Les failles du rapport de l’ONU sur les droits de l’homme en Chine

Très attendu, le rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme sur le Xinjiang est sorti juste avant que sa responsable, Michelle Bachelet, ne mette les voiles. Tranchant avec les précédentes déclarations de la Haute-Commissaire, le rapport évoque – et c’est nouveau de la part de l’ONU- de possibles crimes contre l’humanité. Professeur émérite de droit international, Alfred de Zayas a officié pour ce Haut-Commissariat. Il a également servi comme expert indépendant auprès des Nations Unies. Il raconte comment, lors de ses missions au Venezuela, il avait subi d’importantes pressions. Il estime que le rapport sur le Xinjiang est instrumentalisé par les États-Unis dans leur guerre contre la Chine. Il explique enfin pourquoi il est nécessaire de créer des ponts pour faire avancer la cause des droits de l’homme. (IGA)


Le 31 août 2022 était le dernier jour du mandat que Michelle Bachelet avait exercé durant quatre ans en tant que Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme. Ce jour-là, le Haut-Commissariat a publié un document de 46 pages qui, selon moi, doit être écarté, car il est propagandiste, partial et méthodologiquement imparfait. Ce document, qui n’a pas été mandaté par le Conseil des droits de l’homme et qui répond aux pressions exercées sur le HCDH par Washington et Bruxelles, porte le titre superficiellement neutre de ” Évaluation des préoccupations relatives aux droits de l’homme dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang “[1].

Déjà en juin 2022, au début de la 50e session du Conseil des droits de l’homme, l’ambassadeur chinois Chen Xu déplorait la “politisation” croissante du Conseil, rappelant aux membres que “la désinformation est devenue endémique, ce qui va sérieusement à l’encontre de l’objectif initial du Conseil des droits de l’homme.

La Haute Commissaire Bachelet a bien fait de retarder la publication de l'”évaluation” du Xinjiang et de rentrer au Chili avant que les débats peu alléchants et improductifs ne minent la 51e session du Conseil, attendue du 12 septembre au 7 octobre. Déjà, la mission chinoise a rejeté[2] cette “évaluation” comme non professionnelle et incompatible avec la déclaration de fin de mission publiée par Michelle Bachelet après sa mission réussie en Chine et au Xinjiang en mai 2022. J’avais considéré cette déclaration comme étant équilibrée, détaillée et constructive[3].  Hélas, cette déclaration de Bachelet après sa visite bien préparée n’a pas réussi à faire taire les critiques de Washington et de Bruxelles qui ont systématiquement déformé la situation au Xinjiang et l’ont utilisée pour servir leur guerre géopolitique hybride contre la Chine. La déclaration sereine de Mme Bachelet avait ainsi été accueillie par une grande hostilité, une cohue médiatique et même des appels à la démission.

Les principaux problèmes de cette “évaluation” sont la méthodologie et les sources. Comme l’a indiqué la Mission permanente de la Chine à Genève, la soi-disant évaluation est “fondée sur une présomption de culpabilité, utilise comme principales sources la désinformation et les mensonges fabriqués par les forces anti-chinoises, ignore délibérément les informations faisant autorité et les documents objectifs fournis par le gouvernement chinois, déforme malicieusement les lois et les politiques de la Chine, dénigre la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme au Xinjiang, et ferme les yeux sur les formidables avancées en matière de droits de l’homme réalisées conjointement par les personnes de tous les groupes ethniques au Xinjiang“[4].

Bien entendu, le rapport n’a pas été rédigé par Michelle Bachelet elle-même. Elle n’aurait certainement pas contredit ce qu’elle avait déclaré à Guangzhou et avant la 50e session du Conseil des droits de l’homme en juin 2022. Les rapports du HCDH sont toujours rédigés par le personnel du HCDH et/ou par des consultants. Ils ne sont pas toujours impartiaux et exempts d’a priori, ils n’essaient pas toujours de refléter toutes les nuances du tableau, ils ont des préférences personnelles et ils violent fréquemment la règle fondamentale “audiatur et altera pars” – écouter toutes les parties.

En tant qu’employé de longue date du HCDH, ancien secrétaire du Comité des droits de l’homme et chef de la section des pétitions (greffier), j’ai vu et expérimenté le bon et le mauvais au cours de décennies de service dévoué au Bureau. En tant qu’expert indépendant de l’ONU sur l’ordre international (2012-18), j’ai été personnellement soumis à des pressions inacceptables de la part du Bureau et à des tentatives de me faire entrer de force dans une “matrice” souhaitée, violant ainsi mon droit et mon devoir de mener des recherches indépendantes et de parvenir à mes propres conclusions, et non à celles qui m’ont été suggérées par le personnel du HCDH ou certaines ONG militantes.

