Les gilets jaunes marquent-ils un point ?

Voilà plusieurs semaines qu’en Belgique aussi les gilets jaunes descendent dans la rue pour protester contre la baisse du pouvoir d’achat et des impôts iniques tels que les accises* majorées sur les carburants. D’où viennent leur colère et leur ténacité ? Quelques euros de plus par passage à la pompe, ce n’est tout de même pas un problème insurmontable ? Ou si ? Marc Vandepitte répond à toutes ces interrogations

Tout dépend bien sûr de ce qu’on gagne. Les ménages avec un revenu de 4.000 € ou plus ressentent à peine ces légères augmentations de prix. Ils ont suffisamment de marge, pour eux cela signifie seulement un peu moins à épargner. Mais pour des ménages avec un seul revenu, des allocataires sociaux, des personnes ayant de bas revenus ou de petites pensions, il en va tout autrement. La moindre hausse des prix est insupportable et contribue à les enfoncer davantage.

Les chiffres sont effarants. 54% des ménages monoparentaux et 70% des chômeurs sont aujourd’hui en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. Un de nos concitoyens sur cinq court aujourd’hui le risque de tomber dans la pauvreté. 40% des ménages ne peuvent pas épargner le moindre centime pour leurs vieux jours ou pour leurs enfants. 27% des ménages ne peuvent pas partir en vacances. Faute d’argent, 8% remettent à plus tard une visite médicale ou l’achat de médicaments. 5% des gens ne peuvent chauffer leur logement et ne peuvent se permettre un repas chaud que tous les deux jours. Pour un pays aussi riche que le nôtre c’est incompréhensible et hallucinant. Les gilets jaunes viennent de tout en bas.

Hélas les choses ne prennent pas la bonne direction. En 2016 et 2017 les travailleurs belges ont perdu près de 2% de pouvoir d’achat alors que dans tous les pays environnants le pouvoir d’achat réel augmentait considérablement. Si on additionne les mesures d’austérité de ces dernières années, la moyenne des Flamands a perdu au moins 800€ par an.

La pauvreté des enfants est un très bon indicateur de la vulnérabilité du bas de notre échelle sociale. Or nous avons aujourd’hui, pour toute l’UE, la plus mauvaise cote en ce qui concerne les enfants élevés dans un ménage qui ne travaille pas ou très peu. Les chiffres sont très mauvais à Bruxelles et en Wallonie, mais en Flandre également ce chiffre est plutôt élevé, bien trop élevé. Pire, ce chiffre augmente chaque année.

“C’est dommage, mais il n’y a pas d’argent” nous dit-on. Bien essayé, répondons-nous.La Belgique est l’un des pays les plus riches au monde. Il y a de l’argent à profusion, mais il est très mal distribué. L’Aide sociale, la principale organisation de lutte contre la pauvreté en Flandre, a calculé qu’il faut chaque année environ 2 milliards d’euros pour augmenter toutes les allocations, revenus d’intégration et salaires les plus bas, afin qu’il n’y ait plus de pauvreté. Pour l’accueil des réfugiés il faut encore ajouter un demi milliard.

En réalité ce n’est qu’une bagatelle. Ces dernières années les entreprises ont bénéficié de cadeaux d’une valeur de 16 milliards d’euros sous forme de réductions fiscales, de subventions salariales et de réductions des charges sociales. L’an dernier les actionnaires des entreprises belges ont empoché quelque 12,5 milliards de dividendes, et les super-riches placent chaque année plus de 100 milliards d’euros dans des havres fiscaux. Une fraction suffirait à résoudre le problème de la pauvreté.

Oui, dans ce contexte les gilets jaunes marquent plus d’un point. Il y en a encore un autre. Chacun sait que pour stopper le dérèglement du climat il faut beaucoup plus que quelques accises sur les carburants fossiles. Sans  transports publics corrects et bon marché, beaucoup de gens n’ont pas d’alternative à la voiture.

En fait les augmentations des accises sont une manière détournée d’alimenter la caisse sur le dos des gens ordinaires, alors qu’entre-temps rien ou presque rien ne change en matière d’émissions et de pollution. Les gilets jaunes démontrent une fois pour toutes que la lutte contre le réchauffement climatique ne peut se gagner sur une base asociale. Le combat écologique et la lutte sociale sont les deux faces d’une même médaille.

*Les accises sont une forme d’impôt spécifique qui frappent la consommation ou l’utilisation de certains produits : https://finances.belgium.be/fr/entreprises/accises

Traduction du néerlandais : Anne Meert pour Investig’Action

Source : Investig’Action

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.