Les dépenses publiques doivent … augmenter !

Le déficit budgétaire fait couler beaucoup d’encre en Belgique ces derniers jours. Le plat pays risque de foncer dans le mur. Solution? “Il faut réduire les dépenses publiques”, répètent en choeur de nombreux experts et politiques. C’est la même logique qui sous-tend la réforme des retraites en France. Les finances publiques ne sont pas un puits sans fonds, il faut faire des efforts où le système va crasher. C’est la même logique qui anime toute l’Europe en fait où l’on recommande de faire des économies pour ne pas voir les déficits s’envoler. Il y a une alternative pourtant, explique Olivier Bonfond en quelques points fondamentaux pour comprendre que nous vivons une crise des recettes, et non une crise des dépenses. (IGA)


 

1. Les finances publiques sont dans une situation inquiétante, pas de doute là-dessus

Plusieurs vagues de COVID, des inondations catastrophiques, la guerre en Ukraine, une inflation galopante et une crise énergétique sans précédent ont dégradé fortement la situation des finances publiques de tous les Etats et régions de l’UE.

Au niveau belge, les déficits accumulés entre 2020 et 2023 sont de 150 milliards d’euros, soit en moyenne 37 milliards par an, alors qu’on se situait aux alentours de 9 milliards avant la crise COVID.

Au niveau wallon, les déficits accumulés entre 2020 et 2023 sont de l’ordre de 16 milliards d’euros, soit en moyenne 4 milliards par an, alors qu’on se situait aux alentours de 2 milliards avant la crise COVID.

Au niveau wallon, les déficits accumulés entre 2020 et 2023 sont de l’ordre de 16 milliards d’euros, soit en moyenne 4 milliards par an, alors qu’on se situait aux alentours de 2 milliards avant la crise COVID.

 

2. La situation ne va pas s’améliorer dans les années qui viennent

Toutes choses égales par ailleurs, les perspectives ne sont pas enthousiasmantes.

Au niveau fédéral, les dernières prévisions du Bureau du Plan sont claires : à politique inchangée, le déficit public resterait très élevé au cours des prochaines années : en moyenne de 5,7 % du PIB, tandis que le ratio d’endettement public continuerait d’augmenter pour atteindre 120 % du PIB en 2028.

Au niveau wallon, la dynamique est identique : les déficits vont rester très élevés au cours des 4 prochaines années (entre 3 et 4 milliards d’euros), et la dette, aujourd’hui estimée à 35 milliards, devrait atteindre rapidement 40 milliards en 2024.

3. Le risque d’une nouvelle augmentation brutale de la dette publique est réel

Ne l’oublions pas, ce ne sont pas des dépenses publiques excessives récurrentes qui ont fait passer la dette belge de 85% du PIB en 2007 à 115% aujourd’hui. C’est d’abord la crise financière en 2008-2009, puis le COVID en 2020 et 2021, en enfin la crise énergétique en 2022 qui ont provoqué des fortes augmentations de la dette.

Depuis plusieurs années, plusieurs risques importants pèsent sur la situation économique et les finances publiques. Ce sont autant de bombes à retardement :

-  Ralentissement des économies, voire récession
-  Augmentation forte du nombre de faillites
-  Poursuite de l’augmentation des taux d’intérêts
-  Nouvelle crise financière (la faillite récente de la Sillicon Valley Bank (SBV) nous rappelle que cela nous pend au nez)
-  Aggravation du conflit armé entre la Russie et l’Ukraine
-  Aggravation de la crise énergétique
-  Aggravation de la crise écologique et climatique
-  Résurgence du COVID ou apparition d’une nouvelle pandémie.
-  Aggravation de la guerre commerciale entre les USA et la Chine
Par conséquent, il est probable que, suite à un ou plusieurs « chocs extérieurs », les pouvoirs publics doivent à nouveau intervenir de manière forte et que les finances publiques se dégradent à nouveau de manière brutale.

4. La dette, un alibi pour attaquer les dépenses publiques et imposer des réformes libérales

Très rapidement après la « sortie » de la crise du COVID en 2021, les déclarations des gouvernements étaient très clair : « la dette est trop élevée. Il est impératif de revenir à une orthodoxie budgétaire, de réduire les dépenses publiques, et d’avancer dans les réformes structurelles. »

La guerre en Ukraine, la crise énergétique et l’inflation galopante ont quelque peu mis entre parenthèses ces intentions, mais depuis plusieurs semaines, les partis libéraux (mais aussi les institutions supranationales comme la Commission européenne ou le FMI) multiplient les sorties visant le retour en force de l’orthodoxie budgétaire et l’approfondissement des réformes néolibérales, c’est-à-dire antisociales.