Avant d’entreprendre ma première mission au Venezuela il y a 21 ans, j’ai lu tous les rapports pertinents du HCDH, d’Amnesty International et de Human Rights Watch. Lorsque j’ai vérifié ces rapports sur le terrain et que j’ai posé des questions ciblées à des professeurs, des églises, des membres de l’opposition, des ministres et des procureurs du gouvernement ainsi que des ONG de tous bords, j’ai dégagé une image fondamentalement différente qui s’éloignait radicalement des “rapports” du HCDH. Ces rapports avaient été rédigés par des idéologues qui n’étaient pas allés au Venezuela et qui n’avaient pas procédé au type d’enquête que j’avais menée. Pire encore, je me suis rendu compte que dans ses rapports, le HCDH avait supprimé des informations cruciales qui lui avaient été communiquées par des ONG vénézuéliennes indépendantes, notamment Fundalatin, le Grupo Sures et la Red Nacional de Derechos Humanos. Avant, pendant et après ma mission au Venezuela, j’ai ressenti une ferme hostilité de la part du HCDH à l’égard de mon mandat. Cette hostilité s’est traduite par l’absence d’un soutien logistique et substantiel approprié ainsi que par un manque total de volonté de défendre mon honneur et ma réputation lorsque j’ai fait l’objet d’intimidations, de harcèlement moral et de diffamation avant, pendant et après ma mission[5].

Il se peut que les puissances occidentales aient remporté une victoire à court terme sur la Chine en persuadant le HCDH de publier une “évaluation” qui alimente la guerre de l’information en cours et la sinophobie; c’est devenu la marque de fabrique de certaines agences de l’ONU.  Il est certain que la suggestion que des “crimes contre l’humanité” ou même un “génocide” ont pu être commis au Xinjiang est une hyperbole irresponsable, incendiaire et contraire à l’article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui interdit la propagande de guerre ainsi que l’incitation à la haine et à la violence raciales.

La mission de la Haute-Commissaire Bachelet en Chine en mai 2022 a abouti à la création d’un groupe de travail pour faciliter la poursuite du dialogue et la coopération entre le HCDH et les autorités chinoises. Cette démarche est similaire à ma proposition constructive de 2018 visant à ce que le HCDH établisse une “présence” au Venezuela, précisément pour mener des évaluations et un suivi professionnels et non propagandistes.  L’objectif en Chine et au Venezuela est d’aider concrètement les victimes de violations des droits de l’homme dans un esprit de coopération et de solidarité internationales.

Au vu de ce qui précède, il convient de se demander si et dans quelle mesure le Haut Commissariat aux droits de l’homme et le Conseil des droits de l’homme agissent au service des intérêts occidentaux, dans quelle mesure les préoccupations du reste de l’humanité en matière de droits de l’homme sont prises en compte, dans quelle mesure le Haut Commissaire agit dans le cadre de son mandat tel que défini dans la résolution 48/141 de l’AG du 20 décembre 1993[6].

En effet, le Haut Commissariat aux droits de l’homme n’a pas été créé dans le but de “dénoncer”, d’exacerber les tensions entre les pays ou de diffuser des informations erronées sur les violations des droits de l’homme. L’objectif principal du Haut Commissaire est de faire progresser la coopération internationale dans le domaine des droits de l’homme, de coordonner toutes les activités des agences des Nations Unies en matière de droits de l’homme, de renforcer la confiance, de rendre les droits de l’homme juridiques, justiciables et applicables dans un climat de respect mutuel, conformément aux buts et principes de la Charte des Nations Unies.

Il est important de rappeler le mandat du Haut-Commissariat, à savoir:

“a) Exercer ses fonctions dans le cadre de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l’homme 1/, d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et du droit international, et être notamment tenu, à l’intérieur de ce cadre, de respecter la souveraineté, l’intégrité territoriale et la compétence nationale des États ainsi que de promouvoir le respect universel et effectif de tous les droits de l’homme, eu égard au fait que, dans la perspective des buts et principes de la Charte, la promotion et la protection de tous les droits de l’homme constituent un souci légitime de la communauté internationale;

b) Être guidé par le fait que tous les droits de l’homme — s’agissant des droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux — sont universels, indivisibles, interdépendants et étroitement liés, et que, si l’importance des particularités nationales et régionales et des divers contextes historiques, culturels et religieux ne doit pas être négligée, les États n’en ont pas moins le devoir, quels que soient leurs systèmes politiques, économiques et culturels, de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales;

c) Avoir conscience qu’il importe d’encourager un développement durable et équilibré pour tous et d’assurer la réalisation du droit au développement, tel qu’il est établi dans la Déclaration sur le droit au développement.” [7]

