Les errements intellectuels de Michel Onfray sur Cuba

Le samedi 26 novembre 2016 le monde entier apprend la mort du leader historique de la révolution cubaine, Fidel Castro. Quelques heures plus tard le philosophe préféré du journal ’Le Point’ publie une vidéo d’une dizaine de minutes dans laquelle il expose sa détestation de l’ancien président cubain. Il s’en prend au passage au candidat à la présidentielle française de 2017 Jean-Luc Mélenchon, qui a eu le malheur de rendre hommage à Fidel Castro.

En commençant sa ’démonstration’, Michel Onfray nous explique que Fidel Castro est encore au pouvoir, or, il ne l’est plus depuis 2008, sans doute voulait-il dire qu’il gardait une influence importante dans le pays, néanmoins cela laisserait à penser à une personne qui ne connaîtrait pas forcement bien l’actualité cubaine, qu’un vieux monsieur malade continuait à diriger le pays. Il continue en se moquant de Simon Bolivar, figure de la décolonisation d’une partie de l’Amérique Latine, se demandant si Jean-Luc Mélenchon n’a pas ’fumé la moquette’ lorsqu’il relit le tweet de ce dernier sur la mort de Fidel Castro et faisant référence au libérateur vénézuélien. Quand aux citoyens cubains marqués par la mort de leur ancien leader, il ne s’agit pour le philosophe que de l’effet de 50 ans de propagande, aucun cubain n’aurait donc la capacité intellectuelle de réfléchir librement à l’histoire de son pays et à l’action de ses dirigeants. Or l’histoire nous a montré qu’aucun processus politique ne durait dans le temps sans qu’une majorité de la population ne le soutienne, et que de nombreux régimes avaient chuté, propagande ou non.

Dans la suite de sa vidéo, l’anecdote personnelle fait office de preuve et de vérité irréfutable : Michel Onfray a voyagé à Cuba, il a vu, entendu, réalisé. Il affirme que les Cubains n’ont pas à manger (et qu’ils manquent de beurre notamment), j’ignore en quelle année ce dernier a voyagé sur l’île, mais l’ensemble des rapports des organisations mondiales dans le domaine de l’alimentation – et en premier lieu ceux de l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) – exposent bien le fait que Cuba a éliminé la sous-alimentation, et possède de bien meilleurs indicateurs dans le domaine que nombres de pays latino-américains. Et puisque le philosophe utilise l’anecdote personnelle, je n’ai personnellement jamais vu quelqu’un qui n’avait pas à manger à Cuba, et quiconque met les pieds sur l’île, constate parfaitement que malgré les difficultés de la vie quotidienne, personne ne meurt de faim dans ce pays. La FAO a souligné à plusieurs reprises la volonté politique du gouvernement dans ce domaine et Cuba est placé par l’ONU comme un des pays ayant les indicateurs sociaux les plus avancés du monde. Par ailleurs de nos jours, l’île produit 70% de sa consommation de fruits et légumes.

Les rapports de l’organisation internationale mettent également en lumière l’impact gigantesque de l’embargo américain, tant au niveau social qu’économique (des centaines de milliards de dollars) ainsi que son illégalité. Pour M. Onfray l’effet de celui-ci serait visiblement une vue de l’esprit, une excuse pour justifier la prétendue famine du peuple cubain et sa misère, de même que le système éducatif cubain (reconnu mondialement) ne servirait qu’à apprendre la ’propagande’ (encore elle) du gouvernement. Et en prolongeant sa réflexion, il n’existerait donc quasi exclusivement que des livres de propagande révolutionnaire à Cuba…. étonnant lorsque l’on sait que des auteurs qui n’hésitent pas à égratigner le pouvoir en place et critiquer le système sont publiés au sein même du pays comme le sont Léonardo Padura ou Pedro Juan Gutiérrez par exemple.

