Le BJP profite des peurs liées au coronavirus pour faire monter d’un cran le fascisme indien

Les violences contre les musulmans se multiplient en Inde. Ils sont accusés de propager le coronavirus. Ces accusations viennent même des autorités et s’inscrivent dans le sillage des réformes nationalistes menées par le gouvernement Modi. La crise du coronavirus est loin d’apaiser les tensions. “L’Inde fonce sur la voie des conflits religieux, et c’est le gouvernement lui-même qui conduit le véhicule”, écrit Alan Macleod. (IGA)


La semaine dernière, Dilshad « Mehboob » Ali, 22 ans, a été traîné dans un champ de la périphérie de Delhi et battu à coups de bâton et de pied par une foule enragée qui exigeait qu’on lui dise : « Qui d’autre est derrière cette conspiration ? » Ses agresseurs pensaient qu’il faisait partie d’un « corona Jihad » : un complot diabolique de la minorité musulmane de l’Inde pour répandre la maladie et tuer le plus d’hindous possible. Ali a été traîné dans un temple et on lui a ordonné de se convertir à l’hindouisme avant de lui permettre de se rendre. Les images de l’incident, qui illustre une attaque nationale contre les quelque 200 millions de musulmans du pays, sont devenues virales.

Ali fait partie du mouvement Tablighi Jamaat, identifié par le gouvernement comme le principal responsable de la propagation du coronavirus en Inde. Entre le 13 et le 15 mars, le mouvement a organisé, dans le quartier de Nizamuddin à Delhi, un rassemblement auquel ont participé environ 8 000 personnes venues de tout le pays et d’ailleurs en Asie. Après que certains ont été testés positifs au COVID-19, le gouvernement du parti nationaliste hindou Bharatiya Janata (BJP) s’est mis à les diaboliser comme étant à l’origine de l’épidémie qui a tué 448 personnes jusqu’à présent, mais dont on craint qu’elle ne se propage comme une traînée de poudre dans les bidonvilles densément peuplés du pays. Les principaux responsables politiques du BJP ont immédiatement suscité la peur d’un « corona jihad ». « Le gouvernement central et les gouvernements des États ne laissent rien au hasard dans la lutte décisive contre le COVID-19 », a déclaré Rajeev Bindal, président du parti BJP de l’Himachal Pradesh. « Mais certaines personnes, dont les membres du Tablighi Jamaat, se déplacent comme des bombes humaines pour ruiner leurs efforts. »

D’autres dirigeants du BJP ont affirmé que les musulmans pratiquaient un « corona terrorisme » et crachaient sur les médecins et autres travailleurs de la santé. « C’est clair, leur but est d’infecter le plus grand nombre de personnes possible avec le coronavirus et de les tuer », a tweeté le politicien de Delhi Kapil Mishra. D’autres personnalités du BJP ont parlé de « crime taliban ».  

Même les autres hindous n’ont pas été épargnés par le sectarisme du BJP. Une information de CNN a souligné comment les dalits, les plus bas placés dans le système de castes hindou officiellement interdit, ont été empêchés d’acheter de la nourriture et des médicaments. Les dalits sont souvent considérés comme intrinsèquement sales par les castes supérieures, aussi se sont-ils vu refuser l’accès aux magasins et l’entrée dans certains quartiers au nom de la crainte du coronavirus.

Bien que le gouvernement ait adopté des lois contre la diffusion de fausses informations et que les médias sociaux soient soumis à des règles interdisant les discours de haine, il devient plus difficile de les faire appliquer lorsque les hauts dirigeants politiques eux-mêmes s’y livrent. Néanmoins, le torrent de fausses nouvelles islamophobes qui circule sur Twitter montre clairement qu’on est loin d’en faire assez pour les éradiquer. Le hashtag #CoronaJihad est à la mode depuis plusieurs jours, les infox et les discours de haine abondent.

Le résultat de cette campagne a été une augmentation spectaculaire des attaques islamophobes et du sentiment antimusulman. Dans toute l’Inde, les hindous risquent d’écoper des amendes s’ils sont pris à fraterniser avec des musulmans. D’autres ont été battus à coups de battes et lynchés.

