Le “Standing Rock” mexicain ?

Depuis la privatisation des ressources pétrolières et gazières du Mexique en 2013, les pipelines transfrontaliers, y compris ceux appartenant à Sempra Energy et à TransCanada, ont fait l’objet d’examens minutieux et de contestations judiciaires, en particulier de la part des peuples autochtones. L’ouverture du robinet permettant aux sociétés américaines de vendre du pétrole et du gaz au Mexique était une priorité absolue pour le département d’État d’Obama dirigé par Hillary Clinton

 

Le Mexique est aujourd’hui confronté à un épisode semblable à celui de Standing Rock, la tribu Yaqui s’opposant au gazoduc Agua Prieta de Sempra Energy entre l’Arizona et l’État mexicain de Senora. Les Yaquis du village de Loma de Bácum prétendent que le gouvernement mexicain a omis de les consulter de manière adéquate, comme l’exige la loi mexicaine.

 

Consultations autochtones

 

 

Dans le cadre de la nouvelle approche juridique du Mexique en matière d’énergie, les permis de projets de pipelines exigent des consultations avec les peuples autochtones vivant le long du tracé des pipelines. (En outre, le Mexique a soutenu l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui inclut le principe de « consentement préalable, libre et éclairé » des peuples autochtones à l’égard des projets les affectant. Principe qui fait également débat au Canada actuellement).

La tribu Sioux de Standing Rock a déclaré que c’était un manque similaire de consultation autochtone qui était à l’origine, fin 2016, des poursuites judiciaires et du soulèvement de plusieurs mois contre le pipeline Dakota Access situé près de la réserve de la tribu à Cannon Ball, dans le Dakota du Nord. Aujourd’hui, selon Bloomberg et la journaliste mexicaine Gema Villela Valenzuela de la revue hispanophone Cimacnoticias, l’histoire se répète dans le village de Loma de Bácum au nord-ouest du Mexique.

Le pipeline Agua Prieta, dont il est prévu qu’il traverse la rivière Yaqui, a reçu le feu vert de sept des huit communautés tribales Yaqui. Mais les Yaquis basés à Loma de Bácum se sont opposés à ce que le pipeline traverse leur territoire, allant même jusqu’à sectionner un tronçon de huit mètres construit sur leurs terres.

« Les Yaquis de Loma de Bácum affirment que les autorités communautaires leur ont demandé en 2015 s’ils étaient d’accord pour qu’un tronçon de 15 km du pipeline traverse leurs terres agricoles, et ils ont dit non. Malgré cela, la construction s’est poursuivie », a rapporté Bloomberg dans un article de décembre 2017. « Le projet fait désormais face à un flou juridique. Ienova, l’unité de Sempra qui exploite le pipeline, attend une décision judiciaire qui pourrait l’autoriser à intervenir et à réparer le gazoduc ou exiger un réacheminement plus coûteux. »

Alors que le litige judiciaire est devant la Cour Suprême de Justice du Mexique, les désaccords sur le gazoduc et sa construction à Loma de Bácum ont déchiré la communauté et ont même conduit à des faits de violence, selon Cimacnoticias.

La construction du gazoduc « a provoqué des violences allant d’affrontements entre les membres de la communauté elle-même à des menaces envers des dirigeants Yaqui et des femmes du même groupe ethnique ainsi qu’à l’encontre de défenseurs des droits des peuples autochtones et de la terre », a rapporté Cimacnoticias, selon une traduction en anglais de son article espagnol d’octobre 2016.

« Ils ont rapporté que des voitures avaient été brûlées et que des bagarres avaient fini en homicide. Sur recommandation des autorités Yaquis de la ville de Bácum, certaines femmes de la communauté ont dû rester dans des endroits qu’elles jugeaient sûrs à cause de menaces qu’elles avaient reçues suite à leur opposition de signer le permis collectif de construction du pipeline. »

 

De nouvelles difficultés transfrontalières pour TransCanada

 

 

Si la TransCanada, basée à Alberta, est plus connue pour son oléoduc canado-américain – le Keystone XL – et sa bataille menée des années durant pour construire ce pipeline de sables bitumineux, elle a également été confrontée à des problèmes de permis au Mexique pour ses projets de gazoduc entre les États-Unis et le Mexique.

Selon un article de décembre 2017 publiée dans le Natural Gas Intelligence, le pipeline Tuxpan-Tula proposé par TransCanada fait face à l’opposition de la communauté indigène Otomi vivant dans l’État mexicain de Puebla. Avec Tuxpan-Tula, TransCanada espère acheminer du gaz naturel du Texas à la partie occidentale du Mexique via un pipeline sous-marin nommé le Sur de Texas-Tuxpan.

La communauté Otomi a récemment obtenu gain de cause devant un des tribunaux de district du Mexique pour mettre un terme à la construction de Tuxpan-Tula.

« Au cours d’une récente audience tenue sur un terrain de football intérieur au pied du Cerro del Brujo – ou Shaman’s Hill – dans l’État de Puebla au sud du Mexique, un juge de district s’est rangé du côté d’une communauté indigène et a ordonné que la construction du gazoduc soit arrêtée», a rapporté le Natural Gas Intelligence. « Le tribunal a rendu l’ordonnance en réponse aux plaidoyers de la communauté indigène Otomi locale, qui prétend que la construction perturberait la terre sacrée. »

La privatisation du secteur de l’énergie au Mexique, décriée par les partis politiques de gauche du pays et par Andrés Manuel López Obradorl’un des principaux candidats à la présidentielle de 2018 – a en réalité créé ce type d’opportunités juridiques que les Otomi ont saisies devant les tribunaux.

« Ce qui est nouveau au Mexique, c’est l’exigence que les communautés autochtones soient consultées », a déclaré Ramses Pech, PDG du groupe d’analyse énergétique Caraiva y Asociados, à Natural Gas Intelligence. Ce type de consultation fait depuis longtemps partie de tout nouveau projet aux États-Unis et dans d’autres pays, mais pas ici. C’était évidemment nécessaire au Mexique également, mais cela a ajouté à la complexité du système juridique mexicain dans des domaines tels que la terre et les droits de passage. »

Aux États-Unis, le processus de consultation tribale est régi par la section 106 du National Historic Preservation Act. Cette loi a donné à la Tribu Sioux de Standing Rock le droit de poursuivre en justice les agences gouvernementales des États-Unis, poursuites finalement vaines, puisque les violations alléguées par la tribu avaient eu lieu pendant le processus intergouvernemental de délivrance du permis.

 

Steve Horn est journaliste d’investigation freelance et chercheur associé à DeSmogBlog

 

Traduit de l’anglais par Aurélie Filiâtre pour Le Journal de Notre Amérique

Source :  DeSmogBlog

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