Le Brésil est dans la boue : la tragédie de Brumadinho et l’action des vautours-vampires de l’industrie extractive

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le crime environnemental de Brumadinho, les révélations sur l’assassinat de Marielle Franco et l’atteinte en plus, révoltante, aux droits fondamentaux de Lula da Silva, un des candidats au prix Nobel de la paix 2019.

 

 

 

165 morts et 160 disparus, c’est le dernier bilan de la catastrophe du 25 janvier dans la municipalité brésilienne de Brumadinho (lire « Broumadjignou »), à 65 Km de la capitale de l’État de Minas Gerais (MG) –Belo Horizonte. La tragédie est survenue lors de la rupture d’un barrage de résidus, de la mine ferrifère de « Córrego do Feijão », entraînant une coulée de boue d’un volume estimé à 12 millions de mètres cubes (m³). Cette « soupe » dense et visqueuse est constituée de boues toxiques, riches en silice, fer, manganèse, aluminium, métaux lourds et autres composants chimiques/organiques utilisés dans le processus industriel d’enrichissement du minerai de fer. Le torrent a tout emporté, notamment un pont ferroviaire, en se jetant dans le Paraopeba, un affluent du fleuve São Francisco -appelé dans le langage populaire « Vieux Chico » (Chico, petit nom de Francisco –François-), un des plus grands cours d’eau brésiliens (2830 Km) et qui traverse cinq États fédéraux : Minas Gerais (MG), Bahia (BA), Pernambuco (PE), Alagoas (AL) et Sergipe (SE).

 

 

Photo : Ricardo Stuckert

 

 

Les responsables : le groupe « Vale S.A. » est le résultat de la privatisation partielle d’une entreprise étatique, « vendue » par le président brésilien Fernando Henrique Cardoso en 1997. Elle a été achetée par l’industriel et banquier brésilien Benjamin Steinbruch, avec de l’argent « offert » par la banque d’État BNDES. La société a été créée par le charismatique président de la République Getúlio Vargas en 1942, qui avait la vision d’un projet publique, capable de fournir le Brésil avec une ressource vitale -le fer- pour le développement industriel et sidérurgique du pays. Elle s’appelait alors « Companhia do Vale do Rio Doce » (CVRD).

 

Aujourd’hui, c’est un groupe transnational qui opère sur les cinq continents, surtout en Amérique latine et en Afrique, occupant la cinquième place parmi les entreprises les plus irresponsables au monde du point de vue environnemental et social, impliqué dans des affaires troubles ici et là (à savoir Brésil, Chili, Colombie, Pérou, Mozambique, Angola et Guinée). En janvier 2012, « Vale » se voit attribuer le « Public Eye People’s Award », le prix de la « pire entreprise du monde en matière de droits de l’Homme et d’environnement », aussi appelé les « Oscars de la honte », organisé par « Greenpeace » et « Déclaration de Berne ».

 

Bien entendu, « Vale » est le genre d’entreprise criminelle qui appartient à une espèce très à la mode, fruit du croisement d’un vautour avec un vampire, un mutant, un monstre économique du néo-libéralisme, un genre d’organisme qui aspire un maximum de ressources, sans scrupules, qui optimise ses profits et distribue de gros dividendes à ses actionnaires, au détriment du salaire des ouvriers et de la protection environnementale et sociale.

 

Le principe annoncé de « ce qui compte pour l’entreprise ce sont les gens » est traduit par la localisation des bureaux, de l’infirmerie et de la cantine du complexe minier juste en dessous du barrage… la rupture s’est produite à l’heure du déjeuner. Selon les récits de la population, les sirènes d’alarme n’ont pas retenti durant ce jour tragique et n’ont d’ailleurs jamais été testées. Elles existaient juste pour obéir aux normes législatives de sécurité. D’après des témoignages de bénévoles impliqués dans les opérations de sauvetage, le matériel de secours essentiel aux recherches d’éventuels survivants est parvenu tardivement sur la zone sinistrée à cause des filtrages mis en place par l’entreprise. Il est évident qu’elle essayait de contrôler tous les mouvements, surtout pour avoir la main mise sur le récit informatif paru plus tard dans les médias. Exemples de la mauvaise foi de l’entreprise : affirmer que la vitesse du torrent était telle que les sirènes n’ont pas eu le temps de s’activer ; essayer de passer le message que la rupture serait une sorte de catastrophe naturelle.

