Le règne du deux poids deux mesures ou l’exemple de l’éviction d’artistes russes du festival de musique Berlioz

Après les jeux paralympiques, la coupe du Monde de football, voici l’heure des festivals de musique et opéras de bannir leurs lieux des horribles Russes. Fut un temps non lointain le diable s’appelait non vacciné, ou anti-pass, au choix. Désormais c’est  la citoyenneté russe qui peut être gage d’ostracisation et de discrimination.

Le festival Berlioz du nom du compositeur français Hector Berlioz n’est pas en reste et a su être plus royaliste que le roi. Non content des ”seules” sanctions économiques que l’occident inflige à la Russie, tout du moins les sanctions que les États-Unis ordonnent à ses vassaux d’imposer à la Russie, il reste des secteurs encore non concernés par les sanctions.

C’en était trop pour certains, c’est alors que de leurs propres chefs pour palier ce terrible oubli que des directeurs d’opéras ou de festivals congédient ou annulent la venue de musiciens russes. Ouf, nous voilà rassurés, ce que les politiques ne font pas ou n’osent pas faire, d’autres le font pour eux.

C’est en effet le cas du directeur du festival Berlioz, Bruno Messina, qui a annulé la venue au festival estival de musique de la Cote Saint-André du chef d’orchestre Valery Gergiev, déjà limogé de l’opéra de Munich[1],  mais aussi l’orchestre du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg qui devait joué la mythique Damnation de Faust :

« Ce qu’a décidé Poutine n’est pas acceptable et dans ce cas-là, évidemment on ne pourra pas programmer ces musiciens-là. Le voudrais-je d’ailleurs que je ne pourrais pas ». Ah bon ? Et pourquoi ?  Ledit directeur du festival se défend : « de nier l’apport extraordinaire de la Russie à l’histoire de la musique. Il s’agit d’être conscient qu’il y a des musiciens qui sont plus ou moins impliqués et puis qu’il y a des institutions qui sont des institutions d’État […] comme le Théâtre Mariinsky, de la même manière que l’Opéra de Paris est institution d’État en France  »[2].

Le prenant au mot, analysons s’il s’applique ses propres principes.

En s’intéressant à la programmation de cette session de 2022 on apprend la présence de l’orchestre philharmonique de Radio-France ainsi que de l’orchestre national de France sans pour autant que cela ne semble déranger le président du festival Berlioz. À première vue, cela semble normal.

Pourtant la France est largement impliquée dans un conflit meurtrier qu’est la guerre au Yémen, en envoyant  des armes d’attaque aux cobelligérants : l’Arabie-Saoudite et les Émirats Arabes Unis. Or  comme le rappelle le média Disclose en 2019: « 28 millions de Yéménites viv[aient] toujours sous les bombardements et plus de 8 300 civils [avaient] perdu la vie au cours des seules frappes aériennes de la coalition […] dont 1283 enfants.[3] »

Cependant comme le révèle une note classée « confidentiel défense » de septembre 2018 que s’est procurée le média, le président de la République est bien avisé de la destination des armes envoyées à l’Arabie-Saoudite et de leur utilisation. Qu’il soit question de canons, d’appareil de guidage de missiles ainsi que de navires de guerre français, Emmanuel Macron sait qu’ils sont déployés sur le front yéménite. Cela n’a en rien stoppé les exportations d’armes françaises vers la pétromonarchie qui devient en prime en 2021 le premier client en armement de la France.

Au regard de la note de quinze pages transmise au locataire de l’Élysée, il ne fait nul doute que le président français est pleinement conscient du rôle meurtrier que jouent ses exportations d’armes, il est mentionné que les canons caesar : « appuient les troupes loyalistes et les forces armées saoudiennes dans leur progression en territoire yéménite. ».  En d’autres termes que ces canons produits par une entreprise publique française font feu sur la population yéménite.