Ensuite, prenant exemple d’une expérience personnelle sur le beurre, il estime que le gouvernement peut faire ce qu il veut quand il veut comme il veut, et il ne comprend pas que Cuba ait pu avoir des problèmes d’approvisionnement alimentaire lorsqu’il y a voyagé. M. Onfray a dû oublier qu’en plus du blocus américain qui aurait ’bon dos’ selon lui et dont il semble minorer les répercussions -sans doute est-il plus compétent que les différents organismes et spécialistes de l’Organisation des Nations unies en la matière-, les Cubains ont eu à subir la fin brutale des relations avec leur principal partenaire économique suite à la chute de l’URSS et que le pays est entré dans une phase terrible appelé ’période spéciale’, conséquences : chute de 80% de son commerce extérieur, de la production industrielle, le pays s’est retrouvé à genoux, sans énergies, sans ressources . Et c’est précisément durant cette période que les dirigeants états-uniens ont décidé de durcir le blocus par des mesures complémentaires comme la loi Torricelli en 1992 et la loi Helms-Burton en 1996. Des dispositions illégales eu égard au droit international et dont l’objectif était d’asphyxier le pays dans le but de ’semer le désordre’. Monsieur Onfray est-il au courant de cela ? Est-il au courant que tout bateau étranger accostant à Cuba perd le droit d’aller aux Etats-Unis durant de longs mois, et que par conséquent le coût d’importation des produits augmente considérablement ? Que ces lois sont encore en vigueur à l’heure ou j’écris ces lignes, malgré le léger assouplissement opéré par l’administration Obama (1) ? Michel Onfray ne dit mot de tout cela, pas plus que des milliers de morts causés par les actions des anticastristes et de la CIA sur le sol cubain : importation de l’épidémie de peste porcine, de nombreuses autres attaques bactériologiques, incendies des champs de canne à sucre, assassinat de paysans bénéficiant de la réforme agraire, attentats contre des bâtiments publics, bateaux, avions (73 morts en 1976 dans l’explosion d’un avion cubain), entrepôts, attaque à la bombe contre des hôtels dans les années 90 (un touriste italien y laissera la vie en 1997) etc, et j’en passe, pour un bilan de plus de 3400 morts et 2000 invalides cubains(2).

Michel Onfray déclare également ne pas savoir ou Fidel Castro aurait pu illustrer l’écologie. Il n’a donc qu’à se pencher sur les réussites cubaines mondialement reconnues dans le domaine à partir de la période spéciale (3) (voir le documentaire : ’Cuba, le miracle des années 90’), il pourra également lire les nombreux articles écrits par Fidel Castro sur les problèmes écologiques. Puis tant qu’il y est, lui qui se définit comme un intellectuel de ’gauche’, ne perdrait rien à se renseigner sur le rôle vital qu’a joué Fidel Castro dans la chute du régime d’apartheid sud-africain (4). Nelson Mandela ne manquera pas de s’en rappeler puisqu’il lui accordera sa première visite aussitôt libéré de prison. ’Madiba’ savait ce qu’était une dictature lui, ainsi que les réfugiés politiques chiliens, argentins et autres accueillis à La Havane, qui auraient pu expliquer à Michel Onfray ce qu’est une dictature où on assassine les ouvriers, les paysans, les syndicalistes, les intellectuels, où les enfants dorment dans la rue, n’ont pas d’écoles et ne peuvent pas se soigner.

Le philosophe qu’il est aurait également pu mettre Cuba dans le contexte latino-américain et caribéen qui est le sien ainsi que dans son contexte historique.

On pouvait espérer analyse plus rigoureuse et plus juste de la part d’un intellectuel reconnu comme Michel Onfray, l’ironie est qu’il appelle dans sa vidéo à faire de l’histoire et non de la morale, mais c’est précisément celui-ci qui utilise la morale au détriment de l’histoire et de la complexité de celle-ci. Je lui propose donc de participer à un débat historique avec qui bon lui semble sur le sujet cubain, un débat où il ne parlera pas seul face à une caméra en exposant des généralités abstraites (dont il sait parfaitement qu’elles passeront plus facilement), mais un échange constructif avec des faits et des chiffres concrets.

Michel Onfray aurait peut-être fait mieux que Fidel Castro durant la cinquantaine d’années d’agression américaine contre Cuba et à la tête du pays. Mais peut être aurait-il aussi à l’aube de la période spéciale et de la crise sans précédent qu’a connu Cuba à la chute de l’URSS, décidé d’adopter des mesures d’austérité radicales dictées par la banque mondiale et le FMI. Le gouvernement cubain lui à cette époque, a décidé de maintenir la priorité à l’accès aux soins et à l’éducation pour sa population, avec des succès très importants pour ce petit pays des Caraïbes (5). Mais cela semble être moins important pour le philosophe que ses histoires de beurre et de location de véhicule.

Notes :

(1) http://www.monde-diplomatique.fr/2015/01/LAMRANI/51971

(2) http://www.liberation.fr/planete/1997/08/06/nouvelle-explosion-dans-un-hotel-a-cuba_213646

https://www.monde-diplomatique.fr/2005/12/LEMOINE/13057

(3) http://www.lechappeebelle.ca/2015/04/cuba-un-laboratoire-de-la-souverainete-alimentaire/

(4) http://www.rfi.fr/afrique/20161126-cuba-fidel-castro-mort-afrique-che-guevara

(5) http://www.rfi.fr/ameriques/20110808-cuba-exception-medicale

http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20131030.AFP0524/tour-de-babel-a-cuba-l-ecole-de-medecine-gratuite-et-solidaire.html

http://www.20minutes.fr/sante/1643727-20150701-vih-cuba-devient-premier-pays-eliminer-transmission-sida-mere

Source : Le Grand Soir

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