Le cinéma chinois doit-il viser la reconnaissance occidentale ?

Il y a plusieurs années, lorsque l’un des plus grands et des plus prestigieux centres culturels de Buenos Aires décida de dédier son immense salle exclusivement à l’Ecole de cinéma de Shanghai des années 1930, les critiques, locaux et étrangers, et les passionnés étaient si serrés dans l’espace que nombre d’entre eux se sont retrouvés assis par terre et sur les escaliers.

 

Pas étonnant. C’était une occasion rare de voir – pendant une semaine – des films chinois aussi légendaires que La Divine (réalisé par Wu Yonggang, 1934, muet) et Street Angel (Yuan Muzhi, 1937) sur grand écran.

Pendant des décennies, le cinéma chinois a fait des vagues parmi les critiques, les cinéastes sérieux et, bien sûr, d’autres réalisateurs. Depuis les films réalistes socialistes d’avant la Seconde Guerre mondiale jusqu’à diverses puissantes œuvres d’art contemporaines expérimentales, le cinéma chinois est varié et souvent brillant.

La culture chinoise est ancienne et extrêmement profonde, mais elle est aussi facilement compréhensible, en particulier quand elle est présentée sous une forme d’art universelle comme le cinéma.

 

 

N’importe qui peut apprécier et rire en regardant des films aussi fous que Let the Bullets Fly, s’émouvoir à la vision des injustices et des horreurs de l’occupation japonaise dépeintes dans City of Life and Death (aussi connu sous le titre Nanjing! Nanjing!), ou saisir l’immensité de l’amour et de la loyauté dans le film The Road Home de 2009.

Le grand problème est que la sélection occidentale des films chinois (pour la projection et pour les prix internationaux dans les festivals de cinéma) est hautement politisée. Politisée par les sociétés de distributions et par les critiques.

Regardez quels films chinois sont récompensés au Festival de Berlin ou à Cannes. Il n’y a jamais de film révolutionnaire ni de film social réaliste sur la liste.

La plupart des films sont sombres, nihilistes, et en général très critiques à l’égard du système politique et de la culture chinois. Ce ne sont pas ces films que les spectateurs chinois admirent. Il s’agit plutôt de films qui renforcent les stéréotypes sur la manière dont les Occidentaux perçoivent la Chine.

La Chine évolue à grande vitesse, un immense optimisme accompagne cet énorme bond en avant. Le cinéma chinois rit souvent, il tombe amoureux et rêve d’une vie encore meilleure. La « critique du système » n’est de loin pas la seule chose que les cinéastes chinois s’intéressent à exprimer.

L’Occident aime tout simplement déterrer (ou même inventer) toutes sortes de conflits entre les artistes chinois et le « système ». Vous souvenez-vous de Beijing Bicycle ? Un bon film, il faut l’admettre, mais a-t-il vraiment été primé au Festival du film de Berlin uniquement parce qu’il était bon ou parce que sa première en Chine avait été reportée pour de graves problèmes techniques et administratifs (le film est finalement sorti en 2004) ?

Ou I am Not Madame Bovary. J’adore ce film de 2016 réalisé par Feng Xiaogang. Il est audacieux et désopilant. Mais il ne remportera jamais de grand prix en Occident (il n’a eu un peu de succès qu’au Festival du film de Toronto). Parce qu’il dépeint précisément ce que l’Occident ne veut pas que ses citoyens voient : comment fonctionne la démocratie chinoise.

En quoi la démocratie chinoise diffère-t-elle du système politique occidental ? Et quel est le pouvoir réel d’un citoyen chinois moyen ? Dans ce film, une provinciale, récemment divorcée et un peu folle, accuse les fonctionnaires du gouvernement de son mariage raté, et elle secoue le gouvernement de la tête aux pieds, parce qu’elle fait partie du « peuple ».

Naturellement, Human Flow, un film sur la crise mondiale des réfugiés, réalisé par le « militant des droits de l’homme » chinois Ai Weiwei, a reçu à la fois un financement substantiel et plusieurs récompenses occidentales, y compris une nomination aux Oscars. Etait-ce politique ? Bien sûr. Même le journal britannique The Independent n’a pas pu s’empêcher d’écrire :

« Lors du gala annuel de Cinema for Peace, organisé cette année dans le cadre du Festival du film de Berlin, Ai a demandé aux invités de poser pour des photos enveloppés dans des couvertures métalliques de survie ; Artnet a dénoncé violemment le coup comme « d’un mauvais goût insultant ».
Ai Weiwei est présenté comme « dissident », ce qui est déjà une assurance de succès en Occident. Pas pour les réalisateurs occidentaux, mais pour la quasi totalité des artistes chinois, russes ou cubains.

Ces cinq dernières années, un seul film chinois – un thriller, Black Coal, Thin Ice – a remporté le premier prix dans les plus importants festivals de cinéma occidentaux (Berlin, Cannes, Golden Globes, Venice, Academy Awards).

Les cinéastes chinois devraient se concentrer sur leur art. Ils vont très bien. Pas besoin de trop viser les prix occidentaux. Ils viennent quand même, de temps en temps, mais pas trop souvent. Comme dans le cas du formidable roman Le Sorgho rouge de Mo Yan. Mo a reçu le prix Nobel de littérature et un film du même nom a également reçu plusieurs prix.

Mais il est toujours important de se rappeler que les médias et « l’establishment culturel » occidentaux ne sont pas là pour promouvoir la grande culture chinoise. Très souvent, c’est tout le contraire : plus un film ou un livre nuit à la Chine, plus il reçoit de soutien de Londres, Paris ou Los Angeles.

Ceux qui aiment la Chine, sa grande culture et son art n’ont pas besoin des gongs des prix occidentaux.

On trouve toujours les moyens de voir La Divine ou I am Not Madame Bovary. Et beaucoup d’entre nous rêvent du jour où la Chine sera connue pour ses propres festivals de cinéma super-importants – quand elle commencera à donner des coups de poing, à soutenir des dissidents européens et nord-américains, et à décerner des prix en jugeant les réalisateurs occidentaux d’un point de vue chinois !

 

Andre Vltchek est un philosophe, romancier, réalisateur et journaliste d’investigation. Il a couvert des guerres et des conflits dans des douzaines de pays. Trois de ces derniers livres sont son hommage à « La Grand Révolution Socialiste d’Octobre », un roman révolutionnaire « Aurora » et le best-seller documentaire politique : « Exposer les mensonges de l’Empire ». Regardez ses autres livres ici. Regardez Rwanda Gambit, son documentaire révolutionnaire sur le Rwanda et la RD Congo. Après avoir vécu en Amérique latine, en Afrique et en Océanie, Vltchek réside actuellement en Asie de l’Est et au Moyen-Orient et continue de travailler autour du monde. Il peut être contacté via son site Web et son compte Twitter.

 

Source : CGTN

 

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