-  L’Echo (17/11/2022) : L’Europe fustige le dérapage des dépenses publiques de notre pays.
-  L’Echo (21/12/2022) : Le FMI préconise de réduire le déficit 2023 de 4,6 milliards d’euros en « rationalisant » parmi les dépenses courantes. L’indexation automatique devrait également être aménagée.
-  L’Echo (31/12/22) : La NVA, au-delà des réformes institutionnelles qu’elle vise, appelle également à des réformes socio-économiques axées sur la compétitivité et sur l’emploi (en limitant le chômage à 2 ans notamment)
-  La libre (6/1/23) : l’Unizo et l’UCM appellent à réformer l’index et en attendant à le geler…
-  La libre (8/1/23) : La FEB appelle à lancer des réformes profondes à travers un pacte fiscal et de compétitivité
-  La libre (9/1/23) : Lors des vœux du MR, leur président appelle les ministres libéraux du gouvernement wallon à faire face au bloc PS/Ecolo pour imposer des réformes (notamment sur l’emploi)
-  Rapport annuel de la BNB (mars 2023). Dans son rapport, la Banque nationale appelle à des réductions unilatérales des dépenses publiques.
-  Le Soir (3/03/2023) : le Président du MR, Georges-Louis Bouchez, propose d’inscrire l’interdiction des déficits publics dans la Constitution, rien de moins.

Or, ce ne sont ni les coupes dans les dépenses publiques ni les réformes libérales qui parviendront à améliorer la situation des finances publiques.

5. Diminuer les dépenses publiques ou mettre en œuvre des réformes libérales ne règlera pas le problème

Il est évidemment nécessaire de se préoccuper de l’évolution de l’endettement public, et il est a priori souhaitable de financer le développement d’un pays via des ressources qui ne génèrent pas d’endettement. Mais un État doit pouvoir s’endetter sous certaines conditions, en particulier en période de récession, où la dépense publique peut s’avérer cruciale pour maintenir ou relancer l’activité économique.

Si certaines dépenses auraient pu être ou pourraient être réduites. Nous pensons ici par exemple aux milliards de cadeaux fiscaux ou aux réductions automatiques de cotisations sociales accordées aux entreprises sans distinction et sans conditionnalité. Mais les dépenses publiques dans le social, dans les services publics, dans les infrastructures, ou dans les investissements productifs n’ont pas été trop élevés. Au contraire, ces dépenses qui ont joué un rôle crucial d’amortisseurs économique et social et ont permis de limiter les conséquences des différentes crises.

Cette politique de réduction des dépenses débouchera quasiment avec certitude sur des résultats inverses à ceux escomptés. En effet, l’histoire a montré que les réductions de dépenses publiques provoquent une contraction de l’activité économique, qui elle-même provoque une baisse des rentrées fiscales et une augmentation du chômage et donc une augmentation des dépenses sociales. L’Etat ayant appliqué l’austérité pour diminuer son déficit budgétaire se retrouve au final avec un déficit en augmentation et un approfondissement de la récession…

En admettant même que ces politiques fonctionnent, la pression serait toujours aussi forte pour toujours approfondir les coupes drastiques dans les investissements publics et les services publics. Prenons l’exemple de la Région wallonne : la décision du gouvernement d’appliquer un effort annuel structurel et cumulatif de 150 millions d’euros pendant 10 ans (soit un plan d’austérité de 6 milliards d’euros) aboutirait, dans le scénario le plus optimiste, à une dette de 230 % des recettes (elle était de 220% en 2022). Cela ne changerait strictement rien à la situation et à la pression qu’on subirait de la part des marchés financiers. Les mêmes institutions continueraient à fustiger la situation budgétaire et appeler à de nouveaux « efforts »….

Par ailleurs, contrairement au discours les justifiant, toutes les réformes libérales, en cours ou en préparation, ne visent ni à réduire l’endettement, ni à améliorer la situation globale de la population et en améliorer son bien-être, ce qui constitue pourtant le sens de l’engagement politique, mais bien à maintenir les profits de certains au détriment de l’intérêt général et en creusant de nouvelles inégalités.