De fausses nouvelles ont également été diffusées visant à contaminer la population musulmane elle-même, avec des vidéos circulant sur TikTok et autres plateformes disant aux utilisateurs que le virus ne touche pas les musulmans et qu’ils ne doivent pas porter de masque.

La vague de violence antimusulmane a choqué de nombreux observateurs, mais ne les a pas surpris. Le Premier ministre Narendra Modi a attiré sur lui l’attention du pays alors qu’il était ministre en chef de l’État du Gujarat lors de la vague massive de pogroms antimusulmans en 2002, qui a causé plus de 2 000 morts et chassé 200 000 musulmans de leurs foyers. Pour beaucoup, en Inde, il est largement considéré comme l’architecte de cette vague de violence, ce qui est un bon point pour lui. Il a été réélu l’année dernière à une écrasante majorité.

Modi a cependant dû affronter une forte opposition, principalement de la part des nombreuses communautés religieuses minoritaires de l’Inde, qui considèrent que son programme explicitement nationaliste hindou les condamne à devenir des citoyens de seconde zone, voire pire. L’année dernière, le pays a connu des soulèvements après l’adoption de sa loi controversée sur la modification de la citoyenneté (CAA) et celle du Conseil national d’enregistrement (NRC). La CAA permet aux personnes fuyant les persécutions de leurs voisins à majorité musulmane d’obtenir plus facilement la citoyenneté indienne. Mais cette politique empêche explicitement les musulmans et les dalits de bénéficier de la loi ; ce qui, soulignent les critiques, brise la tradition laïque de l’Inde.

L’instauration du NRC est sans doute encore pire. Le NRC est un nouvel organisme qui révise les lois sur la citoyenneté indienne, exigeant des citoyens qu’ils fournissent une documentation complète sur eux et leurs ancêtres, ce qui est certainement irréalisable pour des centaines de millions de personnes. Sans ces informations, le gouvernement peut retirer la citoyenneté à qui il veut, jetant ainsi du jour au lendemain d’importantes populations dans l’illégalité. Cette politique a déjà été mise en œuvre dans l’État d’Assam, au nord-est du pays, où 1,9 million de personnes — pour la plupart musulmanes — ont été déclarées apatrides et sans droits. Le gouvernement du BJP est en train de construire un réseau de centres de détention, un peu comme ceux à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, pour accueillir la nouvelle population d’« immigrants illégaux ». En février, Giriraj Singh, un ministre du gouvernement Modi, a provoqué une grande colère lorsqu’il a soutenu que l’Inde avait fait une grave erreur en ne recourant pas au génocide total de toute la population musulmane lors de la fondation du pays en 1947.

« C’est une grande erreur de nos ancêtres, dont nous payons le prix aujourd’hui. Si, à l’époque, des Frères musulmans avaient été envoyés là-bas et des hindous amenés ici, nous ne serions pas dans cette situation », a déclaré M. Singh. Il faisait référence aux manifestations et aux pogroms antimusulmans qui se sont répandus dans le pays et ont tué 36 personnes.

Si certains espéraient qu’un confinement national au milieu d’une pandémie qui menaçait tout le monde calmerait les flammes de la haine communautaire et donnerait naissance à un esprit collectif transcendant les religions, cet espoir est complètement anéanti. L’Inde fonce sur la voie des conflits religieux, et c’est le gouvernement lui-même qui conduit le véhicule.

 

Alan MacLeod est rédacteur à MintPress News. Après son doctorat, en 2017, il a publié deux ouvrages : Bad News From Venezuela: Twenty Years of Fake News and Misreporting et Propaganda in the Information Age: Still Manufacturing Consent. Il a également travaillé pour Fairness and Accuracy in ReportingThe GuardianSalonThe GrayzoneJacobin MagazineCommon Dreams, American Herald Tribune et The Canary.

 

Source originale: Mintpress

Traduit de l’anglais par Diane Gillard pour Investig’Action

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