 

Le président de « Vale S.A. » Fabio Schvartsman. Photo Thomaz Silva, Agência Brasil

 

Nous n’avons pas besoin d’être spécialistes pour comprendre que la cause probable de la rupture a été un manque de contrôle de la structure et il serait légitime de dénoncer l’entreprise et les organismes responsables d’inspecter ses activités. Une preuve de dirigeants de l’entreprise s’estimant au-dessus des lois est leur mépris quand ils s’adressent aux familles des victimes de ce crime ignoble. Sinon regardons de plus près : « Vale S.A. » le grand groupe multinational d’extraction minière -que les médias télévisés français ont appelé « l’entreprise minière », sans jamais la nommer- avec 70 mille employés, le plus grand exportateur mondial de minerai de fer du monde, se vante « d’offrir » (R$) 100 mille reais, l’équivalent de 23 615 euros à chaque famille des victimes. Il se permet désormais d’introduire dans ses campagnes publicitaires le slogan « ce qui compte pour nous ce sont les gens » !  Cette élite de dirigeants cyniques se croyant au-dessus de tout, considère-t-elle offrir davantage que « le prix » d’une Vie Humaine ? Le président du groupe minier Fabio Schvartsman touche 1,6 million de reais par mois (378 mille euros) ce qui correspond à 4,5 millions d’euros par an !!! Chacun des cinq directeurs de l’entreprise perçoit 236 mille euros par mois. Donc, pour ce genre de sangsue, la vie d’une victime de leur activité criminelle ne vaut pas plus que 6% du salaire mensuel du « boss » ! Comment allons-nous sauver la Planète, avec des gens si atroces aux manettes ? Comment pouvons-nous nous prémunir d’une fin sinistre, telle celle des victimes de Brumadinho ?

 

 

 

Le groupe indigène Pataxó Hã-hã-hãe sur les berges du fleuve sinistré Paraopeba. Village de Naô Xohã, São Joaquim de Bicas (MG). Photo : Lucas Hallel, Ascom/Funai.

 

Le risque sanitaire à Brumadinho est extrême, surtout pour les gens qui ont eu contact avec les boues ou qui ont mangé des aliments en provenance du secteur. Des récits de nausées, vomissements, diarrhées, irritations cutanées, vertiges sont de plus en plus fréquents.  

                                                                                                    

 

Photo : Ricardo Stuckert

 

 

Précédent : le 5 novembre 2015, la rupture du barrage de résidus miniers de Fundão, à Mariana (MG), propriété du consortium Samarco, détenu par « Vale S.A. » et par le géant minier anglo-australien « BHP-Billiton »,  a causé 19 morts et provoqué un des plus grands désastres environnementaux du Brésil impliquant des rejets/résidus miniers, d’un volume estimé à 62 millions de m³ de gravats sales, toxiques, boueux, déversés dans le bassin du fleuve Doce (853 Km). 

 

 

Les Bolsonaro seraient-ils impliqués dans l’assassinat de l’élue municipale de Rio de Janeiro, Marielle Franco ?

 

Adriano Magalhães da Nóbrega, l’ex-capitaine des forces spéciales de la police militaire à Rio –BOPE– est un des individus en cavale, suspectés d’avoir participé à l’assassinat de Marielle Franco du PSOL –« Partido Socialismo e Liberdade »– et de son chauffeur Anderson Pedro Gomes, le 14 mars 2018. Le suspect en fuite a été décoré en 2003 pour « dévouement, talent et bravoure » suite à la motion de louange proposé par le député fédéral Flávio Bolsonaro, fils de l’actuel président du Brésil. En 2005, le même Adriano da Nóbrega, alors détenu en tant que suspect de meurtre, a reçu après une autre proposition de Bolsonaro fils, la plus haute décoration de l’Assemblé législative de l’État de Rio de Janeiro, la médaille Tiradentes (le grand Héro anticolonial brésilien du XVIIIème). Mais d’autres faits inquiétants paraissent à présent : la mère et l’épouse de l’ex-opérationnel des forces spéciales travaillaient dans le cabinet du député Bolsonaro fils et selon un rapport de la Coaf –Conseil de contrôle d’activités financières– la mère Raimunda Veras Magalhães était une des personnes qui effectuaient des dépôts réguliers d’argent sur le compte de Fabrício Queiroz, l’ex-chauffeur et assistant parlementaire du député, pièce maîtresse dans la récente affaire dite « Bolsogate ». Fabrício Queiroz serait alors l’homme de paille de Flávio Bolsonaro –entre-temps élu sénateur en 2018– et ferait le pont entre la famille Bolsonaro et le monde du crime organisé…

