Les États-Unis augmentent leur présence militaire pour imposer un accord visant à voler le pétrole syrien

Donald Trump avait annoncé qu’il retirerait ses troupes de Syrie. Mais finalement, la présence militaire s’est renforcée. Une nouvelle compagnie pétrolière qui flaire bon le conflit d’intérêts en profite pour piller l’or noir de Syrie. Cet acte de piraterie piétine de manière flagrante le droit international. Mais comme l’explique Bill Van Auken, le pétrole est loin d’être le seul intérêt de la manœuvre. (IGA)


Au cours de la semaine dernière, l’armée américaine a envoyé des convois en Syrie depuis l’Irak. Cela semble constituer une escalade significative de l’intervention militaire américaine dans ce pays ravagé par la guerre.

Selon des sources en Syrie, ces convois traversent la frontière au point de passage d’al-Tanf, où l’armée américaine maintient une garnison dans la zone frontalière proche de la Syrie et de la Jordanie. Ils se rendent ensuite dans les bases américaines des gouvernorats Deir ez-Zor et Al-Hasakah, dans le nord-est de la Syrie. Selon des témoins, les convois comprennent des chars, des véhicules blindés, des camions-citernes et des camions transportant des armes et du matériel logistique.

Le renforcement des forces américaines à l’est de l’Euphrate fait suite à la révélation que Washington avait concocté un accord avec une nouvelle société pétrolière américaine, Delta Crescent Energy LLC. Ce contrat a été signé par les soi-disant Forces démocratiques syriennes, les troupes mandataires de Washington en Syrie, composées principalement de la milice kurde syrienne YPG.

Parmi les équipements acheminés ainsi par l’armée américaine, on pense qu’il y a des composants pour deux raffineries modulaires afin d’aider l’entreprise à exploiter et à commercialiser le pétrole syrien.

Cet accord constitue un crime de guerre en vertu des Conventions de Genève, qui interdisent l’exploitation des ressources naturelles d’un pays occupé au profit de l’occupant. Dans le cas de l’occupation américaine de la Syrie, cela constitue un acte de piraterie internationale encore plus flagrant car la présence militaire américaine dans le pays n’a été autorisée ni par le gouvernement syrien ni par les Nations Unies.

L’existence de l’accord négocié par Washington entre Delta Crescent Energy et les mandataires kurdes du Pentagone a été révélée pour la première fois par le sénateur républicain Lindsey Graham lors d’une séance de la Commission des relations étrangères du Sénat, le 30 juillet.

Graham a déclaré au secrétaire d’État américain Mike Pompeo qu’il avait été informé par le commandant des forces kurdes syriennes, connu sous le nom de Mazlum Kobani, de l’accord visant à «moderniser les champs pétrolifères du nord-est de la Syrie» et a demandé si le gouvernement Trump le soutenait.

«En effet, oui», répondit Pompeo. «Parvenir à un accord a pris un peu plus de temps que nous l’avions espéré, et maintenant nous sommes dans la phase de sa mise en œuvre; cela pourrait être extrêmement performant. »

Entre-temps il s’est avéré que les dirigeants de Delta Crescent Energy incluent James Cain, un responsable du Parti républicain de Caroline du Nord et ancien ambassadeur des États-Unis au Danemark. Celui-ci a acquis une brève notoriété grâce à son appel à l’exécution de Chelsea Manning, la courageuse soldate américaine emprisonnée pour avoir révélé les crimes de guerre américains en Afghanistan et en Irak en fuitant à WikiLeaks des centaines de milliers de journaux de guerre et de câbles diplomatiques. James Reese, un ancien officier de la Delta Force devenu consultant en sécurité privée et contributeur de Fox News, fait aussi partie du conseil d’administration de la société.

Il y a toutes les raisons de soupçonner que la société a été formée comme un acte de copinage politique. L’accord aurait été «négocié» sous les auspices du chef du Commandement central américain (CENTCOM), le général Kenneth McKenzie, tandis que l’armée américaine facilite sa mise en œuvre.

Si Pompeo affirme que cet accord pourrait s’avérer «performant», ce n’est certainement pas du à son importance économique mondiale, étant donné que la Syrie ne représente que 0,1 pour cent des réserves mondiales de pétrole. L’accord sert plutôt à priver le gouvernement et le peuple syriens de ressources dont on a désespérément besoin pour la reconstruction suite à près d’une décennie de guerre, tout en fournissant un prétexte à la poursuite de l’occupation militaire américaine et au démembrement du pays.

L’accord est le résultat du changement de tactique américain initié par Trump en octobre dernier, lorsqu’il a donné son feu vert à une invasion turque du nord-est de la Syrie visant à chasser les anciens alliés kurdes de Washington de la frontière. À l’époque, Trump avait avec beaucoup de démagogie claironné son intention de mettre fin aux «guerres éternelles» de Washington et de retirer toutes les troupes américaines de Syrie.

Confronté à une tempête de critiques de la part de l’appareil militaire et du renseignement américain, Trump a reculé, annonçant qu’il conserverait une force américaine en Syrie pour «garder le pétrole».

