Les contradictions politiques du Groupe de Lima sur le Venezuela

Le Groupe de Lima*, qui réunit plusieurs gouvernements néo-libéraux dans l’orbite des USA , vient d’exprimer son refus absolu de la décision du Venezuela d’organiser l’élection présidentielle le 22 avril 2018. Or cette date, selon les médiateurs internationaux du dialogue en République Dominicaine comme l’Espagnol Rodriguez Zapatero, avait été fixée en accord avec les secteurs de la droite vénézuélienne. Dans un communiqué diffusé après la réunion du Groupe de Lima, les présidents Macri, Santos etc… ont invoqué le “manque de transparence et de fiabilité” et exigé l’établissement d’un “nouveau calendrier electoral” au Venezuela.

 

Ironie de l’histoire, cet appel à des « élections générales » a été lancé depuis les bancs de la droite majoritaire à l’Assemblée Nationale (actuellement en état d’illégalité à la suite de trois élections frauduleuses de députés) lors de sa deuxième session en 2016, en exigeant un délai de quelques mois à peine pour leur réalisation.

Cette exigence sans fondement légal ne servait alors qu’à justifier une escalade de violence dans le pays, qui est effectivement survenue durant les mois d’avril à juillet 2017, jusqu’à ce que la convocation de l’Assemblée Nationale Constituante désactive les tentatives de faire de la situation chaotique du pays un élément déclencheur d’une action militaire depuis l’étranger.

Pendant la première moitié de l’année 2017, parallèlement aux guarimbas (violences d’extrême droite) et au milieu des incitations à l’affrontement, des destructions et saccages d’institutions publiques, des assassinats et du chaos généralisé, les dirigeants de l’opposition ont réitéré leur appel à des élections anticipées, alléguant que si le gouvernement ne les convoquait pas, c’était parce qu’il savait que sa défaite était assurée.

 

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Julio Borges en mars 2017 : « Si le gouvernement va aux élections il perd et si il continue à les éviter il est perdu. Le Venezuela se lève pour exiger des élections maintenant ! »

 

L’intromission du Secrétaire Général de l’OEA, Luis Almagro, visant à activer la Charte Démocratique qui s’appliquera à « évaluer la situation vénézuélienne » en s’appuyant sur le « Rapport Almagro » (nourri de données d’ONG satellites de la droite comme Foro Penal, et financées par les promoteurs de l’intervention contre le Venezuela depuis les USA), avait elle aussi pour objectif, entre autres, de faire pression pour que se tiennent des « élections générales dans un délai de trente jours ».

Le but étant d’obtenir un consensus de 18 votes pour la discussion de la Charte Démocratique et 24 pour son application, de sorte que le Venezuela, qui ne permettrait pas que son autodétermination soit violée et ne se plierait pas aux exigences de l’OEA, soit catalogué comme un pays hors-la-loi, donnant toute liberté à la prise de mesures coercitives et punitives à son encontre.

 

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Luis Almagro, avril 2017 : « Aujourd’hui j’appelle de nouveaux à l’organisation d’élections générales dans la paix pour que le gens redeviennent maitres de leurs destin »

 

 

Dans ce contexte, le Département d’Etat réclama également l’organisation d’une élection présidentielle anticipée, juste au moment où le pays se préparait à celle de l’Assemblée Nationale Constituante. C’est le Président Trump lui-même qui émit alors un communiqué dans lequel il assurait que les sanctions seraient renforcées si ces élections constituantes avaient lieu (une menace aussitôt répétée par l’Union Européenne) et exigeait de les supprimer en faveur d’ »élections libres et justes » – appel diffusé par le compte twitter du Secrétaire d’Etat pour les Affaires de l’Hémisphère Occidental du Département d’Etat, Francisco Palmieri.

 

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« Trump : Les USA appellent de nouveau à des élections libres et équitables et sont au côté du peuple du Venezuela »

 

 

D’autre part, l’appel à la libération des « prisonniers politiques » (en réalité des auteurs/organisateurs des violences d’extrême-droite) contenu dans le communiqué contredit la décision de l’opposition de ne pas signer un accord d’entente en République Dominicaine, dont c’était pourtant l’un des points négociés entre la droite et le gouvernement. Lorsque le consensus a été obtenu entre les deux parties, la droite le rejeta au dernier moment, comme l’a publiquement regretté l’ex-Prmier ministre espagnol et accompagnateur du dialogue, José Luis Rodriguez Zapatero.

Par la suite, le représentant du gouvernement vénézuélien à la Table de Dialogue, Jorge Rodriguez, a confirmé que ce revirement in extremis était dû à un appel téléphonique reçu de Colombie où se trouvait alors le Secrétaire d’Etat US Rex Tillerson.

Les références du communiqué du Groupe de Lima au troisième rapport sur le Venezuela de la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme, ainsi qu’à la décision de la Cour Pénale Internationale de procéder à un premier examen de « présumés crimes d’Etat et contre l’Humanité » , constituent la base des accusations de violation des droits de l’homme, de paralysie des institutions et de perte des libertés politiques de la population. La première de ces accusations ignore totalement les sources officielles pour alimenter son dossier, exposant un version unilatérale, tandis que la seconde, bien qu’on ne précise pas quels seront les rapports qui seront pris en compte pour l’examen préliminaire, s’est essentiellement basée sur les documents de l’OEA inféodée à Washington.