Le président est aussi informé que la population yéménite, qui a subi plus de 25 000 bombardements depuis 2015  l’est grâce à une technologie française servant à guider les missiles qui équipe les avions de chasse. Il sait aussi qu’au niveau des navires de guerre la France n’est pas en reste : deux bateaux de fabrication française participent au blocus mis en place par l’Arabie-Saoudite au port d’Al Holeïda, concourant à alimenter la terrible crise humanitaire et la famine qui en découle.

Dès lors, si l’on suit le raisonnement du président du festival, l’orchestre philharmonique de Radio France ainsi que l’orchestre national de France devraient être bannis du festival Berlioz pour être des « institutions d’État » qui dépendent de la présidence de la république.

Ridicule non ?

Pourquoi alors ce déferlement de violence à l’égard des Russes ?

Sans nul doute à cause du rôle indéniable que jouent les médias de masse présentant l’unique version des faits admissible et tolérable comportant un méchant agresseur face un gentil agressé 

Pour comprendre ce déferlement de haine médiatique à l’encontre des Russes alors même que les États-Unis qui seuls ou par le truchement de l’Otan ont bombardé, entre autres, Yougoslavie, Afghanistan, Irak, Libye ou Syrie et n’ont jamais subi cette mise au ban de leurs athlètes ou de leurs artistes il faut se référer à un principe dégagé par Edward Herman et Noam Chomsky dans leur ouvrage phare La fabrique du consentement.

Il existe un double standard, appelé aussi deux poids deux mesures, à l’égard des victimes de guerre en fonction de la nationalité qu’elles ont. Si elles sont de nationalité des États clients des États-Unis, leur importance sera grande, tandis que si elles font partie d’un État rival, voire ennemi, alors leur importance sera négligeable.

Les victimes serbes, afghanes, irakiennes, libyennes, syriennes et yéménites se situant dans le clan des nationalités ennemies n’ont une valeur que très relative tandis que les victimes ukrainiennes, pays dans la sphère d’influence américaine, elles, ont une valeur bien plus importante. Le corollaire de ce principe étant l’impunité médiatique quasi totale pour les États agressant des victimes d’États ennemis mais une sévérité totale à l’endroit des agresseurs [ou considérés comme tels] des victimes d’États clients ou dans la sphère d’influence américaine.

En 2022 il est à retenir que cette sévérité inclut désormais non plus les seuls responsables politiques, mais une  partie de la population non décisionnaire, qui de près ou de loin mérite ce sort, n’ayant pas choisi la bonne nationalité à la naissance.

Revenons au festival Berlioz et son directeur, mais aussi aux déjà trop nombreuses personnes qui se sont employées aux mêmes écarts. Ont-ils déjà œuvré ainsi à l’égard de citoyens américains en raison des multiples guerres d’agression menées par l’administration américaine ?

Se sont ils posés la question élémentaire qu’était celle de savoir en quoi étaient responsables des artistes d’une action militaire menée par leurs dirigeants?

S’ajoute aussi à ce flot de questions une autre relative à leur manière de s’informer. Ne se posent-ils aucune question quant à ce manichéisme ambiant, ce consensus à toute épreuve malaisant qui devrait pour le moins les faire douter avant de prendre de telles décisions?

Semble-t-il non.

Que cette folie cesse, sinon les amoureux de la Pavlova ne risquent pas d’en remanger de sitôt.

 

Source: Investig’Action

Photo: Mike-Tango (CC)

Notes:

[1]Pour sa proximité avec Vladimir Poutine, mais aussi pour ne pas avoir dénoncé l’invasion russe.

[2]Noémie Philippot, « Guerre en Ukraine : le festival Berlioz sans “grandes institutions russes”, son directeur s’explique », France Bleu Isère, publié le 13/03/22, en ligne, Guerre en Ukraine : le festival Berlioz sans “grandes institutions russes”, son directeur s’explique (francebleu.fr)

[3]Discole, « Cartographie d’un mensonge d’État », publié le 15/04/19, en ligne, Cartographie d’un mensonge d’état – Made in France (disclose.ngo) .

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