Le Martin Luther King qu’on ne voit pas à la télé

C’est devenu un rituel télévisuel : À chaque année vers la mi-janvier, aux alentours de l’anniversaire de naissance de Martin Luther King, nous avons droit à des reportages superficiels au sujet du « leader des droits civiques assassiné ».

La chose remarquable à propos de ce retour annuel sur la vie de King est que plusieurs années (ses dernières années) échappent complètement à l’examen, comme si elles avaient été perdues dans un trou de mémoire.

Ce sont toujours les mêmes images : King combattant pour la déségrégation à Birmingham (1963) ; récitant son discours sur le rêve de l’harmonie raciale au rassemblement de Washington (1963) ; marchant pour le droit de vote à Selma, en Alabama (1965) ; et finalement, abattu sur le balcon d’un motel à Memphis (1968).

Le spectateur avisé notera que la chronologie saute de 1965 à 1968. Et pourtant King n’a pas pris d’années sabbatiques vers la fin de ses jours. Non, il n’a cessé de prononcer des discours et d’organiser avec autant de ferveur qu’avant.

La presque totalité de ces discours ont été filmés ou enregistrés. Mais on ne les voit pas à la télévision aujourd’hui.

Pourquoi ?

C’est parce que les médias nationaux aux États-Unis n’ont jamais accepté ce pour quoi a combattu Martin Luther King Jr durant les dernières années de sa vie.

Au début des années 1960, lorsque King consacrait surtout son énergie à combattre la discrimination raciale légalisée dans le Sud, la plupart des grands médias américains étaient ses alliés. La télévision et la presse nationales montraient les images choquantes de policiers utilisant des chiens, le fouet et les bâtons de décharge électrique contre les noirs du Sud qui réclamaient le droit de vote et le droit de manger à un comptoir public.

Mais après l’adoption des lois sur les droits civiques en 1964 et 1965, King se mit à remettre en question les priorités fondamentales de la nation. Il soutenait que les lois sur les droits civiques ne valaient rien sans « les droits humains », qui comprenaient les droits économiques. Pour les gens qui sont trop pauvres pour manger dans un restaurant ou pour s’acheter une maison convenable, disait-il, les lois contre la discrimination ne sont d’aucun recours.

Observant qu’une majorité d’Américains vivant en-dessous du seuil de pauvreté étaient blancs, il en vint à formuler une perspective de classe. Il dénonça les écarts énormes entre riches et pauvres et préconisa « des changements radicaux dans la structure de notre société » en faveur d’une redistribution de la richesse et du pouvoir.

« La véritable compassion, déclara-t-il, est davantage que jeter une pièce de monnaie à un mendiant ; elle vient à voir que l’édifice qui produit des mendiants a besoin de restructuration. »

En 1967 King était devenu l’adversaire le plus en vue de la guerre du Vietnam et un farouche opposant à la politique étrangère des États-Unis, qu’il qualifiait de militariste. Dans son discours « Au-delà du Vietnam », prononcé à l’église Riverside de New-York le 4 avril 1967, exactement un an avant d’être assassiné, King qualifia les États-Unis de « plus grand pourvoyeur de violence dans le monde aujourd’hui ».

Du Vietnam à l’Amérique latine en passant par l’Afrique du Sud, disait King, les États-Unis étaient « du mauvais côté d’une révolution mondiale ». Il remit en question « notre alliance avec l’aristocratie foncière de l’Amérique latine » et demanda pourquoi les États-Unis supprimaient les révolutions « des sans- chemise et des pieds-nus » du Tiers Monde au lieu de les soutenir.

En politique étrangère, King offrit également une critique économique, dénonçant « les capitalistes de l’Occident qui investissent d’énormes quantités d’argent en Asie, en Afrique et en Amérique du sud seulement pour en tirer le profit et sans égard pour le mieux-être social de ces pays ».

Vous n’avez pas entendu le discours « Au-delà du Vietnam » dans les rétrospectives télévisées, mais les médias nationaux, eux, l’ont entendu fort et clair en 1967, et ils l’ont rabroué fort et clair. La revue Time le qualifia de « calomnie démagogique ressemblant à un script de Radio Hanoï ». Le Washington Post l’accueillit avec condescendance, écrivant que « King a diminué son utilité pour sa cause, son pays et son peuple ».

Durant les derniers mois de sa vie, King organisa le projet le plus militant qu’il n’eût entrepris jusqu’alors : la Campagne des pauvres. Il parcourut le pays pour réunir « une armée multiraciale de pauvres » qui se rendrait à Washington, prendrait part à la désobéissance civile non violente devant le Capitole, s’il le fallait, jusqu’à ce que le Congrès adopte une charte des droits des pauvres. Le Reader’s Digest cria à l’« insurrection ».

La charte des droits économiques de King prévoyait d’immenses programmes d’emplois du gouvernement pour rebâtir les villes de l’Amérique. Il voyait un besoin criant de défier le Congrès qui avait démontré « son hostilité envers les pauvres » en votant « des fonds militaires avec empressement et générosité » mais « des fonds pour les pauvres avec avarice ».

Comme cela nous semble familier aujourd’hui, plus de trente ans après que les efforts de mobilisation de King pour le compte des pauvres furent brutalement interrompus par la balle de l’assassin.

En ce début de l’année 1999, dans une nation pourvue de richesses immenses, la Maison Blanche et le Congrès continuent d’accepter la perpétuation de la pauvreté. De même font la plupart des médias. Peut-être ne faut-il pas se surprendre qu’ils fassent si peu de cas des dernières années de la vie de Martin Luther King.

* Jeff Cohen et Norman Solomon sont des chroniqueurs affiliés et auteurs de Aventures in Medialand : Behind the News, Beyond the Pundits (Common Courage Press). Norman Solomon est également co-auteur de Target Iraq : What the News Media Didn’t Tell You et auteur de The Habits of Highly-Deceptive Media.

 

SOURCE: Journal du Parti communiste du Canada

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