 

Photo : Club Mediapart

 

Petit rappel sur Marielle Franco cruellement assassinée et exécutée le 14 mars 2018 :

Marielle Franco, dont la popularité grandissait de jour en jour, défendait vigoureusement un changement profond de la société brésilienne, avec comme base le militantisme des franges exclues et majoritaires du peuple Brésilien. Elle était l’un des plus grands porte-drapeaux des débats sur le genre sexuel, la négritude, l’exclusion, la pauvreté et elle appuyait avec force l’action militante des gens des favelas, dont elle était. Perte indéniable car assurément cette Femme aurait pu être une excellente présidente d’un Brésil moderne et un modèle d’inspiration progressiste pour toute la Planète ! 

 

L’épisode déprimant des tristes funérailles de Vavá, le frère de Lula

 

La Constitution brésilienne garantit à n’importe quel prisonnier en « régime fermé » le droit de sortir avec une escorte policière en cas de décès ou de maladie grave de son conjoint, compagnon, ascendant, descendant ou membre de fratrie (Article 121 de la loi d’exécution pénale). La police fédérale –PF– et le nouveau ministre de la Justice Sérgio Moro ont tout mis en œuvre pour que le 30 janvier, le citoyen Luiz Inácio Lula da Silva soit privé de ce droit fondamental lors du décès de son frère Vavá –Genival Inácio da Silva. La juge Carolina Lebbos, responsable de l’injuste et arbitraire peine de prison appliquée à Lula, a tout simplement oublié d’appliquer la Constitution, une fois de plus. Une des raisons évoquées par le magistrat comme l’ayant empêché d’appliquer la loi a été que l’hélicoptère qui aurait dû transporter Lula était au service des opérations de sauvetage dans le scénario boueux et toxique de Brumadinho. Mais on conçoit aisément d’autres fondements : au-delà de vouloir infliger au prisonnier Lula une lourde humiliation afin de le démoraliser et le déprimer encore plus dans sa geôle, le fait est que l’élite brésilienne et ses vassaux de la PF, de la Cour suprême –STF– et du Ministère publique –MP–, ont eu peur d’une méga manifestation de soutien populaire à Lula.

 

Précédent : même pendant la dictature militaire en 1980, le prisonnier Lula da Silva a été autorisé à veiller sa mère décédée.

 

Finalement le président du STF, le juge Dias Toffoli, a autorisé Lula, un quart d’heure avant les funérailles, à se rendre sur le lieu des cérémonies à São Bernardo do Campo –São Paulo (SP), à 334 Km de sa prison à Curitiba, État de Paraná (PR). Lula a remercié le juge mais a décliné le geste. Il avait compris que derrière cet acte clément de dernière minute (un droit Constitutionnel élémentaire), se cachait la mise en scène d’un show médiatique, au travers de son voyage héliporté et de son arrivée dans une caserne militaire, pour s’y réunir avec ses proches –la douleur du deuil d’un être cher ne suffisait pas, il fallait encore pouvoir supporter un confinement en famille, les yeux dans les yeux, dans une espèce de prison en groupe. C’est indigne ! De la boue, encore de la boue !

 

Pour sortir par le haut de cette ambiance abjecte, écoutons une perle de la chanson brésilienne, composée par le mythique Tom Jobim : « Les eaux de mars » – « Águas de Março » –où lui et la tout autant mythique chanteuse Elis Regina chantent à un moment donné « …c’est la boue, c’est la boue– …é a lama, é a lama ».

 

Et n’omettons pas de signer la pétition « Nobel de la paix pour Lula da Silva 2019 »

 

La pétition a été lancée par l’argentin Adolfo Pérez Esquivel, sculpteur, militant pour les droits de l’Homme et défenseur de la non-violence active contre les crimes de torture perpétrés par les dictatures en Amérique latine. Il a été primé avec le prix Nobel de la paix en 1980.

Nous sommes proches des six cent mille signatures et nous espérons arriver à un million bientôt, avec la vôtre, bien sûr. Vive Lula ! Portons bien haut et fort en portugais : Lula Livre !

 

 

Paulo Correia est musicien, ex-géologue pétrolier et collaborateur de la rédaction au Journal Notre Amérique (Investig’Action). Il co-anime avec ses chroniques d’opinion le blog « Ideia perigosa – Idée dangereuse » .      

 

Source : Journal Notre Amérique

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