Les Gilets Jaunes et la question des extrêmes-droites en France

 

Un mouvement naissant se structure autour d’une ligne idéologique qui lui permet de dresser un tableau de sa vision et de ses projections. Le mouvement des GJ a dès ses premières heures mis un point d’honneur à refuser de se définir politiquement ainsi que d’avoir des représentants. L’idée d’un mouvement ouvert, construit du bas sans directions prédéfinies, a pu laisser les analystes de tous bords perplexes face à leurs tentatives d’en analyser la nature nouvelle et en évolution constante.


C’est dans la discussion perpétuelle sur les réseaux sociaux que le mouvement naquît, non sans un désir de se garder des tentatives de récupérations diverses.

Si la gauche politique n’y a vu qu’un soulèvement nationaliste, les extrêmes droites y ont cru voir un sursaut d’une France des oubliés conservatrice et sensibles à leurs idées. En très peu de temps les classes médiatique et politique qualifièrent le mouvement des GJ d’extrême droite. Une position qu’il n’est néanmoins pas possible de défendre indéfiniment lorsqu’on l’on se penche sur les extrêmes droites elles-mêmes, leurs portées et influences sur le mouvement.

Les premières accusations de racisme, les premières manifestations et leur médiatisation


Si les débuts du mouvement ont permis à toutes et à tous de s’exprimer, la multiplicité des courants et visions politiques au sein des débats n’a permis aucune conclusion visant à définir où pourrait s’y situer le mouvement des GJ sur un échiquier politique.


Le mouvement est né du sentiment ancré, depuis longtemps et chez de nombreux citoyens, d’être sacrifié par un gouvernement aveugle aux dégâts causés par sa politique de libéralisation et de cadeaux fiscaux, censée être l’unique remède aux crises.

Il s’est avéré important de chercher les tendances politiques qui pouvaient ressortir des différentes discussions entre gilets jaunes. Or si l’approche géographique montre des tendances électorales différentes selon les régions où sont actifs les gilets jaunes, la taxe sur les carburants dont est parti le mouvement touche des types de population présents partout en France : les habitants en périphérie des villes (suite aux politiques de métropolisation des centres urbains) et les habitants des zones rurales. Ainsi malgré des différences marquantes de tendances politiques en France, un même groupe social s’est reconnu comme tel car touché par cette taxe, dépassant ainsi les étiquettes politiques qui pouvaient jusque-là catégoriser politiquement les GJ.


Le premier jour d’action des Gilets jaunes a permis à beaucoup de penser que les images parleraient ainsi mieux que l’étude des populations se revendiquant GJ. Rapidement les premières images marquantes de la première journée de mobilisation, plutôt bon enfant, se firent le reflet des débats ayant eu lieu entre gilets jaunes : des débats d’idées teintés de camaraderie. De nombreuses vidéos dépeignant des personnes souriantes et joviales défilant pacifiquement sans désir de débordement furent relayées sur les réseaux sociaux. Près de 2000 postes de ralliement furent répertoriés en France lors de la première mobilisation. (1)


Les actes racistes et xénophobes que retinrent les médias, ne représentant qu’une infime partie des GJ, suffirent aux yeux de beaucoup à qualifier de mouvement d’extrême-droite. Ces mêmes images choquèrent beaucoup de GJ qui ne s’y reconnurent pas, ni eux, ni la nature même de leur mouvement.

En parallèle à cela, la classe politique dans sa grande majorité condamnait déjà le mouvement. Les rares personnalités politiques qui apportèrent un soutien (avec beaucoup de retenue) au mouvement furent les courants politiques d’extrême droite déçus par les précédentes élections.
Le mouvement fut ainsi très tôt qualifié même par les médias de gauche de mouvement à tendance d’extrême droite.

Une droite plurielle, entre soutien et condamnation, une extrême droite institutionnalisée qui ne se différencie plus de ses partis rivaux

Si la qualification « d’extrême droite » a pu être facile à donner aux débuts de la mobilisation, la confrontation de cette idée avec les faits avérés fut plus difficile à tenir.

