Le Brésil en grève : les camionneurs et les ouvriers du pétrole refusent de coopérer

La plus grande économie d’Amérique latine – le Brésil – est au bord de la faillite. Les camionneurs et les ouvriers du pétrole ne sont pas au travail. Les premiers ont fait une grève de dix jours, tandis que les seconds font une grève de 72 heures*. Les deux sont en colère contre le gouvernement de Michel Temer. Ce gouvernement, disent-ils, a mal géré l’économie et commencé à privatiser le secteur crucial de l’énergie. Un haut niveau de conscience politique parmi ces ouvriers les amène à pointer du doigt le gouvernement Temer et son attitude confortable vis-à-vis du capital financier international.

 

Récemment, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a publié une enquête qui se vantait de l’augmentation de 1% du taux de croissance du Brésil. Mais ce rapport est totalement trompeur. Il ne comprend pas l’économie brésilienne du point de vue du Brésilien moyen.

Les prix des produits de base ont grimpé en flèche. Le taux d’inflation est d’environ 4,2%. Le taux de croissance de l’économie brésilienne est de 0,4%. En d’autres termes, pendant que l’économie est en faillite, les prix augmentent. C’est monstrueux pour les Brésiliens ordinaires. Les prix du carburant ont augmenté de 50%, ce qui a eu un impact sur les prix de denrées alimentaires. Les camionneurs sont en grève à cause de cette flambée des coûts énergétiques. Les ouvriers du pétrole sont en grève pour des raisons similaires. Ils sont en colère contre la mauvaise gestion de la société énergétique brésilienne Petrobras.

Depuis que le gouvernement putschiste de Temer a pris le pouvoir en 2016, l’économie a connu une sérieuse chute. La priorité donnée aux banques internationales a signifié que les dépenses budgétaires du Brésil sont plus axées sur les paiements d’intérêt sur la dette de gouvernement (16%) que sur l’éducation (12%) et les soins de santé (12%). Ce gouvernement n’a pas tenté de repousser les créanciers, n’a pas de volonté politique pour mobiliser des ressources auprès des super-riches parmi les Brésiliens. Le coût de la mauvaise gestion est donc supporté par les travailleurs pauvres.

 

 

Prix ​​du pétrole

 

 

Le syndicat des ouvriers du pétrole a compris assez tôt que la politique du gouvernement Temer est d’attirer les investissements directs étrangers au Brésil par la privatisation de la compagnie pétrolière nationale. En octobre 2016, le gouvernement de Temer a mis en place une politique de prix qui garantissait que les prix intérieurs seraient indexés sur les prix du pétrole importé. Cette politique est entrée en vigueur en juillet 2017. Cela a entraîné une hausse irrationnelle des prix du pétrole domestique – de 230%, avec l’essence et le diesel augmentant de 50% et le gaz de cuisine de 60%.

C’est ce qui a créé une crise dans le secteur pétrolier. La solution, en ce qui concerne le gouvernement de Temer, est la privatisation du pétrole. Les conditions pour plaider en faveur de la privatisation ne viennent pas du secteur lui-même, mais d’une mauvaise gestion intelligente et délibérée qui livre le secteur à des mains privées. Regardez, le ministre du pétrole dit, le secteur est en mauvais état. Solution: la privatisation.

Le Brésil est le plus grand producteur de pétrole brut en Amérique latine. La capacité de production de Petrobras est de 2,2 millions de barils par jour, plus que suffisant pour la consommation domestique. La direction a réduit sa capacité de raffinage – a 2 millions par jour – de 70%. Il importe du pétrole à des prix exorbitants pour satisfaire la demande intérieure. Il achète du pétrole étranger à 75 dollars le baril, soit 40 dollars le baril de plus que le pétrole des réserves offshore pré-salifères. Petrobras pendant ce temps exporte son pétrole à l’étranger.

L’importation de pétrole et la mauvaise gestion de Petrobras poussent le gouvernement vers une politique de privatisation à la dérive – d’abord il va remettre les raffineries au secteur privé, puis les pipelines et terminaux et finalement la totalité de Petrobras. La souveraineté du Brésil dans le secteur de l’énergie sera bientôt complètement compromise.

 

 

Politique

 

 

Les ouvriers savent ce qui se passe. Leur grève est politique. C’est pourquoi le tribunal du travail l’a déclaré illégale. Ils disent que ce n’est pas une grève sur les salaires ou les conditions de travail. La cour a raison. Les ouvriers ont un objectif plus large. Ils croient que le gouvernement putschiste de Temer détruit non seulement leur gagne-pain – pour lequel ils seraient autorisés à faire la grève – mais aussi leur société.

Les ouvriers ne se sont pas présentés au travail sur les plates-formes pétrolières du bassin de Campos ni dans les raffineries de pétrole de l’Amazonie. Les camionneurs ont bloqué les autoroutes. L’énergie contre ce gouvernement alimentera les élections d’octobre. Le principal candidat de l’opposition, Lula du Parti des travailleurs, est en prison. Les ouvriers ont cela à l’esprit quand ils font la grève. Mais l’oligarchie permettra-t-elle au nom de Lula d’être sur le bulletin de vote (pour une discussion complète de la situation au Brésil, voir le dernier dossier de Tricontinental: Institut pour la recherche sociale – Lula and the Battle for Democracy in Brazil (Lula et la bataille pour la démocratie au Brésil)).

Les actions de Petrobras ont chuté non pas à cause de la grève, mais parce que les investisseurs privés craignent que les ouvriers ne forcent le gouvernement à faire machine arrière. Ce qui est bon pour les investisseurs n’est bon ni pour le Brésil ni pour les ouvriers brésiliens. Moody’s, le cabinet d’analyse pour les investisseurs, prévient qu’une « grève prolongée créerait un stress de crédit sévère dans tous les secteurs d’activité ». Moody’s gère un racket de protection pour les argentiers. Ils bénissent les entreprises et les pays qui se plient à la volonté du capital financier. Moody’s punit toute entreprise ou pays qui tente de construire un chemin alternatif. Le crédit peut se tarir comme résultat. Les armées de Moody’s ont aligné leurs tanks autour du périmètre du Brésil. Leurs menaces sont réelles. Temer dit qu’il n’enverra pas de militaires pour chasser les grévistes des autoroutes. Mais le vrai militaire ne doit pas venir de la caserne. Il vient du verre brillant et des bâtiments en acier qui abritent les argentiers.

Les ouvriers ont la volonté de rester en grève. Le syndicat a présenté trois revendications fondamentales : le limogeage du directeur de Petrobras (Pedro Parente), la destitution du président (Temer) et la rétention de Petrobras dans les mains de l’État. Les ouvriers du pétrole ont qualifié leur action de « grève d’avertissement ». C’est un avertissement parce que d’autres sont prévus – un ensemble d’actions politiques en cascade qui mèneront aux élections d’octobre. Impossible de croire que les Brésiliens vont se faire voler leur démocratie sans rien faire.

 

Traduit de l’anglais par Vlad pour Investig’Action

Source: Newsclick / The Dawn News, * 1er juin 2018

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