Le génocide britannique des Mau Mau au Kenya et la question des réparations

Qui s’est prononcé « fortement en faveur de l’utilisation de gaz toxiques contre les tribus non civilisées »? Ce n’est pas moins que l’ancien premier ministre britannique Winston Churchill, à propos des Mau Mau, victimes de l’une des pires opérations de nettoyage ethnique au monde organisée par les forces britanniques (IGA).

 

Le 20 août dernier, un groupe de Kényans a déposé plainte contre la Grande-Bretagne auprès de la Cour européenne des droits de l’homme afin de demander justice pour les atrocités que les Britanniques ont commises à leur encontre pendant l’ère coloniale. Ce groupe demande 200 milliards de dollars de réparations pour les crimes perpétrés dans les régions de culture du thé des hautes terres du Kenya. Comme on pouvait s’y attendre, la Grande-Bretagne n’a pas réagi ni présenté d’excuse pour les atrocités commises dans ce pays.

Il faut toutefois reconnaître que les Britanniques se sont excusés pour un de leurs pires méfaits au Kenya. En 2013, le gouvernement britannique a « finalisé un accord hors cours avec des milliers de Kényans qui ont été torturés dans des camps de détention à la fin du règne colonial de la Grande-Bretagne ». Les Britanniques ont massacré les Mau Mau – des rebelles kényans de la tribu des Kikuyu – qui avaient pris les armes dans les décennies 1950 et 1960. Il a fallu attendre des années pour que les excuses historiques et le règlement sans précédent soient finalisés en 2013.

En 2022, le Kenya s’est encore retrouvé dans l’actualité pour avoir demandé justice à l’égard d’autres agissements violents des Britanniques. Le Kenya, qui compte près de 56 millions d’habitants, est un pays dynamique de l’Afrique de l’Est. Il affiche aujourd’hui un taux d’alphabétisation de 78 %, mais son revenu par habitant atteint à peine 1879 dollars, le classant au 144e rang mondial à cet égard. Beaucoup affirment que nombre des problèmes actuels du Kenya sont un héritage du colonialisme britannique.
 
La colonisation britannique

Pendant des millénaires avant la colonisation britannique, ceux que nous appelons aujourd’hui les Kényans se sont répartis en un grand nombre de tribus. Malgré des violences sporadiques, ces tribus vivaient dans une paix et une harmonie relatives. Certaines communautés pratiquaient l’agriculture, d’autres l’élevage, et d’autres encore, une combinaison des deux. Les chasseurs avaient leur terrain de chasse et des pêcheurs étaient établis à proximité du lac Victoria. La production était suffisante pour assurer la survie de ces communautés. Les familles et les clans partageaient la propriété et coopéraient dans la production comme dans la distribution. Ces sociétés communautaires veillaient à ce que personne ne sombre dans une pauvreté abjecte. Les frontières entre les différents groupes ethniques étaient fluides et le commerce entre eux et les mariages mixtes étaient chose courante. Fait à remarquer, ces communautés se passaient généralement d’un chef dans le sens contemporain du terme.

La colonisation britannique a déchiré le tissu social des communautés qui font aujourd’hui partie du Kenya. La domination britannique a débuté avec la conférence de Berlin de 1884-1885, qui a enlevé aux autochtones leurs droits naturels, territoriaux et politiques. En 1894, la Grande-Bretagne a désigné ce qui allait devenir le Kenya comme un protectorat de la Couronne. Ce sont des fonctionnaires britanniques qui ont créé le Kenya et tracé les frontières de la nation sans jamais consulter les Kényans eux-mêmes. Ces nouvelles frontières divisèrent les communautés existantes et firent se côtoyer des groupes ethniques disparates à l’intérieur d’un nouveau pays, créant ainsi un espace dans lequel les communautés étaient amenées à se concurrencer dans une course aux ressources et une lutte pour la survie. Les Britanniques ont dirigé ces communautés d’une main de fer. Leurs expéditions militaires ont servi à voler les terres des populations et une campagne génocidaire a forcé beaucoup d’entre eux à émigrer.

Les Britanniques ont confisqué les terres qu’ils convoitaient. Ils ont institué le travail forcé, faisant des autochtones la propriété des colons britanniques. En 1902, ils ont commencé à percevoir l’impôt des huttes, qui obligeait les Kényans à travailler pour les Britanniques afin de s’acquitter de cet impôt, faute de quoi ils étaient forcés de servir les colons britanniques. En 1913, les Britanniques ont déposé un projet de loi sur le territoire et la loi a été adoptée, conférant aux colons britanniques un bail de 999 ans sur les terres kenyanes, ce qui revenait à une confiscation quasi-totale. En 1919, les Britanniques ont exigé que tous les hommes autochtones portent des disques d’identité, plus d’une décennie avant que les nazis n’adoptent une telle politique à l’égard des Juifs. Dans les années 1920, les Kényans ont été contraints à vivre dans des réserves et soumis à la flagellation, un traitement qui fait penser à celui déjà réservé aux premières nations de l’Amérique du Nord et de l’Australie.
 
