Le dur combat contre le “fracking” en Colombie

Les coûts environnementaux et humains résultants de cette forme d’exploitation ne sont en rien justifiables, encore moins si le profit va directement dans la poche de quelques entreprises étrangères, ce qui autorise au gouvernement colombien les annonces d’augmentation de l’investissement étranger. Comment une administration peut parler de bénéfices à la population avec de tels projets tandis que partout où cette technique est employée, les dégâts naturels sont si néfastes ? 

 

 

L’action du “fracking” en Colombie. Le lézard est le logo de l’entreprise pétrolière colombienne « Ecopetrol », ancienne « Empresa Colombiana de Petróleos » [NdT]
 

 

En tant que candidat à l’élection présidentielle de 2018, l’actuel président colombien, Iván Duque, n’a jamais assumé de position critique de l’usage du “fracking” comme alternative à l’accroissement des réserves d’hydrocarbures. Bien au contraire, Duque s’est montré prêt à valider cette technique comme partie intégrante du développement de ce qu’il a nommé « l’économie orange ». Cet euphémisme a été utile pour occulter le vrai plan de son gouvernement : l’exploitation de ressources naturelles et la réduction d’impôts des classes privilégiées au détriment des classes moyennes.

 

Balsa de agua y desechos = bassin d’eau et de rejets ; deposito de agua = château d’eau ; pizarra = ardoise = schiste faiblement métamorphisé ; arroyo = cours d’eau/ruisseau

 

En effet la nouvelle ministre des Mines, María Fernanda Suárez, a garanti qu’un de ses principaux objectifs sera de « convaincre le président Duque que le “fracking” peut s’employer de façon sûre et responsable » [1]. Selon ladite ministre, l’emploi de cette technique permettrait l’augmentation des réserves de gaz et de pétrole de 19 et 8 ans respectivement.

 

La question centrale est alors : « Quelles seraient les conséquences de l’augmentation de ces ressources ? », car le gouvernement actuel veut vendre ce procédé comme étant la nouvelle trouvaille de la réactivation de l’économie des hydrocarbures, mais dédaigne parallèlement les terribles séquelles répertoriées un peu partout [2].

 

Le dernier débat à ce sujet concernait l’installation de lourdes machines dans trois provinces de Boyacá par l’agence nationale d’hydrocarbures en juin 2018. Les rumeurs de l’arrivée du “fracking” dans ce département ont de suite déclenché des manifestations afin d’empêcher toute action sans consultation populaire. Le gouvernement a ainsi été obligé de stopper les activités de l’agence pétrolière [3].

 

L’entreprise a réfuté l’emploi du “fracking” dans la région en prétendant que l’équipement lourd servirait juste pour « obtenir des informations sur le sous-sol ». La suspicion est cependant fondée car les plans de l’entreprise polonaise Geofizyka Torún n’ont pas été communiqués. Selon des recueils d’information, la firme étrangère a été engagée par l’agence Nationale d’Hydrocarbures pour réaliser des études sismiques dans la région et non pas pour l’exploitation de pétrole. Pourquoi réaliser des études sismiques sinon pour évaluer le potentiel d’un territoire en hydrocarbures ? Cela signifie que nous sommes en présence d’une phase d’exploration qui a, en but ultime, testé les conditions techniques qui permettent d’exploiter du pétrole et du gaz par “fracking”.

 

À tout cela s’ajoute le fait qu’en Colombie existent déjà 48 blocs de gisements non-conventionnels, parmi lesquels 9 se placent dans le département de Boyacá [4]. La présence des entreprises pétrolières a de suite éveillé la suspicion de la population des 14 communes du département qui, à travers le président départemental Carlos Amaya du parti écologiste, a déclaré que « jamais le fracking ne sera utilisé dans le département » car la colonne vertébrale de sa politique est l’environnement et la gestion des ressources naturelles.

 

En effet, la polémique est fondée car les travaux d’exploration ont été réalisés à proximité du lac Tota, avec des conséquences préjudiciables du point de vue socio-environnemental et archéologique. Au-delà des considérations émises par les entreprises et leur apparente intention de « connaître les caractéristiques du sous-sol », il est clair que l’objectif fondamental est d’analyser la possibilité d’usage de la fracturation hydraulique au plus vite. Formulé différemment : les études sismiques amènent juste à établir le début du “fracking” approuvé de longue date par le gouvernement. D’où l’importance de la résistance citoyenne.

 

 

Le conflit social à Boyacá, déclenché par l’exploitation pétrolière, peut prendre une nouvelle tournure d’après l’intérêt médiatique à l’Est du département, dans la province de Sugamuxi. Depuis 2012, à cet endroit, l’entreprise française « Maurel & Prom » effectue des travaux d’exploration pétrolière. Ils ont foré deux puits dans les communes de Tota et Pesca, un projet nommé « Aire d’Intérêt Exploratoire Muisca » [5].

 

En dépit de la forte opposition populaire, la compagnie française poursuit les travaux et a demandé au gouvernement la modification de son permis environnemental afin d’augmenter son influence dans la région. Le problème de fond est en lien avec la localisation dans ce secteur de 410 sources qui servent de captage d’eau potable pour 7 000 habitants de la province de Sugamuxi. Si le nouveau permis était accordé, les conséquences seraient catastrophiques pour une population qui a déjà commencé à subir les désagréments et inconvénients des études sismiques et de la déforestation.

 

 

Manifestation contre la fracturation hydraulique : Ni ici, ni là-bas, ni aujourd’hui, ni jamais

 

 

En contre-point des manifestations populaires, Ecopetrol a essayé de négocier avec les paysans et les habitants de Boyacá un ensemble de mécanismes qui permette l’exploration de ressources sans générer une atteinte socio-environnementale. Néanmoins cette proposition est une contradiction en soi car toute exploitation d’hydrocarbures génère un impact environnemental qui se transforme en problème de santé publique.

