Les États-Unis savent que la transition vers un monde multipolaire est en jeu en Ukraine

Tel est le contexte de la lutte actuelle en Ukraine : la guerre n’est que la première étape d’une lutte qui devrait durer une vingtaine d’années. L’enjeu pour Washington en Ukraine est d’empêcher le monde de devenir multipolaire. Si les États-Unis perdent en Ukraine, cela sonnera le glas du monde unipolaire dominé par “la nation exceptionnelle”.

 

L’Allemagne est devenue un satellite économique de la guerre froide américaine en cours contre la Russie, la Chine et le reste de l’Eurasie. La République fédérale d’Allemagne et d’autres pays de l’OTAN ont été invités à imposer à la Russie des sanctions en matière de commerce et d’investissement qui survivront à la guerre par procuration qui se déroule actuellement en Ukraine.

Le président Joe Biden et les porte-parole de son département d’État ont déclaré que l’Ukraine n’était que la première étape d’une dynamique beaucoup plus large qui divise le monde en deux ensembles opposés d’alliances économiques.

Cette fracture mondiale promet d’être une lutte de dix ou vingt ans pour déterminer si l’économie mondiale sera une économie unipolaire dollarisée centrée sur les États-Unis ou une économie mondiale multipolaire avec une multidevise centrée au cœur de l’Eurasie avec des économies mixtes publiques et privées.

Le président Biden a caractérisé cette division comme un conflit entre démocraties et autocraties. Terminologie typique de la langue de bois orwellienne. Par “démocraties”, il entend les États-Unis et leurs oligarchies financières occidentales alliées.

Leur objectif est de faire passer l’organisation économique des mains des gouvernements élus aux mains de Wall Street et d’autres centres financiers sous leur contrôle. Washington utilise, sans freins et contrepoids, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale pour imposer la privatisation des infrastructures mondiales, contrôler les technologies, le pétrole, le gaz, la nourriture, les minéraux, les ressources de base, etc.

Par “autocratie”, Biden entend les pays qui résistent à la domination économique commandée par les requins de la financiarisation et de la privatisation. Dans la pratique, la rhétorique de la Maison Blanche ne signifie rien d’autre qu’un marchandage pour sa propre croissance économique, au détriment des services publics et de la richesse des autres nations qui dépendraient exclusivement des dispositifs financiers contrôlés par les États-Unis.

Il s’agit essentiellement de savoir si les économies seront soumises au pouvoir financier qui s’enrichit en privatisant les infrastructures de base et les services sociaux, ou si les gouvernements auront suffisamment d’indépendance pour promouvoir une politique d’élévation du niveau de vie en maintenant dans les mains du public les activités bancaires, la création monétaire, la santé, l’éducation, les communications et les transports.

Le pays qui subira le plus de “dommages collatéraux” dans cette fracture économique mondiale est l’Allemagne. Son économie industrielle est la plus avancée d’Europe, mais l’acier, les produits chimiques, les machines, les automobiles et autres biens de consommation dépendent des importations de gaz, de pétrole et de métaux russes tels que l’aluminium, le titane et le palladium.

Cependant, même si deux gazoducs Nord Stream ont été construits pour fournir de l’énergie bon marché aux Allemands, les États-Unis ont exigé que Berlin mette fin à ses achats de gaz russe et désindustrialise ainsi le pays. Cela signifie la fin de sa suprématie économique. La clé de la croissance du PIB en Allemagne, comme dans d’autres pays, est la consommation d’une énergie bon marché pour son tissu industriel.

Les sanctions anti-russes sont essentiellement une politique anti-allemande

Le secrétaire d’État Anthony Blinken n’a cessé de répéter que l’Allemagne devait remplacer le gaz russe à bas prix par du gaz naturel liquéfié (GNL) américain à prix élevé. Pour importer ce gaz, l’Allemagne devra rapidement dépenser plus de 5 milliards de dollars pour développer les capacités portuaires permettant de décharger les navires-citernes de GNL américain. L’effet est clair : l’industrie allemande deviendra non compétitive à court terme. Les faillites se multiplieront, l’emploi diminuera, et les dirigeants allemands pro-OTAN seront confrontés à une dépression chronique et à une baisse du niveau de vie de leurs populations.

