Le 8 mai et la réhabilitation du nazisme en Allemagne

Les 8 et 9 mai, Berlin accueille traditionnellement de nombreux événements commémoratifs pour marquer la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. À ces deux dates, la Wehrmacht allemande signa la capitulation sans conditions en 1945 à Reims, en France, et à Berlin-Karlshorst, en Allemagne. Le régime nazi fut finalement écrasé. Adolf Hitler s’était suicidé huit jours plus tôt.

La charge principale de la lutte contre l’Allemagne hitlérienne a été supportée par l’Armée rouge de l’Union soviétique, qui a vaincu la Wehrmacht au prix d’immenses sacrifices. Au moins 13 millions de soldats soviétiques et 14 millions de civils ont perdu la vie pendant la guerre. Mais lors des événements commémoratifs de Berlin cette année, la présence du drapeau soviétique a été interdite. Le Sénat de Berlin a fait appel à plus de 1500 policiers pour faire respecter l’interdiction dans les environs des trois monuments commémoratifs soviétiques à Treptower Park, Tiergarten et Schönholzer Heide. Il y avait plus de policiers que visiteurs.

En revanche, il était permis de montrer le drapeau ukrainien, qui n’était utilisé que par des collaborateurs profondément impliqués dans les crimes des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Par exemple, l’aile Melnyk de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN-M) utilisait le drapeau bleu-jaune avec un trident, comme il est également utilisé aujourd’hui en Ukraine.

Alors que la grande majorité des hommes et des femmes ukrainiens, ainsi que leurs camarades russes et soviétiques de l’Armée rouge, se sont battus contre les nazis, l’OUN-M et l’aile rivale autour de Stepan Bandera (OUN-B) ont rejoint les unités SS allemandes et ont participé à des meurtres de masse qui ont coûté la vie à des dizaines de milliers de Juifs, de Polonais, de Russes et d’Ukrainiens.

La décision d’interdire la présence du drapeau soviétique lors des événements commémoratifs a finalement été prise par la Haute Cour administrative de Berlin-Brandebourg. La police avait initialement interdit les drapeaux soviétiques et russes ainsi que les drapeaux ukrainiens et avait justifié cela par le fait que ceux-ci pouvaient provoquer des violences dans le contexte de la guerre en Ukraine. Le tribunal administratif de Berlin a annulé cette interdiction en raison d’une action en justice. À la demande de la police, la Haute Cour administrative a décidé d’interdire uniquement les drapeaux soviétiques et russes et d’admettre le drapeau ukrainien.

La signification politique de cette décision est sans équivoque: 78 ans après la défaite du régime nazi, il est interdit dans la capitale allemande d’arborer le drapeau des libérateurs. Le drapeau des collaborateurs et des criminels de guerre est le bienvenu. Un engagement plus clair envers la politique criminelle du régime nazi est difficilement concevable.

Ce n’est pas un cas isolé ou un faux pas. L’interdiction scandaleuse illustre à quel point la banalisation des crimes nazis en Allemagne est avancée. Pas un seul média important et aucun parti établi ne s’y est opposé.

La banalisation du national-socialisme est indissociable du retour du militarisme allemand. L’IYSSE (Mouvement international des jeunes et des étudiants pour l’égalité sociale) prévenait déjà en 2014: «La renaissance du militarisme allemand nécessite une nouvelle interprétation de l’histoire qui banalise les crimes de l’ère nazie.» À l’époque, l’IYSSE, l’organisation de jeunesse du Parti de l’égalité socialiste (SGP), protesta contre l’historien Jörg Baberowski, qui avait défendu l’apologiste nazi Ernst Nolte dans Der Spiegel et déclaré qu’Hitler n’était «pas cruel».