En effet si plusieurs personnalités de droite ont voulu timidement s’immiscer dans les débats sur les chaînes publiques, peu osaient apporter publiquement un soutien qui leur serait rapidement reproché et qu’il faudrait défendre. Cela impliquait de s’aligner sur les revendications des GJ qui tardaient à arriver, alors que leur contenu n’était pas forcément du goût des partisans des idées de droite. Dès le début, la droite se trouvait en situation délicate : il lui fallait soutenir les GJ pour s’opposer à Macron et se montrer du côté du peuple, tout en découvrant leurs revendications allant à l’encontre des intérêts des personnalités politiques de droite.


Marine Le Pen, qui a très tôt manifesté son soutien à ce mouvement, a néanmoins, face aux demandes d’augmentation du SMIC (et salaires), de la restauration de l’ISF (de plus en plus demandé par les GJ) et l’introduction du RIC (Référendum d’Initiative Citoyenne), dû annoncer plusieurs fois qu’elle était opposée à toute réforme en vue d’augmenter les salaires et le SMIC.


Depuis les combats de rue de ces dernières semaines, les arrestations massives de jeunes lycéens et de GJ, la position du RN (ancien FN) que l’on pensait favorable au mouvement devint très difficile à tenir : il s’agissait alors de soutenir les gilets jaunes alors que ces derniers étaient opposés à la police, soutenue par la majorité de l’électorat de droite.


En règle générale, à chaque affaire de « bavure » policière, le RN (ancien FN) a toujours affirmé son soutien aux agents de police mis en cause, allant jusqu’à défendre les agents de police ayant violé le jeune Théo au moyen d’une matraque. Or aujourd’hui, la féroce répression qui s’est abattue sur les GJ dès le 1e décembre 2018 a montré une image des plus inédites aux yeux de GJ même. Difficile dès lors pour les GJ de soutenir un parti et un courant de pensée, qui en vient à les qualifier non pas de victimes de la police mais d’agresseurs et de casseurs.


Ainsi l’Extrême droite institutionnalisée n’a pas réussi malgré ses débuts prometteurs à tenir sa position favorable dans l’opinion publique face à l’évolution des situations rencontrées par le mouvement des GJ. Si sa place dans les médias n’est pas perdue aux yeux de tous, son impact sur le mouvement s’est réduit à l’impuissance.

La question de la police, le syndicat Alliance et les autres


La violence avec laquelle le mouvement fut réprimé choqua de nombreux GJ qui virent dans l’utilisation de moyens disproportionnés face à eux un inquiétant virage tyrannique du gouvernement. L’utilisation des réseaux sociaux pour les partager à tous permit d’en montrer les images et de dissiper les espoirs d’un ralliement des forces de police.


La question de la police se joue en partie dans les divisions syndicales (Alliance, CGT, FO) autant que dans les cas individuels de refus d’intervenir.
Le syndicat Alliance (principal syndicat de police et proche du RN) appelle à accorder des moyens supplémentaires aux forces de police, et souhaite qu’au travers d’une restauration de l’Etat d’Urgence (dont les conditions de travail pour les effectifs sur le terrain sont souvent dénoncés anonymement) le gouvernement fasse usage de forces militaires contre les manifestations de GJ .(2)


Malgré les apparences et les déclarations de Christophe Castaner, qui dit reconnaître les revendications notamment en termes de modernisation d’équipement (3)  (sachant que la demande n’est pas nouvelle) (4), ce dernier se tient loin des appels alarmants des autres syndicats de police. Leurs mises en garde ? Le possible ralliement aux GJ de certains CRS, sur des questions de conditions de travail, de moral et surtout à cause de la fatigue. En effet de nombreux CRS devant être mobilisé lors des différents « actes », n’ayant pas le droit de refuser d’intervenir, ont trouvé comme solution de se mettre en arrêt maladie.


Le manque de matériel, le sentiment d’abandon sur le terrain, la durée des interventions, l’indignation face à des ordres souvent vagues et incitant aux débordements, sont autant de facteurs à prendre en compte. Ces mêmes facteurs peuvent progressivement mener à la défection d’une partie des forces de police. Ce scénario fantaisiste n’est toutefois pas un simple épouvantail. Dès le 5 décembre, le syndicat Vigi (de police) a appelé ses membres à faire grèves et à rejoindre les GJ (5). Si cela s’étend à suffisamment de membres de la police ou qu’ils soient en arrêts maladie, leur position face aux mobilisations peut entrainer des vagues d’instabilité dont le président et par extension le système qu’il représente, pourraient avoir les plus grandes difficultés à se remettre.


