Le nom que l’on ne peut pas prononcer – Louis Boyard chez Hanouna

Jeudi passé, scène d’une violence rare dans l’histoire de la télévision française comme l’écrit Médiapart dans un article consacré à cet énième buzz de TPMP, cette fois plus politique que d’habitude. Dans cette émission qui ne relève pas vraiment le débat public, les personnalités politiques sont régulièrement invitées et participent ainsi au mélange de genres avec des chroniqueurs qui interagissent comme au café du commerce. Ce qui s’est passé jeudi est une première: l’animateur Cyril Hanouna insulte un député car ce dernier voulait évoquer les méfaits de Vincent Bolloré en Afrique! Quelques réflexions d’Emmanuel Wathelet. (IGA) 

 

J’ai donc vu cette pitoyable séquence durant laquelle un homme tellement sûr de son pouvoir se permet de violemment insulter un de ses invités parce que celui-ci exerce sa liberté d’expression.
 
Je me mets à la place de Louis Boyard : dans pareille situation, je ne sais pas si j’aurais su garder un tel sang-froid. Cela dit, l’argument principal d’Hanouna mérite d’être déconstruit. En substance, Hanouna a reproché la présence de Boyard sur le plateau : “Pourquoi acceptes-tu d’être ici si c’est pour critiquer Bolloré? Pourquoi as-tu accepté d’être chroniqueur ici?”
 
Il me semble que, pris dans la tension de l’instant, Boyard n’a pas su répondre à cette attaque (ce qui du reste est tout à fait compréhensible). Cet argument d’Hanouna est-il cependant un bon argument? Non, je ne pense pas et voici pourquoi :
 
1) Il s’agit avant tout d’un sophisme qu’on pourrait nommer “sophisme de la pureté militante”, consistant à discréditer un discours critique parce que l’ensemble des choix de cellui qui le porte n’est pas en accord absolu avec cette radicalité. Typiquement, c’est lorsqu’on me reproche, au choix, de faire mes courses dans les hard discounts, de porter des Adidas, de boire du coca, de rouler en voiture, etc. Or, SCOOP, il est rigoureusement IMPOSSIBLE d’être un·e militant·e pur·e! On serait d’ailleurs bien en peine de définir cette soi-disante pureté… Toute radicalité impose à cellui qui s’en réclame de constamment faire des compromis avec cette dernière – sous peine de ne plus pouvoir vivre dans une société à laquelle il croit pourtant (sinon iel ne militerait pas!) Il s’agit également de faire reposer sur un individu le poids de responsabilités éminemment systémiques. Par ailleurs, il peut y avoir des raisons plus fortes que la “pureté militante” poussant à aller “contre ses principes”, comme par exemple…
 
2) …un principe de stratégie politique suppose d’être là où on peut être entendu. À ce titre, il est tout à fait rationnel d’aller chez Hanouna pour défendre une parole hétérodoxe – étant donné l’audimat dont jouit encore cet abject personnage. En ce qui concerne l’acceptation de cette invitation, le move paraît d’autant plus impressionnant : il est au cœur du système qu’il dénonce, conférant à sa parole une grande force démonstrative puisqu’il provoque la censure et la violence qu’il dénonce. Ce n’est pas pour rien qu’Hanouna a pété les plombs : il se savait pris au piège et a du avoir chaud aux fesses.
 
3) Sur le plan du contenu, sa démonstration est aussi implacable : si des exilé·es se retrouvent en situation d’exil, c’est qu’iels ont des raisons! L’explicitation des causes de l’exil est essentielle dans les débats sur la migration. En venant sur le plateau de Bolloré, Boyard pointe le doigt vers les responsables : le néocolonialisme avec, à sa tête, une poignée de milliardaires exploiteurs.
On remarque cependant un public acquis à la cause d’Hanouna. Probablement sont-ce les plus farouches fidèles de cette crevur…pardon, de cet animateur, qui font le déplacement mais peut-être est-ce aussi parce que de mauvais arguments peuvent faire mouche – surtout s’ils sont simples à comprendre (un atout non négligeable dans un moment de grande tension comme celui-là où tous hurlaient).
 
Notons, enfin, que comme le capitalisme se nourrit de tout – même de ses détracteurs – la séquence elle-même aura rapporté de l’argent à Bolloré qui donc aura toutes les raisons d’accueillir Boyard les prochaines fois. Ce qui montre, par l’absurde, toute la difficulté à porter un discours contre la pensée dominante : sans lui elle ne fait face à aucun obstacle et, avec lui, elle transforme en ressources ce qui devait être une embûche.

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