Au nom de l’assainissement des finances publiques et de la sauvegarde de la compétitivité, la logique dominante est claire :
-  Réduire les salaires et les cotisations sociales
-  Précariser les conditions de travail
-  Limiter les allocations sociales dans le temps
-  Continuer à favoriser le système de pensions par capitalisation. Soulignons que suite à cette orientation, en 2023, l’épargne pension privée constituée par les 1.800.000 travailleur.euses belges a vu s’envoler 4 milliards.

Depuis des décennies, ces mêmes recettes libérales (austérité budgétaire, privatisations, ouverture des marchés, etc.) ont produit les mêmes effets : baisse de l’activité économique et augmentation de la précarité, des inégalités, de l’exclusion sociale, du chômage et des dettes publiques…

6. Les dépenses publiques doivent fortement augmenter

Alors que la Belgique reste un pays très riche, de nombreuses situations restent totalement inacceptables un Etat de droit digne de ce nom.

Or ne l’oublions, un gouvernement à l’obligation de mettre en œuvre des politiques visant à améliorer sans cesse le bien-être général de la population. Cette obligation est même constitutionnelle. Rappelons l’article 23 de la Constitution Belge : « chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. Cela comprend : le droit au travail, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitable, le droit de négociation collective ; le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l’aide sociale, médicale et juridique ; le droit à un logement décent ; le droit à la protection d’un environnement sain ; le droit à l’épanouissement culturel et social ; le droit aux prestations familiales. »

La liste complète des déficits et besoins à combler est très longue et mériterait d’être réalisée. Citons-en quelques-uns :
-  Remonter toutes les allocations au-dessus du seuil de pauvreté (voir graphique ci-dessous : la grande majorité des minima sociaux sont sous le seuil de pauvreté)
-  Mettre fin au statut de cohabitant
-  Augmenter le nombre de professeur·es, et améliorer leurs conditions de travail
-  Augmenter le nombre de soignant·es, et améliorer leurs conditions de travail
-  Investir dans tous les services publics
-  Investir massivement dans le rail
-  Garantir le droit à un logement social pour toutes les personnes y ayant droit, et à un logement décent pour toutes et tous
-  Financer la culture
-  Mettre en place une politique d’accueil digne de ce nom
-  Investir dans la transition énergétique et climatique
-  …

Pour atteindre ces objectifs et concrétiser ces droits, il est nécessaire d’augmenter les dépenses publiques de plusieurs dizaines de milliards d’euros par an.

7. Conclusion : nous vivons une crise des recettes et non une crise des dépenses

Depuis plusieurs décennies, on nous bassine avec la rengaine selon laquelle l’Etat dépenserait trop et vivrait au-dessus de ses moyens. La réalité est autre : législature après législature, les gouvernements ont mis en œuvre des réformes qui ont réduit (ou ralenti les augmentations) les recettes de l’Etat. Un exemple parmi d’autres : la diminution constante de l’impôt sur les bénéfices des sociétés (tant en Belgique que dans les autres pays de l’UE), qui est passé de 40% en 1995 à 25% aujourd’hui.

Les déficits accumulés ces dernières années et décennies sont donc avant tout le résultat d’une crise des recettes plutôt qu’une crise des dépenses.

Dans un Tweet posté le 3 septembre 2022, Gérard Filoche résume parfaitement cet état de fait : « Dans les années 80, les multinationales payaient 50% d’impôt Dans les années 90 elles payaient 37 % Dans les années 2010-20 elles paient entre 0 et 15% Voilà l’origine de la dette. Une question de recettes, pas de dépenses. »

Il s’agit donc d’augmenter fortement les recettes publiques dans le but de financer la justice sociale et une transition écologique digne de ce nom.

Mais bonne nouvelle, augmenter fortement les recettes publiques sans recourir à l’endettement et sans faire payer les travailleurs, c’est possible. (Voir article à paraitre : Bonne nouvelle : augmenter fortement les recettes publiques, c’est possible.)

 

Source: CADTM

 

Olivier Bonfond est économiste et conseiller au CEPAG (Centre d’Éducation populaire André Genot). Militant altermondialiste, membre du CADTM, de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Belgique (ACiDe) et de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.
Il est l’auteur du livre Et si on arrêtait de payer ? 10 questions / réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité (Aden, 2012) et Il faut tuer TINA. 200 propositions pour rompre avec le fatalisme et changer le monde (Le Cerisier, fev 2017). Il est également coordinateur du site Bonnes nouvelles

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