La plupart des théories politiques supposent que les nations agissent dans leur propre intérêt. Sinon, ils sont qualifiés de pays satellites, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas maîtres de leur destin. L’Allemagne subordonne désormais son industrie et son niveau de vie aux diktats de Washington et des intérêts énergétiques américains. Elle le fait volontairement, non pas par la force militaire, mais par la conviction idéologique que l’économie mondiale doit être dirigée par les planificateurs de la guerre froide au Pentagone.

Parallèles historiques

Il est parfois plus facile de comprendre la dynamique actuelle en prenant du recul par rapport à la situation immédiate et en examinant certains modèles historiques du type de diplomatie politique qui divise le monde aujourd’hui.

Le parallèle le plus proche que l’on puisse trouver est celui des batailles – dans l’Europe médiévale – entre la papauté romaine et les empereurs romains. Ce conflit a divisé l’Europe selon des lignes très similaires à celles d’aujourd’hui. Une série de papes ont non seulement excommunié plusieurs rois allemands, ainsi que Frédéric II, mais ont également mobilisé des troupes alliées pour combattre l’Allemagne dans le sud de l’Italie et en Sicile.

Derrière ces guerres contre l’Allemagne se cache une lutte de pouvoir acharnée : il s’agit de savoir qui contrôle l’Europe chrétienne, entre le pape à Rome et les royaumes européens séculaires qui revendiquent leur indépendance.

Tout comme la guerre froide actuelle est une croisade contre les économies qui menacent la domination américaine, l’antagonisme de l’Occident contre l’Orient au Moyen Âge a utilisé les croisades comme instrument politico-idéologique (1095-1291),

Un schisme qui a “ordonné” le monde médiéval

Le Grand Schisme qui s’est produit dans l’Europe médiévale en 1054 peut être une bonne analogie avec la guerre froide actuelle que les États-Unis ont déclarée contre la Russie et la Chine. À cette époque, le pape Léon IX excommunie l’Église orthodoxe basée à Constantinople et toute la population chrétienne qui en fait partie. Léon IX n’impose qu’un seul évêché sur les autres, le sien, celui de Rome. Il a ainsi pris le contrôle de l’ensemble du monde chrétien de l’époque, y compris les anciens patriarcats d’Alexandrie, d’Antioche, de Constantinople et de Jérusalem.

 

Cette rupture a créé plus d’un problème pour la diplomatie romaine : comment maintenir tous les royaumes d’Europe occidentale sous le contrôle de Rome, et comment revendiquer le droit de recevoir des subventions financières de la part des royaumes européens ?

Comme ces deux objectifs nécessitaient de subordonner les rois séculiers à l’autorité de Rome, le pape Grégoire VII a décidé, en 1074, d’émettre 27 mandats qui énuméraient la stratégie politico-idéologique qui lui permettrait d’assurer son pouvoir sur l’Europe. Ces exigences papales présentent un parallèle frappant avec la diplomatie américaine actuelle. Dans les deux cas, les intérêts militaires et terrestres nécessitent une sublimation sous forme de croisade idéologique pour cimenter l’obéissance requise par tout système de domination. Sa logique est intemporelle et universelle.

Les dictats papaux étaient radicaux à deux égards. Premièrement, ils ont élevé l’évêque de Rome au-dessus de tous les autres évêchés, créant ainsi la papauté moderne. La clause 3 stipulait que seul l’évêque de Rome (le pape) avait le pouvoir d’investiture pour nommer, déposer ou réintégrer tous les autres évêques. La clause 12 donne au pape le droit de déposer les empereurs et la clause 9 oblige “tous les princes à baiser les pieds du pape” comme condition préalable pour être considérés comme des souverains légitimes.

Dans la même veine historique, les dirigeants américains revendiquent aujourd’hui le droit de désigner qui doit être reconnu comme le chef d’État d’une nation. En 1953, ils ont renversé le dirigeant élu de l’Iran et l’ont remplacé par la dictature militaire du Shah. Plus récemment, le département d’État a désigné Juan Guaidó comme chef d’État du Venezuela à la place de son président élu, et lui a remis les réserves d’or du pays.

Ce principe d’intervention donne aux Américains le droit de parrainer des “révolutions de couleur”. Ce type de “changement de régime” leur a permis d’installer des dictatures militaires, telles que celles qui ont créé les oligarchies clientes d’Amérique latine et qui servent aujourd’hui les intérêts financiers et commerciaux des États-Unis. Le coup d’État de 2014 en Ukraine n’est que l’exercice le plus récent de ce “droit” américain de nommer et de déposer des présidents ou des premiers ministres.

