Lettre à Investig’Action concernant un article de Stephen Gowans sur le lobby israélien

En avril dernier, nous avons publié un article de Stephan Gowans sur le lobby israélien aux Etats-Unis. L’auteur se réfère à un texte de Diana Johnstone et Jean Bricmont qui ont souhaité réagir. Nous publions leur réponse, avec quelques précisions. Tout d’abord, en publiant cet article de Gowans nous ne visions certes pas à protéger Investig’Action des foudres du lobby israélien que nous ne cessons de critiquer. Voir notamment la vidéo de Michel Collon, Comment Israël manipule Internet et l’opinion, ou son article Antisémitisme: pourquoi y a-t-il deux définitions ?. Il y a toutefois entre nous une divergence profonde, elle traverse la gauche et le mouvement anti-impérialiste, sur la relation entre les Etats-Unis et Israël. Cela ne nous empêche pas de reconnaître l’important travail réalisé par Diana et Jean sur les guerres de l’Otan, l’impérialisme humanitaire ou encore Hillary Clinton. On peut ne pas être d’accord sur tout, reste à s’assurer que le débat soit mené de la façon la plus intelligente et constructive possible. C’est pourquoi nous publions la réponse de Diana et Jean par honnêteté intellectuelle, même si nous n’avons pas changé d’avis sur le rôle d’Israël. (IGA)


Investig’action a récemment publié un article par Stephen Gowans[1] qui prétend réfuter un article que Jean Bricmont et moi avons écrit en septembre 2013 en ce qui concerne l’influence du Lobby israélien sur la politique des Etats-Unis en Syrie.  J’ai trouvé cette publication regrettable par la forme et par le fond.

Par la forme, Investig’action semble soutenir une attaque contre deux de ces amis sur le sujet on ne peut plus sensible du « Lobby » pro-Israélien.  Veut-on ainsi « prendre ses distances » d’une affirmation « dangereuse », capable d’attirer les foudres de ce même Lobby ?

Sur le fond, cette « réfutation » frôle la malhonneteté.

Ayant déjà écarté avec mépris les études très sérieuses de Mearsheimer et Walt sur le sujet, Gowans écrit :

D’autres, dont Jean Bricmont et Diana Johnstone, sont allés encore plus loin, soutenant que « pour ce qui concerne la guerre avec la Syrie, c’est Israël qui dirige la politique des États-Unis ». Selon ces analystes, les processus qui ont fait des États-Unis un monstre impérialiste dans le monde entier sont en quelque sorte absents au Moyen-Orient.

Gowans, donc, en niant l’influence du Lobby, n’est pas un défenseur d’Israël ; c’est nous les défenseurs du monstre impérialiste !  Pour deux auteurs qui n’ont cessé de dénoncer l’impérialisme américain au Vietnam, en Amérique latine, en Yougoslavie, en Afrique, en effet partout, c’est un peu fort.  Bien sûr, les Etats-Unis cherchent à dominer le monde musulman riche en pétrole, mais quel serait le meilleur moyen de le faire ?  C’est ça la question.

Gowans nous cite hors contexte. Nous avons écrit : « Un ami américain qui connaît bien Washington nous a dit récemment que ‘tout le monde’ y est conscient que, en ce qui concerne la pression pour faire la guerre contre la Syrie, c’est Israël qui dirige la politique des Etats-Unis. »

A cela nous avons ajouté d’autres témoignages allant dans le même sens, de la part de personnes ayant subi la pression exercée sur le Congrès, ainsi que des affirmations de la presse israélienne :        

« AIPAC va déployer des centaines de lobbyistes pour mettre pression au Congrès en faveur d’action militaire en Syrie » – Haaretz, 7 septembre 2013.

Gowans aussi a cité des Israéliens :  Moshe Dayan qui dit que la mission d’Israël est d’ « être un rocher, un prolongement de l’Occident », et Benjamin Netanyahou qui décrit son pays comme « l’avant-poste de l’Occident au Moyen-Orient. »

Bien sûr, parce que voilà l’argument développé depuis la guerre de 1967 (lorsque les forces israéliennes ont cherché à faire couler un bateau de guerre américain pour pouvoir accuser l’Egypte) par les Israéliens et tous leurs soutiens aux Etats-Unis : « Israel is good for you ! »

Notre argument, déformé par Gowans, est le suivant :

1 – Pendant longtemps, les stratèges ainsi que les dirigeants des compagnies pétrolières américaines s’opposaient à l’alliance avec Israël précisément parce qu’elle était très préjudiciable aux bonnes relations entre Washington et le monde arabe.  Israël donc est la cause du problème qu’il prétend vouloir résoudre – l’hostilité du monde arabe.

2 – Le capitalisme n’est pas monolithique.  Le pétrole est d’une importance primordiale, mais il n’est pas la seule branche de l’économie américaine.  Ce qui est devenu encore plus influent, notamment au Congrès, c’est le complexe militaro-industriel, lié à chaque circonscription.  Pour justifier les dépenses faramineuses du CMI, il faut des « menaces », et les néoconservateurs ont trouvé la formule en prétendant que les ennemis d’Israël sont les ennemis des Etats-Unis, par le biais du « terrorisme » musulman (parfois ennemi, parfois allié). 

Une remarque politique : la dénonciation du Lobby serait un meilleur moyen d’encourager le public américain à rejeter les guerres au Moyen Orient que de dire, « nous avons besoin de leur pétrole ».  Par ailleurs, sans guerre, ceux qui possèdent du pétrole continueraient à vouloir le vendre, et ce commerce avec les Etats-Unis se développerait avec beaucoup plus de facilité que dans le chaos créé par les guerres en Irak, en Libye, en Syrie et peut-être demain en Iran.

 

[1] https://www.investigaction.net/fr/pourquoi-les-etats-unis-ont-une-relation-speciale-avec-israel-ce-nest-pas-le-lobby-israelien/?fbclid=IwAR34Rokwxl54zD3SPkfjXwG5UeyLiSPGr52DMhX1P7IKpHy-kLumozVb3FY

Stephen Gowans, « Pourquoi les États-Unis ont une relation spéciale avec Israël : ce n’est pas le lobby israélien »

 

Photo: https://www.flickr.com/photos/idfonline/5900676257/

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