Enfin, le communiqué s’oppose à la participation du Président Nicolas Maduro au Sommet des Amériques qui se tiendra à Lima (Pérou) les 13 et 14 avril, ainsi qu’à la convocation de l’élection présidentielle, et engage vivement le gouvernement vénézuélien à ouvrir un « couloir humanitaire ».

Pour ce qui concerne l’élection présidentielle, la position du Groupe de Lima met en évidence les inconséquences et contradictions du front vénézuélien de l’extérieur et des dirigeants de la droite qui exigeaient à l’unisson une élection présidentielle anticipée qu’aujourd’hui ils refusent.

En termes politiques, ce durcissement revêt la forme d’un acte d’autorité pour provoquer l’isolement électoral de l’opposition et permettre l’articulation de sanctions renforcées contre le pays à partir du Groupe de Lima, conformément aux injonctions des USA.

Par ailleurs, pour ce qui est du « couloir humanitaire », utiliser les effets qu’ont eu les sanctions financières contre le pays, frappant les couches sensibles du tissu social et économique, comme élément du discours  très bien exploité de la « crise humanitaire » ne représente aucun intérêt réel pour enrayer les conséquences des actions menées pour asphyxier l’économie du Venezuela et ne consiste qu’à se rapprocher des intentions des USA d’intervenir à l’intérieur du territoire vénézuélien sous un prétexte humanitaire ; ce qui sous d’autres latitudes (Haïti, République Centrafricaine,etc.) représente aussi une activité lucrative pour des agences comme l’USAID.

Le Groupe de Lima a délibérément étendu ses dénonciations jusqu’au niveau des frontières terrestres, en mentionnant « l’exode de milliers de Vénézuéliens » et en affirmant coordonner les efforts pour affronter cette situation. Ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit là d’une bonne excuse pour mobiliser des troupes dans les zones limitrophes du Venezuela, décision prise par le Président de la Colombie, Juan Manuel Santos, en déployant plus de 3 000 soldats à la frontière comme mesure destinée à contenir le flux d’immigrants. Suivi en cela par le Brésil dans le cadre de la tournée de Michel Temer dans l’Etat de Roraïma, au cours de laquelle il a ordonné de doubler les effectifs militaires pour faire face à « l’exode massif d’immigrants ». Un appui a été donné au Mexique et au Chili pour leur diligence à répondre rapidement aux appels à se retirer du processus de dialogue, qui vise à instaurer la paix au Vénézuela ; ces appels ont été lancés notamment par la plate-forme de l’opposition « Soy Venezuela » à l’instigation du secrétaire d’État Rex Tillerson et du sénateur Marco Rubio, dont les déclarations laissent entendre que les options militaires sont privilégiées au détriment de toute autre solution qui pourrait contribuer à la stabilité politique au Venezuela que ce soit à moyen ou à long terme, comme, par exemple, la tenue d’une élection présidentielle dans un climat de respect vis-à-vis des institutions vénézuéliennes.

Le communiqué du Groupe de Lima met donc plus que jamais en évidence les incohérences juridiques et politiques par rapport à ses propres demandes récentes, ainsi que celles d’acteurs de l’opposition et d’autres agents du front international ; il étale ses contradictions lorsqu’il réclame un hypothétique calendrier électoral que le CNE a pleinement réalisé depuis la tenue des élections régionale du 15 octobre 2017.

Cette demande avait été faite en 2017, alors qu’on essayait de placer le pays dans des conditions de mise sous tutelle d’organismes étrangers, pour intensifier la violence et ainsi dresser des obstacles à l’obtention d’un consensus entre le gouvernement vénézuélien et l’opposition.

Maintenant que la célébration d’élections se matérialise, avec l’abandon de cet argument et la reconnaissance de l’existence d’un plan visant à empêcher une solution interne du conflit, le Groupe de Lima se dépouille de ses accoutrements idéologiques et des deux poids deux mesures en matière de démocratie derrière lesquels il avait camouflé ses attaques contre le pays en 2017.

 

Note 

* Le Groupe de Lima (parfois abrégé en GL) est un organe multilatéral qui a été créé après la déclaration de Lima du 8 août 2017 dans la capitale du Pérou, où des représentants de 17 pays se sont rencontrés pour suivre et chercher une issue à la crise au Venezuela. Entre autres choses, il exige la libération des prisonniers politiques, appelle à la tenue d’élections libres, offre une aide humanitaire et critique l’effondrement présumé de l’ordre démocratique au Venezuela.

Douze pays américains ont initialement signé la déclaration: Argentine, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Honduras, Mexique, Panama, Paraguay et Pérou, rejoints plus tard par la Guyana et Sainte-Lucie. Elle a été également approuvée par la Barbade, les USA, la Grenade, la Jamaïque et l’Uruguay, et soutenue par l’OEA, l’UE et l’opposition vénézuélienne.

 

Traduit de l’espagnol par Frédérique Buhl pour Venezuela Infos.

Note de Tlaxcala (réseau international des traducteurs pour la diversité linguistique)

Source  : Mision Verdad 

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