La révolte Mau Mau

Après la Seconde Guerre mondiale, l’Inde a obtenu son indépendance, en 1947. Cela a inspiré les mouvements d’indépendance africains. En 1952, le mouvement Mau Mau pour l’autodétermination a vu le jour. Lorsque la princesse Elizabeth et son mari le prince Philipe ont visité le Kenya cette année-là, l’anecdote veut qu’Elizabeth soit montée dans une cabane dans les arbres en tant que princesse pour en redescendue en tant que reine Elizabeth II.

Tandis que la famille royale épatait la galerie, les forces britanniques préparaient l’une des pires opérations de nettoyage ethnique au monde. Ils y ont procédé en écrasant brutalement les Mau Mau. Lorsque le Kenya a obtenu son indépendance en 1963, les Britanniques ont détruit tous leurs documents officiels. Durant l’ère de la guerre froide, les États-Unis étaient au courant des atrocités commises par les Britanniques, mais ils ont détourné le regard.

Soutenus aux « plus hauts niveaux », les Britanniques purgèrent la capitale, Nairobi, des Kikuyu, qui furent enfermés dans des « enclos de barbelés ». Des milliers de détenus furent interrogés par des bourreaux qui ont eu recours à tous les types de torture, y compris le travail forcé, les coups, la famine et les abus sexuels. Les archives montrent que l’une de ces personnes torturées était le grand-père de l’ancien président américain Barack Obama “.

En l’espace de 18 mois, les Britanniques ont largué six millions de bombes dans les forêts du Kenya pour perturber les activités de la guérilla. Puis, des photographies de femmes mutilées ont été répandues dans les zones où se trouvaient les Kikuyu, dans le but d’intimider la population.

Dans son livre Imperial Reckoning : The untold story of Britain’s Gulag in Kenya (dont le titre peut se traduire par : Aveux impériaux : l’histoire jamais contée du goulag britannique au Kenya), Caroline Elkins attire l’attention sur le fait que des milliers de Kényans ont combattu aux côtés des forces britanniques contre l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Et comment les Britanniques les ont-ils rétribués? Par la barbarie et non la gratitude : environ 1,5 million de Kényans ont été parqués dans des camps de détention et dans des townships bardés de barbelés, quant ils n’était pas tués par milliers.

Durant son règne de 70 ans, la reine Elizabeth n’a jamais reconnu les atrocités britanniques, s’abstenant de toute excuse. Les premiers ministres de la Grande-Bretagne n’ont pas non plus levé le petit doigt. Winston Churchill était premier ministre au moment des événements. Porté au pinacle dans son pays – même aujourd’hui – pour avoir affronté Adolf Hitler, Churchill échappe à tout examen critique de ses agissements racistes, impérialistes et impitoyables dans les colonies. En 1919, il a écrit qu’il était « fortement en faveur de l’utilisation de gaz toxiques contre les tribus non civilisées ». Il a ordonné aux forces britanniques de réprimer d’une main de fer la rébellion irakienne de 1920. Churchill préconisait de répandre « une vive terreur » parmi les populations locales afin qu’elles se soumettent. En Irak, la Royal Air Force a effectué des missions pendant 4008  heures, largué 97 tonnes de bombes et tiré  183861 coups de feu. Des armes chimiques ont en outre utilisés contre les Irakiens, plus de 60 ans avant que Saddam Hussein ne s’en prenne de la même manière aux Iraniens, aux Arabes chiites et aux Kurdes irakiens. Sous Churchill, le gouvernement britannique a traité les Kényans avec une brutalité du même ordre, les forçant à quitter leurs terres ancestrales et à vivre dans des réserves. Quelques années seulement après l’Holocauste, les Britanniques ont enfermé 1,5 million de Kikuyu dans des camps de concentration, les torturant, les battant et les faisant mourir de faim en grand nombre, ce qui fut un cas flagrant de génocide pur et simple. Le fait d’avoir signé la Charte des Nations unies n’a en rien retenu les agresseurs.

Un exemple de cette brutalité a été révélé lors d’un procès en 2012. Quatre victimes kényanes ont comparu devant la Haute Cour de Londres. Jane Mara, l’une des victimes, était âgée de 15 ans au moment des faits. Elle a été battue de façon répétée par ceux qui étaient chargés de l’interroger, qui l’ont plaquée sur le dos tandis que quatre gardes lui maintenaient les cuisses grandes ouvertes pour lui enfoncer une bouteille de verre chauffée dans le vagin. Après avoir été ainsi martyrisée, elle a assisté au même supplice infligé à trois autres jeunes femmes. Quant aux hommes, ils n’ont pas été épargnés : les Britanniques sont allés jusqu’à concevoir des pinces servant à écraser les testicules.
 
