Les riches sont-ils plus intelligents ?

C’est bien connu : plus le portefeuille de papa-maman est épais, plus le bulletin scolaire sera bon. Le bon sens commun l’explique très simplement : les riches disposent de meilleurs gènes et ont un caractère plus fort. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils sont devenus riches, ce qu’ils transmettent volontiers à leurs enfants. Mais ce ne serait pas la première fois que le bon sens mène à des conclusions primitives.

Selon le bon sens, la terre est plate et le soleil tourne autour de notre planète. L’essentiel de ce raisonnement intuitif est fondé sur l’idée que l’intelligence est une donnée purement biologique et qui en outre resterait constante. Plusieurs recherches neurologiques récentes balaient ces deux suppositions. 

  

L’influence du milieu

 

Dans ce domaine, des expériences rigoureuses ont été réalisées, non sur l’homme mais sur l’animal. C’est ainsi qu’on a étudié le développement du cerveau de rats respectivement “riches” et “pauvres”. Les rats “riches” vivaient en petits groupes dans des cages avec beaucoup de jeux, les rats “pauvres”, plus nombreux, dans des cages vides. Les circuits neuronaux des rats riches se sont développés bien plus fortement et leurs cerveaux sont devenus nettement plus lourds que chez leurs collègues pauvres. Les rats riches sont donc devenus plus malins pour trouver la sortie d’un labyrinthe. Chez des singes également, on a constaté combien l’environnement a un impact important sur le développement cérébral et l’intelligence (1).

Chez les humains, l’impact des facteurs environnementaux est encore plus fort, c’est ce que montre notamment une étude récente auprès de planteurs de canne à sucre indiens. Ces petits paysans reçoivent plus de la moitié de leur revenu annuel en une fois, juste après la récolte. Une partie de l’année ils sont dont relativement riches tandis qu’ils sont plutôt pauvres pendant l’autre moitié. Il est apparu que ces paysans ont des scores plus médiocres aux tests cognitifs au moment où ils sont pauvres. Ils perdent jusqu’à 13 points sur l’échelle Q.I., ce qui équivaut à une nuit blanche ou à une addiction alcoolique. Il s’agit pourtant bien des mêmes personnes, des mêmes cerveaux.

Ensuite il y a l’effet Flyn. Après la deuxième Guerre Mondiale des citoyens étatsuniens obtenaient en moyenne 100 aux tests Q.I. En 2002 les mêmes tests, qui sondaient principalement les réponses à des problèmes abstraits, ont donné une moyenne de 118. C’est une augmentation substantielle. Cet effet est apparu dans tous les pays industrialisés, donc aussi en Belgique. L’accroissement fut de 3 à 5% par décennie. Actuellement l’effet serait à peu près en stagnation, voire quelquefois en régression.

L’intelligence n’est pas une donnée statique mais peut fluctuer (fortement) au sein du même individu. En outre les moyennes sont suceptibles d’évoluer au fil du temps. Une part des aptitudes intellectuelles est donc bien déterminée génétiquement, mais l’environnement immédiat exerce lui aussi une très grande influence sur l’intelligence.

 

Circuits neuronaux et stress

 

Cette influence agit de deux manières. Premièrement il y a l’influence directe sur les circuits neuronaux. C’est surtout dans l’enfance que ces circuits sont très importants pour le développement de notre cerveau. Plus tard ils restent importants, mais dans une mesure moindre. Ces circuits sont les briques de la mémoire mais servent aussi à élaborer l’information.

Une alimentation saine et un environnement amélioré, par exemple en éliminant le plomb de l’essence, constituent des facteurs favorables pour le bon développement cérébral. Un meilleur enseignement stimule également le fonctionnement de ces circuits.

Un deuxième facteur important est le stress, notamment en cas de précarité ou de pauvreté. Dans une telle situation, ce qui devient central est ce qu’on n’a pas, ce dont on manque : une facture impayée, pourrai-je acheter assez à manger ? Comment payer les frais de scolarité ? Etc.

La précarité vous dévore, fait perdre la perspective du long terme et empêche d’accorder de l’attention aux choses que vous jugez importantes. La capacité de jugement est comme prise en otage par de gros soucis ou une forte angoisse. Les gens qui vivent dans la pauvreté sont absents, facilement déboussolés, jour après jour. Ils développent une vision en tunnel qui les empêche de penser clairement. Ils prennent quelquefois des décisions peu raisonnables, non parce qu’ils sont bêtes, mais parce qu’ils vivent dans un contexte où quiconque prendrait de mauvaises décisions.

 

Une mission pour l’enseignement

 

Bref, les riches ne sont pas plus malins, ils le deviennent. Idem pour les pauvres, ils ne sont pas plus bêtes mais ils le deviennent.

Voilà donc une tâche importante assignée à l’enseignement. Un bon enseignement peut pallier une part du retard intellectuel. Un enseignement équitable se doit de le faire. Le malheur est que notre système scolaire, au lieu de réduire ce fossé entre riches-intelligents et pauvres-moins intelligents, ne fait que le confirmer et le renforcer. Sur ce plan l’enseignement belge est le pire de tous les pays riches. Nulle part ailleurs l’origine sociale ne prédit aussi bien les résultats scolaires que chez nous.

Notre enseignement ne joue pas son rôle d’ascenseur social” dit le professeur Dirk Jacobs (ULB). Selon son collègue Wim Van den Broeck (VUB), c’est un véritable scandale : “Former insuffisamment et mal armer pour la vie des élèves qui ont moins de bagage culturel à la maison, c’est la pire des injustices sociales”.

Dans notre pays le grand fossé est la conséquence du cloisonnement entre orientations fortes et faibles. Ces orientations ne sont rien d’autre que la présélection pour le marché de l’emploi. La réforme de l’enseignement prévue dans la partie nord de la Belgique, confectionnée sur mesure par la NVA populiste de droite, ne fera qu’accroître ce fossé.

 

Traduction du néerlandais : Anne Meert pour Investig’Action.

(1) Daniel Goleman : https://www.intemotionnelle.com/lintelligence-emotionnelle-lintegrale-de-daniel_goleman/

 

Source : Investig’Action

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