Cet avertissement a été confirmé dans les années qui ont suivi. Même alors, presque tous les médias, la direction de l’Université Humboldt et de nombreux politiciens soutinrent Baberowski et dénoncèrent l’IYSSE pour avoir osé critiquer le professeur d’extrême droite. Une coopération étroite avec la droite et les fascistes est depuis devenue monnaie courante, non seulement en Allemagne, où l’Alternative pour l’Allemagne d’extrême droite siège dans toutes les commissions parlementaires importantes, mais aussi dans la politique étrangère de Berlin.

Dans le milieu officiel berlinois, personne n’est dérangé par le fait que le régime de Zelensky, soutenu et armé par l’Allemagne, érige des monuments pour les collaborateurs nazis et les meurtriers de masse, donne leur nom à de nombreuses rues, extirpe la culture russe du pays (même Alexandre Pouchkine et d’autres représentants de la littérature mondiale ne sont pas épargnés) et interdit de nombreux partis de gauche.

Dans les États baltes également, le gouvernement allemand et l’armée allemande travaillent en étroite collaboration avec des forces qui vénèrent les membres des SS nazis comme des héros.

Si l’on suit la propagande belliqueuse dont la population en Allemagne est quotidiennement bombardée, on a l’impression qu’une grande partie des élites dirigeantes regrette profondément qu’Hitler n’ait pas atteint son objectif de conquérir et de détruire Moscou.

Dans un long commentaire du 7 mai, le journaliste de FAZ Konrad Schuller a exhorté l’Ukraine à rejoindre immédiatement l’OTAN pour qu’elle bénéficie d’un «parapluie nucléaire». Il a mis en garde contre un «enlisement douloureux» si l’offensive annoncée des Ukrainiens reste infructueuse. La «vigilance» de l’Occident pourrait alors s’affaiblir et «la tentation de consacrer de l’argent qui se fait rare ailleurs que dans l’armement» grandit.

Après que l’OTAN «ait déjà pris des risques pour l’Ukraine avec une aide matérielle et idéologique», a déclaré Schuller, ses promesses solennelles se révéleraient être des mots creux. «Les alliés pourraient alors se disperser comme des poulets lorsque le faucon arrive.» Par conséquent, l’Ukraine doit recevoir beaucoup plus d’argent et d’armes qu’elle n’en reçoit actuellement.

Moins de 80 ans après que de grandes parties de l’Europe et de l’Allemagne ont été réduites en ruines, des gens comme Schuller sont à nouveau prêts à déclencher un enfer nucléaire pour satisfaire leurs fantasmes impérialistes de puissance mondiale.

En réalité, la classe dirigeante allemande ne s’est jamais résignée à la défaite d’Hitler. Après la fin de la guerre, il a fallu 40 ans à un chef d’État allemand pour désigner le 8 mai comme le «jour de la libération» pour la première fois. Mais le président fédéral Richard von Weizsäcker, dont le père a été condamné comme criminel de guerre à Nuremberg, a également ajouté à l’époque: «Le 8 mai n’est pas un jour de fête pour nous, Allemands.»

Aujourd’hui, l’Union chrétienne-démocrate de Weizsäcker publie sur les réseaux sociaux que le 8 mai 1945 est en effet un «jour de libération», mais «aussi un jour de souffrances incommensurables».

Des souffrances incommensurables pour qui, se demande-t-on. Pour les détenus survivants des camps de concentration? Pour les quelques juifs qui avaient échappé à leurs meurtriers? Pour les ouvriers qui ne s’étaient pas réconciliés avec les nazis et qui étaient espionnés et terrorisés par la Gestapo? Pour les Grecs, les Yougoslaves, les Polonais et les citoyens soviétiques dont les moyens de subsistance et les vies ont été détruits par les nazis? Pour les jeunes hommes qui ont été forcés de porter des uniformes et massacrés au front? Ou pour les hommes de main engraissés et entrepreneurs nazis qui s’étaient enrichis avec l’aryanisation et le travail forcé et craignaient maintenant pour leur fortune qui, malheureusement, leur est restée.

