour ces exercices de formation, les États-Unis investissent dans leur propre sécurité et non celle du Sri Lanka. Compte tenu des gains stratégiques pour les États-Unis, le Sri Lanka se fait avoir pour des clopinettes.

 

Du point de vue des Etats-Unis, la menace bien connue est la Chine, en raison de son expansion maritime. Reste à savoir pourquoi le Sri Lanka engage ses forces armées hautement professionnelles et respectées dans la bataille anticipée de quelqu’un d’autre, contre un ami de longue date et à quelles fins ? Le Sri Lanka s’expose-t-il au danger en s’engageant dans ces jeux de guerre entre grandes puissances nucléaires ? Qu’est-il advenu de la doctrine qui préconisait : « amis avec tout le monde, ennemis de personne » ?

 

Cela vaut la peine de réfléchir à l’ironie profonde et amère que les Etats-Unis exploitent aujourd’hui pour leurs propres objectifs stratégiques, utilisant la résolution 30/1 comme une arme pour crucifier les leaders de l’armée sri-lankaise dans leur hypocrite croisade pour les droits de l’homme. Les grandes puissances planifient leur stratégie pour les décennies à venir (et ce n’est pas assez long pour rester au pouvoir durant cinq ans, comme au Sri Lanka !). Les enjeux étant élevés, il serait juste de supposer que cette situation n’est pas survenue par hasard, mais qu’elle a été soigneusement conçue.

 

Source originale: Daily Mirror

Traduit de l’anglais par Investig’Action

Source: Investig’Action

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