La politique mondiale d’aujourd’hui ressemble-t-elle à l’époque des croisades ?

L’ingérence dans les affaires politiques européennes a été une caractéristique constante de la politique américaine depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui. Ce “droit” supposé de choisir les chefs d’État ne connaît aucune limite : il y a quelques mois à peine, le président Biden a insisté pour que Poutine soit démis de ses fonctions et qu’un autre dirigeant (qui devrait logiquement être pro-américain) prenne sa place.

La deuxième caractéristique radicale des diktats papaux était la suppression de toute idéologie et politique qui s’écartait de l’autorité papale. La clause 2 stipule que seul le pape peut être appelé “universel”. Tout désaccord était, par définition, une hérésie. La clause 17 stipule qu’aucun livre ne peut être considéré comme canonique sans l’autorisation du pape.

En termes modernes – avec le dieu marché qui régit nos vies – les États-Unis font une demande similaire en déclarant hérétiques (le terme utilisé maintenant est “révisionnistes”) les pays qui ne respectent pas leurs règles, règles imposées par les “marchés libres” privatisés et financiarisés. En pratique, cela signifie qu’aujourd’hui, les gouvernements nationaux ne peuvent pas avoir de politique économique indépendante, car ces politiques doivent être subordonnées aux intérêts des élites financières et des entreprises centrées sur les États-Unis.

Aujourd’hui, l’exigence d’universalité de la nouvelle guerre froide est enveloppée dans la rhétorique de la “démocratie”. Une définition de la démocratie qui prend pour exemple la “démocratie américaine” et qui précise “en faveur de la privatisation dans le cadre de la nouvelle religion créée par le néolibéralisme, où le dieu argent est au-dessus de tout”.

Cette politique économique mondaine a fini par être considérée comme une “science” par un quasi prix Nobel d’économie. La “science”, dans ce cas, est un euphémisme postmoderne utilisé pour justifier les programmes d’austérité du FMI, le favoritisme fiscal pour les riches et les inepties néolibérales de l’école de Chicago.

Les dictats papaux détaillaient une stratégie visant à assurer un contrôle unipolaire sur les royaumes séculiers. Ils ont dogmatisé la primauté du pape sur les royaumes séculiers, en particulier sur les empereurs romains germaniques.

La clause 26 donne à la papauté l’autorité d’excommunier toute personne “qui n’est pas en paix avec l’Église romaine”. Ce principe est lié à la clause suivante, qui permet au pape d'”absoudre les sujets qui renoncent à la fidélité à des hommes méchants”. Cette disposition était destinée à encourager la version médiévale des “révolutions colorées” et à provoquer un changement de régime dans les royaumes qui n’acceptaient pas les diktats papaux.

Le facteur qui a permis à la papauté de mettre en œuvre cette politique avec succès a été la création d’un antagonisme envers les sociétés et les peuples qui n’étaient pas soumis au contrôle papal : par exemple, les musulmans occupant Jérusalem, les cathares français, les juifs d’Europe et toute personne simplement déclarée “hérétique”. Et surtout, la haine des régions qui étaient assez fortes pour ne pas payer le tribut financier exigé par les papes.

En gardant la distance, nous avons aujourd’hui des équivalents de cette grande “autorité idéologique” qui donnait au pape le pouvoir d’excommunier les “hérétiques” qui résistaient à ses exigences d’obéissance et de tribut.

Les actions équivalentes d’aujourd’hui sont dictées par l’Organisation mondiale du commerce, la Banque mondiale et le FMI ; des institutions qui non seulement dictent périodiquement des pratiques économiques aux gouvernements, mais fixent également des “conditions” que tous les pays doivent respecter sous peine de sanctions américaines. En d’autres termes, une version moderne de l’excommunication, une sanction qui s’applique aux pays qui n’acceptent désormais pas la souveraineté des États-Unis.

Il est clair pour toute personne modérément informée que les pays satellites des États-Unis doivent suivre sans broncher les diktats du FMI et de la Banque centrale et accepter les guerres que l’OTAN mène depuis 30 ans. Comme le disait Margaret Thatcher pour justifier les privatisations néolibérales qui ont détruit le secteur public britannique, There Is No Alternative (TINA).