 

La seule alternative viable pour les paysans est celle de l’abandon des territoires par les entreprises, amenant par la suite le début des processus de récupération des terres. Sous la nouvelle administration permissive, avec le consentement et le soutien d’Ecopetrol, les entreprises étrangères et leurs mesquins intérêts économiques n’abandonneront jamais cette activité si rentable. Cependant il subsiste une forte opposition à ces plans, mentionnée par les médias officiels. Mais est-ce suffisant ? Il est par conséquent nécessaire de divulguer au maximum les dénonciations des habitants de la région.

 

Selon la porte-parole du collectif pour la défense de la province de Sugamuxi, Patricia Corredor, les opérations de prospection sismique génèrent des séquelles irréversibles dans les territoires. Par exemple, 210 sources d’eau ont séché et 70 familles ont perdu leur foyer à cause de fissurations importantes. Les paysans qui ont vu les sources d’eau sécher ne peuvent plus arroser les champs, ce qui amène à une perte de dynamisme d’un des axes économiques fondamentaux de la région de Boyacá, l’agriculture [6]. Comme résultat, un fort mouvement de contestation sociale a vu le jour, promptement réprimé par la force publique.

 

La problématique est encore plus complexe si nous prenons en compte la feuille de route du nouveau ministre de la défense qui cherche à « réguler la protestation sociale ». Cela signifie réprimander toute sorte de manifestation contraire au gouvernement actuel. Scénario préoccupant car le droit de manifester est le seul mécanisme effectif dont disposent les communautés locales afin de rendre visibles leurs problèmes. Par contre si le gouvernement insiste à contraindre tout mouvement anti-fracking, un grave problème se pose aux défenseurs des droits de l’Homme.

 

Le “fracking” est arrivé

 

Comme l’a énoncé l’organisation « No al fracking en Colombia », cette technique provoque des sérieux dysfonctionnements dans l’écosystème, notamment la réduction du volume des ressources hydriques -foyer potentiel de conflits socio-environnementaux- contre l’effort des secteurs locaux, qui cherchent à distribuer l’eau dans le pays de façon équitable et durable [7].

 

Deux approches sont ainsi en opposition : l’exploitation des ressources à tout va en bénéfice des affaires privées dont les profits ne sont jamais assez importants pour couvrir les dégâts ;  l’usage responsable de l’eau et de la gestion environnementale comme principe d’un rapport équilibré avec la nature. Les manifestations se déroulent à Boyacá mais aussi dans cent communes, potentielles cibles de “fracking”. Le cas le plus frappant est la surenchère entre Ecopetrol et la communauté indigène des U’wa, qui veut l’entreprise en dehors de ses territoires ancestraux. Ce site protégé au Nord de Santander cherche à empêcher l’entreprise d’hydrocarbures d’intervenir avec ses projets dans les zones classées [8]. À l’instar de cette situation, il y a des milliers d’exemples de collectifs citoyens qui sont en opposition à l’exploitation d’hydrocarbures et qui petit à petit commencent à avoir l’attention des médias.

 

Gisements d’hydrocarbures “non-conventionnels” = “extraits par fracturations hydraulique”, en Colombie, 2017

 

 

La reconnaissance due aux opposants du “fracking” est de tel ordre que dans le Congrès de la République colombienne existe un projet de loi interdisant l’usage de cette technique dans le pays. L’objectif est d’empêcher l’exploration et l’exploitation de gisements non-conventionnels et d’initier un processus de transition selon lequel la Colombie puisse cesser d’utiliser les combustibles fossiles. Le projet compte avec le soutien du parti « Decentes », du « Polo Democratico » et de la « Allianza Verde », mais aussi de certains cadres du parti « U », le « Liberal » et le « Conservador ». Cette proposition est une riposte au gouvernement de Duque, ce qui en fait un véritable conflit politique [9].

 

La situation est complexe en raison des majorités au Congrès  du parti gouvernemental, -« Centro Democratico », le parti pro-fracking-, raison de plus pour utiliser d’autres moyens et mécanismes de lutte. La situation à Boyacá donne de l’espoir dans l’action citoyenne contre le “fracking” en Colombie.

 

 

LA LUTTE SE POURSUIT !

 

 

Notes :

[1]-https://www.elespectador.com/noticias/nacional/es-posible-hacer-fracking-de-manera-responsable-ministra-de-minas-articulo-805901

[2]-http://laotraopinion.net/recursos-naturales/petroleoygas/el-gran-dano-del-fracking-a-colombia/

[3]-https://www.dinero.com/pais/articulo/boyaca-debate-la-llegada-del-fracking-a-su-territorio/259594

[4]-https://www.elespectador.com/noticias/medio-ambiente/hay-o-no-hay-fracking-en-boyaca-crece-la polemica-articulo-795479

[5]-https://sostenibilidad.semana.com/medio-ambiente/articulo/sogamoso-y-el-proyecto-petrolero-que-incendiaria-a-boyaca/36724

[6]-https://www.elcampesino.co/los-mas-afectados-con-la-sismica-y-el-fracking-son-los-campesinos/

[7]-https://redjusticiaambientalcolombia.files.wordpress.com/2017/03/2017-03-14-carta-presidente santosfinalconlogos.pdf

[8]-https://www.elespectador.com/noticias/economia/los-uwas-no-quieren-ecopetrol-sus-territorios-ancestral-articulo-644102

[9]-https://www.elespectador.com/noticias/politica/radican-proyecto-de-ley-para-prohibir-fracking-en-colombia-articulo-803549

 

Source : La Otra Opinión

Traduit du castillan par Paulo Correia pour le Journal Notre Amérique

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