Selon la Résolution, les responsabilités du Haut-Commissaire sont les suivantes : “a) Promouvoir et protéger la jouissance effective par tous de tous les droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux; b) Exécuter les tâches qui lui seront assignées par les organismes compétents des Nations Unies dans le domaine des droits de l’homme et leur adresser des recommandations tendant à ce que tous les droits de l’homme soient encouragés et défendus plus efficacement; c) Promouvoir et protéger la réalisation du droit au développement et, à cet effet, obtenir un soutien accru des organismes compétents des Nations Unies; d) Dispenser des services consultatifs et apporter une assistance technique et financière, par l’intermédiaire du Centre pour les droits de l’homme du Secrétariat et d’autres institutions appropriées, à la demande des États et, le cas échéant, des organisations régionales de défense des droits de l’homme, afin d’appuyer les actions menées et les programmes mis en œuvre dans le domaine des droits de l’homme; e) Coordonner les programmes des Nations Unies relatifs à l’éducation et à l’information dans le domaine des droits de l’homme; f) Contribuer activement à écarter les obstacles et à régler les problèmes qui entravent actuellement la réalisation intégrale de tous les droits de l’homme ainsi qu’à empêcher que les violations des droits de l’homme ne persistent, où que ce soit dans le monde, comme indiqué dans la Déclaration et le Programme d’action de Vienne 4/; g) Engager un dialogue avec tous les gouvernements dans l’exécution de son mandat afin de garantir le respect de tous les droits de l’homme; h) Renforcer la coopération internationale visant à promouvoir et à défendre tous les droits de l’homme; i) Coordonner les activités touchant la promotion et la protection des droits de l’homme dans l’ensemble du système des Nations Unies; j) Rationaliser, adapter, renforcer et simplifier les mécanismes des Nations Unies dans le domaine des droits de l’homme afin d’en améliorer l’efficacité et la productivité.”

Il n’est suggéré nulle part dans la résolution que le Haut Commissaire utilise son autorité pour approuver un “modèle” particulier de démocratie, pour s’engager dans une politique de “dénonciation et de honte”, pour tolérer l’instrumentalisation des droits de l’homme, pour promouvoir des agendas géopolitiques ou pour préconiser des sanctions, des embargos ou des blocus financiers.  Au contraire, la fonction du Haut Commissaire doit être constructive, et non pas conflictuelle – construire des ponts, faciliter le dialogue, concevoir des mesures pour prévenir la violation des normes des droits de l’homme ou encore étudier les causes profondes des violations. En conséquence, le Haut Commissaire doit faire progresser les droits de l’homme par le biais de services consultatifs et d’une assistance technique. Il doit aussi promouvoir activement une “culture de la paix” par le biais des droits de l’homme, comme envisagé dans les programmes de l’UNESCO pour une culture de la paix[8].

Il est dans l’intérêt de toute l’humanité que le Haut Commissaire et le Conseil des droits de l’homme fonctionnent de manière strictement impartiale et professionnelle, et ne succombent pas aux pressions des “donateurs” ou ne se plient pas au chantage régulièrement pratiqué par de nombreux pays.

Bien sûr, dans le monde réel, nous reconnaissons que les Nations Unies, le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale, l’ECOSOC sont tous politiques.  Dans quel “pays imaginaire” le HCDH et le Conseil des droits de l’homme pourraient-ils être totalement “apolitiques” ?  Et pourtant, si le HCDH et le Conseil des droits de l’homme doivent avoir de l’autorité et de la crédibilité, ils doivent se comporter selon un code d’éthique, un code d’impartialité, avec pour seul engagement de faire progresser les droits de l’homme et le développement pour tous les membres de la famille humaine.

Un nouveau Haut Commissaire aux droits de l’homme sera bientôt nommé.  Il est crucial pour l’avenir du HCDH et du Conseil des droits de l’homme que soit nommé un véritable professionnel qui observera rigoureusement le mandat tel que créé par la résolution 48/141 de l’Assemblée générale.  Il serait très dommage pour les droits de l’homme et pour le monde que le nouveau Haut Commissaire serve les intérêts de pays spécifiques et oublie l’égalité en dignité de tous les êtres humains et le droit légitime de toutes les victimes de violations des droits de l’homme à la solidarité et à la réhabilitation.

 

Source originale: Counterpunch

Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action

 

Notes:

[1] https://www.ohchr.org/en/documents/country-reports/ohchr-assessment-human-rights-concerns-xinjiang-uyghur-autonomous-region

[2] https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/countries/2022-08-31/ANNEX_A.pdf

[3] https://www.ohchr.org/en/statements/2022/05/statement-un-high-commissioner-human-rights-michelle-bachelet-after-official

[4] http://geneva.china-mission.gov.cn/eng/ryrbt/202209/t20220901_10758786.htm

[5] https://undocs.org/Home/Mobile?FinalSymbol=A%2FHRC%2F39%2F47%2FAdd.1&Language=E&DeviceType=Desktop&LangRequested=False

[6] https://undocs.org/Home/Mobile?FinalSymbol=A%2FRES%2F48%2F141&Language=E&DeviceType=Desktop&LangRequested=False

[7] https://www.ohchr.org/en/instruments-mechanisms/instruments/declaration-right-development

[8] https://en.unesco.org/themes/building-peace-programmes

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