Dans le domaine juridique, la clause 19 stipule que le pape ne peut être jugé par personne ou par quoi que ce soit. Il en va de même aujourd’hui pour les États-Unis, qui ne se conforment pas aux décisions de la Cour pénale internationale et ne les respectent pas.

Les sanctions économiques pour punir les hérétiques

Mon propos est de souligner les analogies avec les politiques américaines. Les sanctions commerciales sont une forme d’excommunication. Ils ont mis sens dessus dessous le traité de paix de Westphalie de 1648, qui consacrait dans un document le principe selon lequel chaque pays et ses dirigeants doivent être indépendants de toute ingérence étrangère.

Le président Biden caractérise l’ingérence américaine comme un argument en faveur de son antithèse entre “démocratie” et “autocratie”. Par démocratie, il entend une oligarchie clientéliste sous contrôle américain, qui crée de la richesse financière en abaissant le niveau de vie des travailleurs, par opposition aux économies mixtes (publiques/privées) qui favorisent le niveau de vie et la solidarité sociale.

Comme je l’ai mentionné, en excommuniant l’Église orthodoxe basée à Constantinople, le Grand Schisme a créé une ligne fatidique qui divise l’Occident de l’Orient depuis le dernier millénaire. Cette division était si importante que Vladimir Poutine l’a citée dans son discours du 30 septembre 2022, décrivant la rupture avec les économies occidentales centrées sur les États-Unis et l’OTAN.

Aux XIIe et XIIIe siècles, les rois allemands, normands (qui ont conquis l’Angleterre) et français, entre autres, ont été menacés à plusieurs reprises d’excommunication et la plupart ont finalement dû céder aux exigences du pape. Le conflit s’est poursuivi jusqu’au 16e siècle, lorsque Martin Luther, Henri VIII et Zwingli ont finalement réussi à créer une alternative protestante à Rome, rendant la chrétienté occidentale multipolaire.

Les croisades comme élément de cohésion de l’Empire

Pourquoi cela a-t-il été si long ? La réponse est que les croisades ont fourni un énorme pouvoir d’organisation idéologique. Les croisades sont l’analogie médiévale de la nouvelle guerre froide entre l’Est et l’Ouest. Ses idéologues ont créé une justification spirituelle qui leur a permis de mobiliser la haine contre “l’autre” : représenté, cette fois, par l’Orient musulman, les Juifs et les dissidents chrétiens européens.

L'”idéologie” des Croisades peut être comparée à la “foi” inébranlable d’aujourd’hui dans la doctrine néolibérale du “libre marché”, numérisée par l’oligarchie financière, et à l’hostilité des États-Unis envers la Chine, la Russie et d’autres nations qui ne suivent pas à la lettre le credo de la privatisation.

Dans la guerre froide actuelle, “la foi néolibérale de l’Occident” a mobilisé la peur et la haine de “l’autre”. Cette fois-ci, c’est au tour des nations qui suivent une voie indépendante, diabolisées en tant que “régimes autocratiques” et même en fomentant le racisme comme cela est devenu évident avec “la russophobie et la culture de l’annulation”.

Tout comme la transition multipolaire de la chrétienté occidentale a nécessité la création d’une alternative protestante au XVIe siècle, la rupture de l’Eurasie avec l’Occident de l’OTAN doit être consolidée par une idéologie alternative sur la manière d’organiser les économies mixtes (publiques et privées) et leur infrastructure financière.

Les églises médiévales d’Occident étaient vidées de leurs aumônes et de leurs dons pour verser “le sou à Pierre” et d’autres subventions à la papauté pour les guerres qu’elle menait contre les souverains qui résistaient aux exigences du pape.

L’Angleterre a joué le rôle de grande victime que l’Allemagne joue aujourd’hui. D’énormes taxes anglaises sont prélevées pour financer les croisades et sont ensuite détournées pour combattre Frédéric II, Conrad et Manfred en Sicile. Cet argent a été défrayé par les banquiers papaux de l’Italie du Nord (Lombards et Cahorsins) et est devenu une dette qui s’est répercutée sur l’ensemble de l’économie.