«Nous allons trouver une solution avec les Kurdes pour qu’ils aient de l’argent, afin qu’ils aient un peu de trésorerie. Nous demanderons peut-être à l’une de nos grandes sociétés pétrolières d’intervenir et de le faire correctement,» avait-il déclaré à l’époque.

L’annonce de l’accord pétrolier a provoqué de vives critiques de la part du gouvernement syrien. L’ambassadeur de Syrie aux Nations Unies, Bashar Ja’afari, s’est exprimé devant le Conseil de sécurité la semaine dernière, dénonçant Washington pour «avoir volé du pétrole syrien et privé l’État syrien et le peuple syrien des revenus de base nécessaires pour améliorer la situation humanitaire, subvenir aux besoins de subsistance et de reconstruction. » Il a également accusé les États-Unis et l’Union européenne d’appliquer un régime de sanctions qui sert à «empêcher les Syriens d’obtenir leurs besoins élémentaires en nourriture, médicaments et équipement médical, en particulier au vu de la propagation de la pandémie de coronavirus et de ses effets désastreux ».

Les principaux alliés du gouvernement de Damas, l’Iran et la Russie, ont également dénoncé l’accord pétrolier américain comme une violation de la souveraineté nationale de la Syrie. Le gouvernement turc, qui poursuit sa propre occupation et annexion de fait du territoire syrien, a également condamné cet accord.

Le gouvernement du président Recep Tayyip Erdoğan a publié une déclaration dénonçant hypocritement Washington pour «avoir méprisé le droit international, violé l’intégrité territoriale, l’unité et la souveraineté de la Syrie», tout en accusant l’accord pétrolier de «financer le terrorisme». Ankara considère les YPG kurdes syriens comme un bras du mouvement séparatiste kurde PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) à l’intérieur de la Turquie, désigné par les États-Unis et la Turquie comme une organisation «terroriste». Le gouvernement Erdogan considère la consolidation de toute entité contrôlée par les Kurdes près de la frontière turque comme une menace pour la sécurité nationale turque.

L’accord sur le pétrole a fait monter dangereusement les tensions dans le nord-est de la Syrie, où les forces américaines, russes, turques, syriennes et les YPG kurdes, ainsi que les reliquats de la milice de l’État islamique (EI), opèrent tous à proximité les unes des autres.

La semaine dernière, une base américaine près du champ pétrolifère syrien Conoco à Deir ez-Zor – maintenant sous contrôle de l’armée américaine et de ses mandataires kurdes – a subi pour la première fois une attaque à la roquette, et un major général a été tué par un engin explosif improvisé.

Le Pentagone a imputé l’attaque à la roquette à l’Iran et aux milices alignées sur lui, tandis que le meurtre de l’officier supérieur russe était initialement imputé à l’État islamique. Il n’y a aucune preuve que ce soit le cas et il y aurait des spéculations abondantes selon lesquelles le meurtre du général russe pourrait avoir été l’œuvre de Washington et de ses mandataires kurdes.

Un jour plus tôt, le 17 août, un convoi américain engageait une fusillade avec les forces gouvernementales syriennes à un point de contrôle à al-Hasakah, tuant un soldat syrien et en blessant deux autres. Les explications américaines et syriennes de l’incident ne concordent pas. Le Pentagone affirme que le convoi a été attaqué par des éléments inconnus après avoir traversé le point de contrôle, et le gouvernement syrien rapporte que la fusillade a commencé lorsque les Syriens ont tenté d’arrêter le convoi. Des hélicoptères Apache escortaient les véhicules blindés américains.

Des responsables militaires américains ont rapporté que des affrontements entre soldats américains et russes sont pratiquement quotidiens. De son côté, la Russie a augmenté ses forces dans la région, renforçant sa base de l’aéroport de Qamishli à la frontière turque et faisant venir des hélicoptères d’attaque. Dans l’intervalle, la Russie a déployé une vingtaine de chars et de véhicules blindés dans le village de Mazloum, à 1,5 km d’une base américaine.

L’impérialisme américain fait la guerre en Syrie depuis le lancement d’une opération de changement de régime en 2011 utilisant des milices islamistes soutenues par la CIA comme mandataires dans le but de renverser le gouvernement Assad et d’imposer un gouvernement fantoche à Damas. Il a ensuite lancé une intervention militaire directe en Syrie et en Irak sous prétexte de combattre Daech, un rejeton des mêmes milices islamistes qu’il avait auparavant armé et financé. Le bilan de ces interventions se chiffre à des centaines de milliers de morts et à des millions de déplacés.

Maintenant, les États-Unis restent en Syrie dans le but de contrôler et d’exploiter le pétrole du pays, dans le cadre d’une campagne militaire plus large visant à imposer une hégémonie néocoloniale américaine au Moyen-Orient aux dépens de l’Iran et des pays que le Pentagone définit comme « grandes puissances » rivales, la Chine et la Russie.

Ces objectifs, ajoutés à la profonde instabilité politique induite par la crise économique et sociale aux États-Unis-mêmes, présentent le danger croissant que les frictions militaires de plus en plus sérieuses en Syrie métastasent en une guerre plus large, entraînant à la fois les puissances régionales et les grandes puissances.

 

Source: WSWS

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