Les témoignages de la police, souvent anonymes, ont inondé les réseaux sous forme de mini-interviews, dans lesquelles ils parlent face cachée de leur quotidien mais également de leurs observations sur le terrain des différents groupes auxquels ils ont fait face : des groupuscules identitaires les affrontant très tôt le matin, puis au cours de la journée les GJ et les groupuscules d’extrême-gauche.

L’Extrême Droite identitaire, un regain d’intérêt qui s’essouffle rapidement


Si ces dernières années ont pu voir les groupuscules identitaires et xénophobes s’implanter dans les métropoles et les grandes villes, ils ont été au cœur de nombreux débats. La restructuration du GUD qui devint le Bastion Social, fondé en juin 2017, a permis à cette droite identitaire d’avoir des bases solides à partir desquelles lancer des campagnes de propagande basées sur une aide apportée aux démunis « nationaux », par opposition à l’accueil d’étrangers.


Le soutien politique que ces groupes ont eu jusqu’à présent (Jean-Luc Marx, préfet de Strasbourg, Gérard Collomb, maire de Lyon jusqu’en 2017, pour ne citer qu’eux) leur ont permis de conserver leurs locaux et ce contre l’avis des habitants des quartiers concernés, à Strasbourg celui de la mairie ou encore contre la demande du député Thierry Michels (LREM) proposant la dissolution du Bastion Social.


Le Bastion Social, pour ne citer que lui, a très tôt (le 7 novembre) rejoint les premières contestations face à l’annonce de la taxe sur les carburants (6). Ainsi leur rapprochement avec le mouvement des gilets jaunes se fit dès les débuts (mi-novembre). Il est à noter que lors des mobilisations à Paris, des agents de police ont témoigné de leur présence surtout le matin très tôt (chose confirmée par le Bastion Social lors de publications de photographies), mais que la majorité de ces groupuscules laissaient place aux GJ arrivés plus tardivement.


Cet élan de communication et de soutien au « peuple » fait néanmoins écho à l’annonce de la fermeture de leur local strasbourgeois pour non-renouvèlement du bail. Les tentatives de rapprochement ont également changé avec l’évolution même du mouvement des GJ.


Il est apparu au fil des nombreuses discussions sur les groupes Facebook de GJ que certaines réclamations revenaient souvent : démission de Macron, annulation de la taxe, augmentation du smic, RIC, changement politique, changement économique, des orientations politiques plus tournées vers le social… Ainsi des images listant certaines de ces revendications purent être facilement échangées entre les GJ.


La tentative de récupération fut menée par des membres ou sympathisants du Bastion Social qui avancèrent des listes contenants jusqu’à 20 points plus ou moins précis de revendications qui selon eux émanent des GJ. Plusieurs points revenaient effectivement, mais étaient désormais entrecoupés de propositions nationalistes à des degrés variables, ajoutées par le BS.


Cette tentative d’influencer les revendications des GJ se solda par un échec supplémentaire car les nombreuses attaques de la part des classes politiques et médiatiques poussèrent le mouvement à s’unir et à appeler de manière très ouverte, tout citoyen, sans distinction d’origine, religion ou de statut social à rejoindre le mouvement. Cette position ferme fut maintenue malgré l’attentat de Strasbourg, ce qui n’aida pas les mouvances d’extrême droite à pouvoir utiliser la peur des attentats comme cheval de Troie pour promouvoir leurs idées.


Ainsi les tentatives de divisions menées à l’encontre des GJ et contre lesquelles ils durent résister, ne permirent pas à l’extrême droite identitaire d’intégrer leurs revendications clivantes à celles des GJ. Ces groupuscules d’extrême-droite sont ainsi devenus marginaux au mouvement, sans pour autant cesser leur politique de soutien au GJ et leurs actions matinales.

Le conspirationnisme, tentative de détourner les GJ de leurs objectifs politico-économique


L’impossibilité pour l’extrême-droite d’intégrer le mouvement en y injectant des revendications nationalistes a poussé à chercher d’autres modes d’influence. Des vidéos se voulant très alarmantes se mirent à circuler sur les réseaux sociaux : elles annonçaient la signature imminente d’un traité instaurant la suppression des frontières et donc, selon les groupes conspirationnistes d’extrême-droite, une immigration imminente et massive des populations du Tiers-Monde vers la France.