Les barons d’Angleterre ont mené une guerre civile contre Henri II dans les années 1260, mettant fin à leur complicité avec les exigences économiques de Rome. Mais ce qui a mis fin au pouvoir de la papauté, c’est la fin de sa guerre contre l’Orient musulman. Lorsque les croisés ont perdu Acre en 1291, le pape a perdu le contrôle de la chrétienté. Il n’y avait plus de “mal” à combattre, et le “bien” avait perdu son centre de gravité et sa cohérence.

En 1307, Philippe IV (“le Bel”) saisit à Paris les richesses des Templiers, le grand ordre bancaire militaire de l’Église. D’autres souverains ont également nationalisé les Templiers et les systèmes monétaires ont été retirés des mains de l’Église. Sans un ennemi commun défini et mobilisé par Rome, le pape a perdu son pouvoir idéologique unipolaire sur l’Europe occidentale.

L’équivalent moderne de la nationalisation des Templiers et des finances papales devrait consister pour les pays à refuser de participer à cette nouvelle guerre froide promue par les États-Unis, et à rejeter l’étalon dollar américain et le système bancaire/financier américain. C’est déjà le cas. De plus en plus de pays considèrent la Russie et la Chine non pas comme des adversaires mais comme de grandes opportunités d’avantages économiques mutuels.

La promesse brisée d’avantages mutuels entre l’Allemagne et la Russie

La dissolution de l’Union soviétique en 1991 a promis la fin de la guerre froide. Le pacte de Varsovie est dissous, l’Allemagne est réunifiée et les diplomates américains promettent la fin de l’OTAN parce que la menace militaire soviétique n’existe plus.

Les dirigeants russes se sont laissés aller à l’espoir que, comme l’a dit le président Poutine, une économie paneuropéenne serait créée de Lisbonne à Vladivostok. L’Allemagne, en particulier, devrait prendre l’initiative d’investir en Russie pour restructurer son industrie selon des principes plus efficaces. La Russie paierait ce transfert de technologie en fournissant du gaz et du pétrole, ainsi que du nickel, de l’aluminium, du titane et du palladium.

L’Occident s’est engagé à ce que l’OTAN ne s’étende pas en menaçant une nouvelle guerre froide, et encore moins à soutenir l’Ukraine, connue comme la kleptocratie la plus corrompue d’Europe et dirigée par des partis extrémistes s’identifiant au nazisme allemand.

Maintenant, comment expliquer que le potentiel de bénéfice mutuel entre l’Europe occidentale et les anciennes économies soviétiques se soit transformé en un patronage de la kleptocratie ukrainienne ?

La destruction du gazoduc Nord Stream résume cette dynamique en quelques mots. Depuis près de dix ans, les États-Unis n’ont cessé d’exiger que l’Allemagne mette fin à sa “dépendance” vis-à-vis de l’énergie russe. Ces demandes ont été rejetées par Gerhardt Schroeder, Angela Merkel et les chefs d’entreprise allemands. Ils ont invoqué une raison économique évidente : le commerce entre les produits manufacturés allemands et les matières premières russes devait être assuré.

Victoria Nuland, le président Biden et d’autres politiciens américains ont montré que le moyen d’y parvenir était d’inciter à la haine de la Russie.

La nouvelle guerre froide a alors été présentée comme une nouvelle grande croisade. Il est intéressant de noter que c’est ainsi que George W. Bush a décrit l’attaque américaine contre l’Irak pour s’emparer de ses puits de pétrole.

Le coup d’État de 2014 financé par les États-Unis a créé un régime fantoche en Ukraine qui a passé huit ans à bombarder sans discernement les provinces orientales russophones. De cette manière, l’OTAN a provoqué une réponse militaire russe. L’incitation a réussi et la réponse russe a été dûment qualifiée d’atrocité non provoquée.

La décision russe de protéger les civils dans le Donbass a été dès le départ instrumentalisée par les médias contrôlés par l’OTAN comme un moyen de justifier les sanctions imposées à la Russie depuis février. Cette campagne était une condition préalable à la diabolisation de “tout ce qui est russe” et au lancement d’une croisade moderne du pouvoir financier sous la bannière des “valeurs occidentales”.

Le résultat est que le monde se divise en deux camps : d’une part une OTAN centrée sur les États-Unis et d’autre part une coalition eurasienne émergente. Cette dynamique a eu pour effet de laisser l’Allemagne dans l’incapacité de mener une politique économique indépendante, fondée sur des relations commerciales mutuellement avantageuses avec la Russie (et aussi la Chine).