Les États-Unis ont soutenu le Royaume-Uni

Les États-Unis sont ressortis de la Seconde Guerre mondiale comme une puissance dominante. Puis est venue la guerre froide, contexte dans lequel le Royaume-Uni était un allié de confiance. Aussi, les États-Unis ont-ils feint d’ignorer les atrocités commises par les Britanniques au Kenya. Washington savait que les Britanniques y commettaient un génocide, mais comme ce fut le cas pour le Congo et le Vietnam, les Américains se sont rangés du côté des puissances impériales blanches contre les peuples de couleur des colonies. On se rappellera qu’à la même époque, la ségrégation raciale avait encore cours aux États-Unis, un pays qui voulait libérer l’Europe de l’Est de la domination soviétique, mais qui tenait aussi à perpétuer la domination britannique, française ou belge dans d’autres régions du monde.

Dans la première moitié du 20e siècle, Juan M. Floyd-Thomas, chercheur à l’université Vanderbilt, a observé dans le Journal of American History que les Américains considéraient l’Afrique de l’Est comme « un vrai pays de Blancs ». De leur point de vue, le Kenya méritait l’impérialisme occidental et la suprématie blanche. Pendant des siècles, les États-Unis ont pratiqué le nettoyage ethnique des Amérindiens, réduit les Afro-Américains en esclavage et assujetti les minorités ethniques. Les autres races étaient considérées comme biologiquement et intellectuellement inférieures à la race blanche.

Fidèles à eux-mêmes, les grands médias américains, dont le New York Times, se sont conformés au narratif officiel des États-Unis, qui consistait à considérer le continent africain comme « synonyme de terreur, de désespoir et de conflit ». Les médias ont présenté les combattants Mau Mau comme des terroristes et des criminels ayant des liens avec le communisme, refusant de reconnaître que les Kényans étaient engagés dans un mouvement de libération. Tout comme George Washington et Thomas Jefferson, les Kényans se battaient eux aussi pour l’indépendance.

Après la Seconde Guerre mondiale, les Nations unies n’ont jamais été en mesure de mettre fin aux génocides, d’empêcher le nettoyage ethnique ou de secourir les victimes. L’organisme international a été incapable de traduire les coupables en justice. Les Nations unies ont échouées partout dans le monde, du Cambodge jusqu’au Soudan.

Les Nations Unies représentent les intérêts des nations dominantes. Cinq d’entre elles disposent d’un droit de veto au sein du Conseil de sécurité. Naturellement, la Peace Worldwide Organisation considère les Nations unies comme une institution défaillante et lui attribue une note de 12 sur 100.

Les Nations unies n’ont pas non plus réussi à rendre justice aux Kényans. Les démentis et les dissimulations des Britanniques n’ont pas rendu les preuves de leurs agissements inhumains moins accablantes. Un tribunal international pouvant entendre la cause du Kenya serait un pas dans la bonne direction. De la même manière que les victimes de l’Holocauste ont été indemnisées et que leurs biens leur ont été restitués, les Kényans doivent eux aussi obtenir une indemnisation et une restitution.

Les Britanniques doivent reconnaître le génocide et les atrocités qu’ils ont commis à l’époque coloniale, s’en excuser et accorder des réparations. De telles réparations devraient impérativement être versées directement aux victimes et à leurs descendants, pour ne pas garnir les coffres du gouvernement corrompu du Kenya. Un certain montant doit être mis de côté pour l’éducation et les infrastructures, afin de compenser les ravages de la colonisation.

Une somme d’argent ne pourra jamais effacer la souffrance du peuple kenyan. Cependant, les réparations sont importantes pour trois raisons. Premièrement, les victimes obtiennent justice. Deuxièmement, les pays pauvres et les victimes pauvres obtiennent un soutien financier appréciable. Troisièmement, on établit un important précédent montrant que les maîtres impériaux ont des comptes à rendre. L’Allemagne a versé des indemnités aux Juifs, qui ont subi une tragédie indicible pendant l’Holocauste; cela a diminué le risque de voir les Allemands répéter les atrocités du passé. Le Royaume-Uni doit rendre des comptes afin que les Britanniques ne répètent pas les mésaventures coloniales du Kenya et de l’Inde ailleurs dans le monde, notamment en Irak et en Libye.
 
Mehdi Alavi est le fondateur de Peace Worldwide Organisation, dont il est le président.

source:  fairobserver

traduction Johan Wallengren

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