La question fut plusieurs fois soulevée par des médias de droite. Si Le Point demeura relativement distant des positions complotistes (7), le journal Valeurs Actuelles choisit la ligne rédactionnelle opposée, en se joignant à ceux qui appelaient au soulèvement spécifiquement contre ce traité et sa signature le 10 décembre 2018 .(8)


Le texte original est disponible sur le site de l’ONU depuis le 30 juillet, néanmoins à aucun moment le Bastion Social n’a publié d’article à ce sujet avant le mouvement des GJ. De plus, les mesures dont se fait garant ce document sont avant tout d’ordre structurel et visent à poser un cadre juridique au cas où des pays voudraient travailler ensemble sur les questions migratoires. Le texte réaffirme plusieurs fois le maintien de la souveraineté nationale. Il n’est joint d’aucune contrainte et n’appelle pas les pays à changer leurs politiques sur le sujet de la migration. Le document est depuis sa rédaction vide de toute mesure ou contrainte concrète.


Le sujet étant clivant et paraissant lointain et obscur aux GJ n’a pas trouvé suffisamment d’écho auprès des GJ pour se fondre dans leurs revendications. Ces derniers demeurant toujours aussi ouverts et donc particulièrement hostiles à tout ce qui devrait faire apparaître un sujet de polémique dans leurs rangs, ils ne soutinrent pas les propositions d’intégration de la lutte contre ce traité, dans leur revendications.

Les revendications du mouvement des gilets jaunes « en marche » vers la gauche


La question des revendications étant au centre de beaucoup d’interrogations de la part des principales chaînes d’informations (télévisuelle ou radiophonique), est un sujet en perpétuel évolution et ne peut ainsi pas être définitivement fixé. Si le mouvement des GJ n’est pas tombé depuis la mi-novembre) c’est que la nature même de leurs demandes a évolué. Si au départ les revendications s’entendaient autour de la question des taxes, très rapidement le mouvement s’est avancé vers des positions plus revendicatrices en matière de politique social et d’une nouvelle république.


Le refus catégorique de se trouver des représentants dépeint leur ressentiment face aux classes politiques dans leur ensemble. Ce refus entraîne malgré lui le fait que des positions officielles des GJ n’ont pas encore vu le jour. Les partis politiques et particulièrement d’extrême droite durent se montrer discrets sur la portée de leur soutien aux GJ dans le meilleur des cas. La désillusion des promesses politiques, couplée aux peurs de division du mouvement, prémunirent les GJ des positions et stratégies de l’extrême droite pour les influencer.


Les tendances politiques de gauche fortement présentes dans les débats des GJ sur les réseaux sociaux ne se manifestèrent pas aux travers d’organisations politiques ou syndicales mais dans les revendications individuelles, reflet des désirs de changements politiques, sociaux et économiques dont aspire aujourd’hui le mouvement des GJ dans son ensemble.

Avec l’aide et la correction de REICHENBACH Juliette

Notes:

[1] Le Monde – ELIAS Edouard – Le point en fin de journée sur la mobilisation des « giletsjaunes », publié le 17/11/2018

[2]RTL – “Gilets jaunes” : le syndicat de police Alliance réclamel’appui des militaires – publié le 03/12/2018

[3]20 minutes – «Gilets jaunes»: Instaurer l’état d’urgence? Christophe Castanerdit ne pas avoir de «tabou»… – publié le 01/12/18

[4]Le Parisien – “Gilets jaunes” : le syndicat de police Allianceréclame l’appui des militaires publié le 03/12/2018

[5]Ouest-France – Un syndicat de policerejoint les Gilets jaunes et appelle à une grève illimitée – publié le06/12/2018[1] https://www.facebook.com/BastionSocialOfficiel/

[6]Le Point – DURGET Emmanuel – Le pacte deMarrakech, qu’est-ce que c’est ?– publié le 07/12/2018

[7]Valeurs Actuelles – Alexandre DEL VALLE – Derrière le “Pacte des Migrations” de l’ONU, la question taboue du coût et des chiffres de l’immigration – publié le 10 décembre 2018

[8]Valeurs Actuelles – Bastien LEJEUNE – Pacte de Marrakech : “Macron s’apprête à trahir les Français et déstabiliser un peu plus notre pays” – publié le 6décembre 2018


Source : Investig’Action

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