Le chancelier allemand Olaf Scholz s’est rendu en Chine cette semaine pour demander à la nation asiatique de cesser de subventionner son économie, faute de quoi l’Allemagne et l’Europe imposeront des sanctions sur le commerce avec la Chine. La Chine n’a aucun moyen de répondre à cette demande ridicule, pas plus qu’on ne peut demander aux États-Unis ou à toute autre économie de cesser de subventionner des secteurs clés tels que les puces informatiques.

Le Conseil allemand des relations étrangères est le bras économique néolibéral de l’OTAN. Cet organisme influent promeut désormais la désindustrialisation de l’Allemagne et prône la dépendance économique vis-à-vis des États-Unis, excluant ainsi le commerce allemand avec la Chine et la Russie. Bien sûr, en cas de succès, cela promet d’être le dernier clou du cercueil économique de l’Allemagne.

Un autre sous-produit de la nouvelle guerre froide a été de mettre un terme à tout plan international visant à stopper le réchauffement de la planète. La pierre angulaire de la diplomatie économique américaine est que ses compagnies pétrolières (et celles de ses alliés de l’OTAN) contrôlent l’approvisionnement mondial en pétrole et en gaz.

C’est le but de la guerre de l’OTAN en Irak, en Libye, en Syrie, en Afghanistan et en Ukraine. La question n’est pas aussi abstraite ou idéaliste que “Démocraties contre autocraties”. Il s’agit simplement de la capacité de l’Amérique à contrôler d’autres pays en perturbant leur accès à l’énergie et à d’autres produits de première nécessité.

Sans le récit du “bien contre le mal” dans cette nouvelle guerre froide, les sanctions américaines perdront leur raison d’être ; il n’y aurait aucune justification aux restrictions commerciales entre l’Europe occidentale, la Russie et la Chine.

Les premières batailles pour un monde multipolaire se déroulent en Ukraine

C’est dans ce contexte que s’inscrit la lutte d’aujourd’hui en Ukraine : le Pentagone fera tout ce qui est en son pouvoir pour rendre l’Allemagne et l’Europe totalement dépendantes des approvisionnements en gaz naturel liquéfié (GNL) des États-Unis. La guerre en Ukraine n’est que la première étape d’une lutte qui devrait durer une vingtaine d’années. Ce qui est en jeu en Ukraine, c’est la manière d’empêcher le monde de devenir multipolaire. Si les États-Unis perdent en Ukraine, cela sonnera le glas du monde unipolaire dominé par “la nation exceptionnelle”. 

L’astuce consiste à essayer de convaincre les Allemands de compter sur la sécurité militaire fournie par les États-Unis. Ce dont l’Allemagne a soi-disant besoin, c’est d’une protection dans une guerre contre la Chine et la Russie, car, selon l’armée américaine, la Russie chercherait à “ukrainiser” toute l’Europe.

Les gouvernements occidentaux n’ont pas appelé à une fin négociée de cette guerre, car aucune guerre n’a été déclarée en Ukraine. Les États-Unis ne déclarent leurs guerres nulle part, car cela nécessiterait une déclaration officielle du Congrès. Grâce à cette ruse, les armées des États-Unis et de l’OTAN bombardent impunément des nations et des peuples, organisent des révolutions de couleur, s’immiscent dans la politique intérieure et imposent des sanctions sévères qui, dans ce cas, conduiront à la ruine de l’Allemagne et de ses voisins européens.

Comment des négociations peuvent-elles “mettre fin” à une guerre qui n’a pas fait l’objet d’une déclaration officielle ou qui est en réalité une stratégie à long terme de domination mondiale ?

La réponse est qu’il ne peut y avoir de fin tant qu’un ensemble alternatif d’institutions internationales centrées sur la puissance américaine n’est pas établi. Cette étape nécessite la création de nouvelles institutions qui reflètent une alternative à la vision néolibérale centrée sur le capital financier.

Enfin, je voudrais rappeler Rosa Luxemburg. Elle a correctement caractérisé le grand dilemme de notre époque, “socialisme ou barbarie”. Cette dynamique politique est toujours présente aujourd’hui et je l’ai exposée dans mon récent livre, The Destiny of Civilization.

 

Traduction : Bernard Tornare

Source en espagnol

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