Lorsque l’historien Ernst Nolte fit sa première tentative de réhabilitation du national-socialisme en 1986, il subit une défaite dévastatrice dans la querelle des historiens (Historikerstreit). Lorsque Baberowski a défendu Nolte en 2014, il a été accueilli à bras ouverts. Aujourd’hui, si Nolte était encore en vie (il est décédé en 2016), il serait auréolé de prix.

La réhabilitation du national-socialisme a des causes objectives. L’impérialisme allemand est confronté aux mêmes contradictions insolubles qu’au début du XXe siècle. Et il essaie de les résoudre avec les mêmes méthodes barbares.

Emprisonnée dans une Europe fragmentée, l’économie dynamique allemande du début du XXe siècle avait un besoin urgent de matières premières, d’opportunités d’investissement et de marchés. Mais ceux-ci étaient déjà répartis entre les anciennes puissances coloniales. Pendant la Première Guerre mondiale, l’Allemagne a combattu la France, la Grande-Bretagne et l’Empire tsariste, qui était allié à la France et, avec son immense territoire, offrait de grandes opportunités d’expansion.

Mais l’Allemagne a perdu la guerre. Au lieu de la victoire, ce fut la révolution, à laquelle le capitalisme allemand n’a survécu qu’avec l’aide des sociaux-démocrates. Le véritable vainqueur de la guerre était une autre puissance montante: les États-Unis.

La Seconde Guerre mondiale a été une gigantesque tentative de corriger le résultat de la première. L’Allemagne essaya de mettre l’Europe sous son contrôle et d’écraser l’Union soviétique afin de défier la première puissance mondiale, les États-Unis. À cette fin, une conspiration autour du président du Reich, Paul von Hindenburg, avec le soutien des milieux économiques et militaires de premier plan en janvier 1933 amena Adolf Hitler au pouvoir. Son régime avait deux tâches: l’écrasement violent du mouvement ouvrier, qui rejetait la guerre et le militarisme, et la concentration de toutes les forces du pays sur le réarmement et la guerre.

Mais l’Allemagne a également perdu la Seconde Guerre mondiale. Le capitalisme allemand a survécu, en partie parce que les États-Unis en avaient besoin comme rempart contre l’Union soviétique. Dans les décennies d’après-guerre, elle a prospéré et s’est développée dans le sillage de l’impérialisme américain. Mais cela a changé avec l’effondrement de l’Union soviétique. Depuis lors, les conflits entre les puissances impérialistes se sont intensifiés.

Les États-Unis tentent de compenser leur déclin économique par une guerre brutale après l’autre. Le gouvernement allemand soutient ces guerres en partie ouvertement, en partie indirectement, afin de devenir un leader européen et une puissance mondiale. Un jour après le début de la guerre en Ukraine, elle a lancé la plus grande offensive de réarmement depuis 1945. Comme les États-Unis, elle intensifie régulièrement sa guerre par procuration contre la Russie en Ukraine et ne bronche même pas devant la perspective d’un anéantissement nucléaire.

C’est ce qui explique le changement d’appréciation à l’égard d’Hitler, dont la haine viscérale de l’Union soviétique, du marxisme et du mouvement ouvrier organisé gagne à nouveau un appui.

Surtout, une partie de la classe moyenne urbaine aisée, qui s’est enrichie ces dernières années grâce au boom boursier et immobilier, alors que les revenus des ouvriers baissaient, a adopté l’impérialisme. Ceci explique la transformation des Verts, qui se présentaient initialement comme antifascistes et pacifistes, en ardents militaristes.

Le danger d’une guerre mondiale nucléaire ne peut être stoppé que par un mouvement indépendant de la classe ouvrière internationale qui associe la lutte contre les inégalités sociales à la lutte contre la guerre et sa cause, le capitalisme. Les mêmes contradictions insolubles du capitalisme qui poussent la classe dirigeante vers la guerre créent également les conditions de la révolution socialiste.

 

Source : https://www.wsws.org/fr/articles/2023/05/13/xinn-m13.html

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